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Quels enseignements du M&A en période de pandémie Covid-19 ?

Comme tous les secteurs de l'économie, le marché des fusions-acquisitions a été fortement perturbé par la propagation de la pandémie Covid-19 : en France, les volumes liés à des opérations de M&A ont chuté de 26,5 % au premier semestre 2020 .

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Quels enseignements du M&A en période de pandémie Covid-19 ?

Si, avant l'apparition de la pandémie, les conditions économiques étaient particulièrement favorables aux vendeurs et les transactions souvent très standardisées, la crise sanitaire a profondément modifié cette approche. Des nouveaux risques ou des risques connus mais auparavant sous-estimés sont apparus. De plus, nous avons constaté que certains mécanismes juridiques des contrats M&A, le plus souvent considérés comme classiques, ont été au centre de toutes les attentions cette année.

Une fois les différents risques liés à la crise sanitaire identifiés par les travaux de due diligence, les parties devront les intégrer dans leur analyse de la cible et de l'opération elle-même pour les anticiper au mieux via des mécanismes juridiques adéquats dans la documentation transactionnelle et décider de l'allocation de ces risques entre elles et ce, sans attendre la qualification jurisprudentielle de la pandémie Covid-19 dans le cadre de contrats commerciaux.

Trois catégories de clauses contractuelles ont été au coeur des débats : les clauses relatives aux événements exceptionnels, les clauses de prix et celles qui encadrent la gestion de la cible lors de la période dite " intercalaire ".

La force majeure, les clauses MAC/MAE et l'imprévision

Dans la pratique antérieure, ces clauses étaient la plupart du temps standardisées et peu négociées tant il paraissait improbable que les évènements déclencheurs puissent se matérialiser et l'application de l'imprévision au sens de l'article 1195 du Code civil était généralement exclue de manière conventionnelle.

Pourtant, en cas de matérialisation d'un des évènements, elles permettent d'activer des mécanismes exceptionnels pour l'opération. Un cas de force majeure permet de suspendre l'exécution du contrat, voire en cas de persistance de l'empêchement " irrésistible ", de s'en exonérer sans frais, les clauses MAC/MAE ont comme conséquence le droit de résilier le contrat et en cas d'imprévision de demander sa renégociation.

La crise du Covid-19 démontre qu'une rédaction précise de ces clauses est essentielle. Il convient de définir au mieux et en fonction de la société cible les évènements déclencheurs de ces mécanismes et de les objectiver au maximum, par exemple de prévoir que l'impact d'un évènement subi par la société cible devra être disproportionnel par rapport à l'impact subi par des entreprises comparables, du même secteur ou de la même zone géographique.

Ensuite, il s'agira d'articuler les conséquences que les parties souhaiteront en tirer pour permettre, le cas échéant, un aménagement de l'opération : Par exemple, par l'introduction de paramètres objectifs mesurant l'impact de la crise ; la prolongation de certains délais contractuels ou d'autres adaptations à une éventuelle situation de crise.

Les clauses de prix dans un contexte incertain

Il parait aujourd'hui difficilement acceptable d'avoir recours à des mécanismes de prix de type locked-box, basés sur des comptes de référence établis avant la signature du contrat et sans véritable mécanisme d'ajustement après la réalisation de l'opération : dans ce cas, l'acquéreur supporte seul tous les risques liés à la cible à compter de la date de référence.

Les parties devront également s'interroger sur la pertinence des agrégats financiers habituellement utilisés pour les mécanismes d'ajustement de prix post-closing, tel que le BFR ou la dette nette, car l'activité " normalisée " de la cible servant de base pour ces agrégats peut se trouver profondément impactée par la crise.

A condition d'être déterminables, certaines conséquences précises d'une crise sanitaire pour la cible pourront faire l'objet d'un mécanisme d'ajustement de prix spécifique en fonction de leur réalisation : l'obtention d'une subvention, la reprise de l'activité d'un fournisseur clé ou la réussite d'une renégociation de loyers.

La rédaction de ces clauses devra nécessairement évoluer, l'avenir montrera si la pratique se tourne davantage vers des mécanismes de prix avec paiements différés ou avec earn-out, ou des rémunérations mixtes, en numéraire et en titres.

La période intercalaire

Entre la signature du contrat d'acquisition et la réalisation de l'opération, le vendeur s'engage habituellement à gérer la cible dans le cours normal des affaires et en conformité avec sa pratique passée (anciennement " en bon père de famille "), le plus souvent par référence au budget et assorti d'une liste de décisions précises et chiffrées que la cible ne pourra pas prendre sans l'accord de l'acquéreur.

Or, en période de crise sanitaire la cible peut se trouver dans l'impossibilité de continuer son activité habituelle (fermetures administratives, problèmes d'approvisionnement...) mais également avoir le choix d'opter pour des mesures de soutien comme le report du paiement des cotisations sociales. Elle devra donc adapter son fonctionnement aux nouvelles circonstances sanitaires et économiques. En 2020, plusieurs opérations M&A ont été fortement déstabilisés par ce type de changements, telles que l'acquisition de Victoria Secret ou celle de Tiffany par LVMH.

En fonction de l'exposition de la cible à ces risques, les parties devront envisager un mécanisme de coopération renforcée et tenter d'anticiper au mieux les mesures à prendre. Or, ces mesures ne seront pas neutres pour la valorisation de la cible.

A noter que dans le cas d'opérations soumises au contrôle des concentrations, une telle coopération renforcée lors de la période intercalaire présente le risque de se heurter à l'interdiction du gun-jumping, c'est-à-dire la mise en oeuvre anticipée d'une opération avant l'obtention du feu vert de l'autorité.

Il est donc de l'intérêt des parties de raccourcir au maximum la période intercalaire dans une période d'incertitude forte.

Ces trois thématiques ne sont évidemment pas exhaustives et le risque sanitaire devra être intégré dans d'autres volets des opérations de M&A : tels les déclarations et garanties du vendeur ou encore à la mécanique transactionnelle en cas de confinement.

Le marché M&A semble avoir repris des couleurs : pour la seule journée du 16 novembre 2020 un volume de 40 Mds USD de transactions a été annoncé.(1)

Toutefois, même avec un vaccin (et un nouveau président aux Etats-Unis), les multiples enseignements de la crise du Covid-19 restent valables pour les opérations de M&A.

Pour en savoir plus

Christian Sauer - avocat associé en fusions acquisitions au sein du cabinet Bryan Cave Leighton Paisner (BCLP).

(1)Financial Times 17 novembre 2020 : " Global M&A recovers on vaccine hopes and US political stability "

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