Crédit d'impôt compétitivité emploi : gare au chantage !
Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est à peine entré en vigueur qu'il est déjà la cible de dérives. Parmi lesquelles le chantage fait par les grands groupes aux petits sous-traitants pour qu'ils revoient leurs tarifs à la baisse. Face à ces pratiques, la riposte s'organise.
Thomas Mortier dirige Staci, une entreprise française de logistique-marketing de plus de 1000 salariés qui a réalisé un chiffre d'affaires de 131 M€ en 2012. Si, en début d'année, il a souhaité bénéficier du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), "c'est avant tout pour parer la crise dans un contexte où notre volume d'activité a baissé de 5 à 10% selon nos clients".
Un précieux "ballon d'oxygène" pour ce dirigeant, qui attise la convoitise d'autres apparemment. Début mars, il reçoit ainsi par mail une requête très particulière de la part de l'un des de ses plus gros clients. Le message est sans équivoque : "Étant donné que le crédit d'impôt représente un montant équivalent à 4% de la masse salariale, nous vous demandons d'appliquer une baisse de 2% de vos tarifs de 2012". Une réclamation qu'un responsable d'une autre multinationale lui soumet également - cette fois de visu- lors d'une réunion de travail. "Je ne m'attendais pas du tout à ce type d'abus de position dominante. Ces démarches sont tout bonnement inacceptables", s'indigne Thomas Mortier.
Une pratique courante ?
Pourtant, le chantage au CICE dont le dirigeant de Staci a été la cible n'est pas un cas isolé. Il serait même en passe de devenir la 37e mauvaise pratique recensée par la médiation des relations inter-entreprises. "Ce phénomène serait en effet assez répandu, sous des formes plus ou moins directes. Le résultat étant le même : un rapport de force de la grande entreprise qui demande une réduction de tarif au petit sous-traitant", confirme Pierre Pelouzet, médiateur des relations inter-entreprises.
D'après lui, "il s'agit généralement plutôt d'initiatives isolées que de décisions émanant des directions centrales des grands groupes. Il existe aujourd'hui une telle pression, notamment sur les directions achat que certains préfèrent utiliser ce biais pour faire des économies que de discuter intelligemment avec leurs fournisseurs".
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Une situation d'autant plus préoccupante que, si certains, comme Thomas Mortier, ont décidé de tenir tête à leurs clients, beaucoup de petites sociétés ne voient d'autre alternative que de se plier à leurs exigences pour éviter de mettre la clé sous la porte.
Pour porter un coup d'arrêt à cette pratique, la riposte s'organise. "Nous travaillons actuellement avec des fédérations et syndicats professionnels pour faire remonter un maximum de dossiers. Nous aimerions notamment regrouper leurs adhérents ciblés par un même client afin qu'ils nous saisissent ensemble dans le cadre d'une médiation collective ", explique Pierre Pelouzet.
Sortir de la loi du silence
Une affaire que le gouvernement prend également très au sérieux. Selon le médiateur des relations inter-entreprises, Bercy étudierait de près les armes juridiques à déployer pour dissuader les plus téméraires. Parmi lesquelles, la piste de la procédure de "déséquilibre significatif" serait pour l'heure privilégiée par les service de l'État.
Selon cette disposition, régie par l'article L. 442-6 I 2 du code de commerce, il est interdit "de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties". En d'autres termes, cet article sanctionne les clauses et pratiques abusives imposées par un client à ses fournisseurs.
Pour sortir de l'impasse, il n'existe néanmoins qu'une solution, selon Pierre Pelouzet : sortir de la loi du silence. "Tant que l'omerta sera de mise sur cette question comme celle des retards de paiement qui s'accumulent, nos marges de manoeuvre resteront limitées. Pour cela, il ne faut pas que les petites entreprises hésitent à venir nous voir. La voie de la médiation reste encore selon moi la meilleure arme en la matière."
En ouvrant la brèche et dénonçant publiquement le chantage dont il a été la cible, Thomas Mortier (Staci) espère que d'autres suivront. Pour l'heure, il n'a pas perdu de clients mais n'excluent pas de possibles "effets collatéraux" suite à sa prise de position.
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Fiche Repères
Le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est une réduction d'impôt destinée à toutes les entreprises quelles que soient leur taille ou leur secteur d'activité.
Depuis le 5 avril 2013, le CICE est calculé sur la base de la masse salariale brute en dessous de 2,5 Smic. Son taux est de 4% en 2013 puis de 6% dès 2014.
Concrètement les entreprises peuvent soit le réclamer dans le cadre de leur déclaration d'impôt, soit demander un préfinancement du CICE à Oseo ou à leur banque, à hauteur de 85% du montant du CICE.
2670 demandes de préfinancement du CICE ont déjà été déposées (au 14 mai 2013) auprès d'Oseo-bpifrance. Soit un montant de 488 milliards d'euros.
Pour aller plus loin :
- Médiation des relations inter-entreprises : le Top 10 des motifs de saisine
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