DossierRisques, crise, menace, rupture... Quand l'incertitude domine !
La crise du Covid éprouve la capacité des sociétés à faire face à de nombreux risques : défaut de trésorerie, d'approvisionnement, RH, juridique, cyber... La période a mis à jour les forces et faiblesses des entreprises. Au Daf d'en tirer parti au mieux en faisant la part belle au risk management.

Sommaire
1 Quand le Covid-19 exacerbe les risques
La crise sanitaire que nous traversons est inédite. Par son ampleur : le virus a touché des millions d'individus, causé des centaines de milliers de morts et obligé près de 4 milliards de personnes à se confiner. Par ses répercussions sur l'économie mondiale (le FMI prévoit une contraction de 3% du PIB de la planète en 2020) et sur la vie des nations (plus d'un milliard d'élèves privés d'établissements scolaires selon l'UNESCO, plus de 50 pays et territoires ont reporté leurs élections selon la Fondation Kofi-Annan). Inédite, enfin, à travers les risques qu'elle a fait émergés ou accentués au sein des entreprises : financiers, informatiques, psycho-sociaux, juridiques, sanitaires... Les chefs d'entreprise - et leurs bras-droits les Daf - font face aux multiples facettes de cette crise qui ne s'est pas contentée d'être seulement sanitaire.
2 Explosion du phishing
Pour les entreprises françaises, la crise a réellement débuté le 17 mars 2020, jour 1 du confinement. Première conséquence : un recours massif au télétravail. D'après la Dares, un salarié sur 4 était en télétravail fin mars. Cela ne s'est pas fait sans risque. A commencer par le risque cyber. « Avant la crise la fragilité des entreprises en termes de cybersécurité était réelle. Avec le télétravail, les failles sur les portables et les réseaux personnels sont plus importantes et la frontière plus fine entre vie personnelle et professionnelle aggrave le risque », pointe Benoît Ranini, président de TNP Consultants. De fait, les hackeurs ont saisi cette formidable opportunité. « De nombreux e-mails frauduleux qui informaient sur les dernières tendances en termes de propagation du virus ou qui parlaient des aides financières de l'Etat ont été envoyés, incitant à cliquer sur un lien ou à télécharger une pièce jointe », informe Philippe Rondel, cyber-évangéliste chez CheckPoint, précisant que les e-mails représentent désormais 78% des vecteurs de menaces en France, contre 50% auparavant.
Le recours massif au télétravail, de plus dans l'urgence, a aussi renforcé les risques psychosociaux. Si 65% des personnes qui travaillent à distance se déclarent satisfaites (étude WorkaAnyWhere réalisée en avril 2020 auprès de 6500 salariés), certains salariés se sont sentis isolés et d'autres ont eu du mal à s'organiser. « D'un côté, le télétravail est une réussite mais l'autre face de la médaille est bien noire : surcharge, manque de reconnaissance, baisse de l'engagement dans l'entreprise. Particulièrement pour les jeunes qui se trouvent mal accompagnés et les parents qui ont dû organiser la vie familiale et éducative », constate Frédéric Petitbon, associé spécialiste de l'innovation managériale chez PwC Consulting. Giovanni Terrana, associé au cabinet RSM, parle quant à lui de l'estompement de la frontière entre la vie professionnelle et personnelle, des horaires de travail qui s'étendent, de l'explosion des e-mails auxquels on se sent obligés de répondre, de l'immixtion dans la vie privée avec les visioconférences...
Les managers se sont parfois sentis désemparés face aux défis du management à distance. « Les managers du groupe ont été sensibilisés à la gestion du télétravail, à savoir trouver la bonne distance vis-à-vis de leurs équipes pour être présent sans donner l'impression d'un sur-contrôle, s'assurer que les dossiers avancent mais aussi conserver le sentiment d'appartenance à l'entreprise », raconte Eric Palanque, Daf de Paredes, distributeur de produits d'hygiène et de protection. De son côté, il organisait des réunions régulières autant pour délivrer des informations que pour détecter des signaux faibles. Laurence Tort, Daf de Clarke Energy, a de son côté favoriser la proximité et la compréhension. « Je contactais mes équipes au maximum tous les trois jours et j'essayais de prendre en compte les différentes situations. Comme le fait que plusieurs collaborateurs avaient leurs enfants à la maison. »
Zoom
Les principaux risques de cette crise :
- risque sanitaire de contamination au virus
- défaut de trésorerie
- risques psycho-sociaux dus à l'isolement des salariés en chômage partiel, la solitude des télétravailleurs et au stress des salariés sur site
- cyber-attaques et fraudes
- risques juridiques liés au retour des employés sur site et aux abus vis à vis du chômage partiel
- risques d'approvisionnement
3 Cellules de crise
Outre les télétravailleurs, 12 millions de salariés ont été places en chômage partiel. Parfois de manière abusive : une étude du cabinet Technologia menée auprès de 2600 élus du personnel révèle que 24 % des employés en chômage partiel total auraient été amenés à poursuivre leur activité à la demande de l'employeur. Il faut dire que les entreprises ont tâtonné face à des décisions gouvernementales qui évoluaient quotidiennement. Spécialisé dans la vente de véhicules neufs et d'occasion, le groupe Parot opère sur deux secteurs différents, la vente et l'entretien de véhicules : un flou a longtemps existé sur les activités qui pouvaient se poursuivre. Pour Alexis Bazin, Daf de Precision, groupe mondial spécialiste des valves pour aérosols, la complexité résidait dans la gestion de situations disparates d'un pays à l'autre. « La crise ne touche pas toutes les régions du monde de la même façon ni au même moment, les approches pays sont différentes, même s'il existe parfois des réponses communes », rapporte-t-il. Le "Group Executive Team" s'est alors réuni trois fois par semaine, le transformant ainsi en cellule de crise. « Cela nous permet de réagir vite face à certaines situations inattendues provoquées par la crise ».
Le groupe Terre Comtoise, coopérative agricole, a lui aussi mis sur pied une cellule de crise. « L'objectif était de mesurer l'état d'avancement, d'anticiper les sujets afin d'être réactifs », explique Olivier Debost, Daf du groupe. Chez Clarke Energy, le Codir se réunissait par Skype tous les jours pour faire le point sur les dernières informations du gouvernement notamment. Ces cellules de crise permettent d'être d'équerre avec les réglementations, et donc à l'abri de tout risque juridique. Mais aussi de savoir quels choix opérer quand, soudainement, ferment bureaux et boutiques, clients et fournisseurs.
4 Rassurer et remotiver les équipes
Pour Julie Vallée, directrice du pôle gestion de crise d'Iremos, il n'est pas trop tard pour mettre en place une cellule de crise, malgré la reprise d'activité. « Regroupant différentes fonctions de l'entreprise, une telle cellule permet de prendre en compte tous les risques, contraintes, interdépendances et d'anticiper des scénarios d'évolution à court, moyen et long terme. » Car la reprise transporte avec elle son lot de risques. Première question : accueillir les salariés en toute sécurité dans la durée ? Ainsi, le télétravail doit se poursuivre tant que cela est possible et l'accueil sur site doit être organisé en mettant en place des actions de prévention avec toujours au dessus de la tête l'épée de Damoclès d'un reconfinement.
Le médecin du travail peut être consulté mais ce sont surtout avec les partenaires sociaux que les chefs d'entreprise se sont longuement entretenus pour mettre en place leurs protocoles de déconfinement. Se basant sur le jugement Amazon, Margaux Durand-Poincloux, avocate associée au cabinet ABPA, souligne que « la mauvaise information du CSE est un délit pénal, le délit d'entrave ». « Il n'y a pas de débat : la reprise d'activité et les modalités de la reprise doivent faire l'objet d'une consultation du CSE,» poursuit Nicolas Chataignier, associé en droit social chez Mazars Société d'Avocats.
Il cite une autre décision, celle du tribunal du Havre quant à la suspension de la production de l'usine Renault de Sandouville qui demande, entre autres, une formation « pratique et appropriée » des salariés notamment pour les « matériels de protection » : « L'employeur doit veiller à informer et former ses salariés quant aux mesures barrière ». Ces actions de communication sont d'autant plus importantes qu'elles servent à rassurer et à remotiver des salariés. « Une communication "spéciale reprise" est clé : l'entreprise a de nouvelles attentes, de nouveaux objectifs ; les salariés se posent des questions sur les pertes engrangées, la pérennité des emplois... Il ne faut pas ajouter du flou à la situation », estime Sifra Schaeffer, psychologue sociale du travail et consultante pour Ayming. Pour Vincent Balouet, dirigeant de maitrisedescrises.com, il faut remotiver les équipes, redonner du sens, afin d'éviter les départs non désirés.
David Luponis, associé cybersécurité chez Mazars, invite quant à lui à être attentif au risque cyber lors de la reprise d'activité sur site : « Davantage d'habilitations ont été données afin de pouvoir travailler à distance, des accès à des outils moins connus ont été autorisés, des sites web temporaires ont été créés... La surface d'attaque est beaucoup plus grande ». Sur ce sujet des cyber-risques, Mélodie Alvaro, manager expertise assurances chez Cristal Décisions (groupe Ayming), invite à mettre en place des "gestes barrière" par des actions de sensibilisation auprès des salariés.
La gestion des risques ne doit pas ce limiter à la gestion des risques sanitaires : au-delà des risques juridiques, RH et cyber évoqués, il faut veiller au risque de défaillance des fournisseurs et d'approvisionnement, mais aussi au risque de trésorerie puisqu'il va falloir réinvestir. Le risk management a de beaux jours devant lui.
Témoignage
Grégoire Chevignard, Daf de Solution Energie : "C'est une des leçons de 2008 : se concentrer sur l'essentiel"
Le groupe Solution Energie, entreprise de photovoltaïque, connaissait une crise de croissance lorsque Grégoire Chevignard l'a rejointe il y a un peu plus d'un an en tant que Daf. Mais, c'est à une autre crise qu'il a dû faire face, celle du Covid 19. Premier défi : mettre les équipes au télétravail. "Comme nous travaillons avec l'Asie, nous nous étions préparés à l'éventualité d'un confinement trois semaines avant qu'il ne soit décrété. Nous avions investi dans des imprimantes, des PC et testé nos logiciels". Malgré cela, un changement de culture doit se faire : "L'entreprise ne recourait pas au télétravail avant la crise. Nous avons dû apprendre à gérer la relation à distance".
Au niveau financier, le groupe a un business model basé sur le pré-financement et a donc encaissé sans investir pendant le confinement. Mais l'activité et les investissements vont reprendre... L'entreprise a contracté un PGE et repousse les investissements jugés non urgents, comme l'implémentation d'un nouvel ERP. "C'est une des leçons de 2008 : se concentrer sur l'essentiel", souligne le Daf. L'autre leçon apprise en 2008 : on ne peut pas sauver tout le monde. "Nous aidons un fournisseur sur deux". Côté activité, le redémarrage se fait avec des évolutions notables : la relation commerciale s'effectue au maximum de manière dématérialisée et le groupe a commandé 70 écrans déportés afin de permettre aux commerciaux de montrer les produits en restant à deux mètres des clients.
La crise du Covid-19 est une crise sanitaire, certes, mais les entreprises ne sont pas seulement confrontées à des risques sanitaires, loin de là ! Du risque cyber au risque juridique en passant par les risques psycho-sociaux et juridiques, de nombreux risques sont apparu ou se sont renforcés. L'occ
5 Tréso mon trésor !
Contrairement à la crise de 2008, celle que nous traversons est sanitaire et non financière. Cependant, de nombreuses entreprises françaises sont sorties du confinement avec une trésorerie affaiblie. Certaines ont vite suscité des inquiétudes : la fermeture de l'usine de Renault de Choisy-le-Roi, le placement d'André, Camaïeu ou encore Courtepaille, pour ne citer que ces enseignes, en redressement judiciaire ou encore les difficultés de Conforama à obtenir un PGE ont fait les gros titres des journaux. Et ces dernières semaines les annonces de fermetures de sites (Bridgestone notamment) se sont multipliés. Que se passera-t-il lorsque les aides de l'État se réduiront, qu'il faudra payer les charges reportées alors que les carnets de commande ne seront toujours pas remplis ? Les Daf savent que les difficultés sont devant eux et mettent au point des mesures et des indicateurs pour faire face au risque de défaut de trésorerie.
6 Dialogue et transparence
L'État a mobilisé 450 Md€ pour soutenir l'économie française face à la crise et permettre aux entreprises françaises de bénéficier de mesures comme le chômage partiel, le report des charges sociale ou le PGE. La plupart des Daf se sont concentrés dans un premier temps sur l'obtention de ces aides. Chez Loxam, la demande de PGE a été formulée très tôt, avant même la publication des textes définitifs. « Nous voulions montrer aux investisseurs que nous étions capable de lever rapidement de la liquidité et ainsi les rassurer », explique Laurent Bertrand, directeur financement et trésorerie de Loxam et co-président du comité de pilotage 2020 de l'AFTE. Alexis Bazin, le CFO du groupe Precision, a lui aussi suivi de près les aides gouvernementales, pour l'ensemble des 15 pays dans lequel le groupe est industriellement présent : « Nous nous sommes à chaque fois interrogés sur l'éligibilité de l'entreprise mais aussi sur l'intérêt à en faire la demande. Par exemple, repousser le paiement des charges peut être tentant mais nous ne pouvons alors plus distribuer de dividendes, ce qui entrave notre capacité à faire circuler le cash au sein du groupe. »
Les aides gouvernementales ne sont de toutes façons pas suffisantes pour faire face au risque de défaut de trésorerie. Les entreprises se sont également tournées en masse vers le factoring et ont négocié des découverts avec leurs banques. Fabien Mathieu, directeur des activités Finance, Innovation et Opérations d'Ayming, invite à négocier avec les bailleurs et assureurs: « Il faut payer le juste prix des baux et assurances : les locaux et les véhicules n'ont pas été utilisés pendant plusieurs mois. » Des négociations ont également été menées avec les fournisseurs, pour étaler les paiements. Marie-Pierre Bourmier-Verhee, Daf d'un groupe qui était déjà en redressement judiciaire avant la crise, Antema, est ainsi en discussion avec l'ensemble de ses fournisseurs depuis le début de la crise. « Tous nos coûts ont déjà été rabotés et nous ne pouvons pas bénéficier d'aides de Bpifrance, les banques ne nous prêtent plus... Notre seul recours est la bienveillance et la patience des fournisseurs. »
Discuter avec les fournisseurs peut concerner les paiements mais aussi les commandes. Si la production tourne au ralenti, Laurent Prost, directeur national de l'activité Expertise-Conseil chez Grant Thornton, conseille de fractionner les commandes. « La flexibilité sur les approvisionnements est importante, quitte à payer plus cher. Cela évite de stocker pour rien et surtout de dégrader sa trésorerie ». Les contrats, également, peuvent être renégociés. mais attention avant d'invoquer le cas de force majeure. « Il convient de savoir si les trois critères définissant la situation de force majeure sont remplis, met en garde Laurence Suchet, avocat associé chez Mazars Société d'avocats. A savoir un événement extérieur, imprévisible et irrésistible ». Chaque contrat doit donc être étudié au cas par cas.
Avant tout donc le dialogue doit être privilégié. Christelle Peyrel, directrice finance et trésorerie de Touax, groupe français de vente, location et gestion d'équipements logistiques, et co-présidente du comité de pilotage 2020 de l'AFTE, dit communiquer régulièrement avec ses banques depuis le début de la crise afin de les informer de la situation par activité, de leur résilience de manière factuelle tout en évoquant de possibles impacts.
7 « Culture cash »
Les Daf ont aussi mis en place des mesures autour du « cash in/cash out ». Chez Parot, spécialisé dans la vente de véhicules neufs et d'occasion, début mars les achats ont été figés et l'accent mis sur le recouvrement. « Nous avons dit à nos collaborateurs que c'était la guerre. Il s'agissait de propos violents mais sans ambiguïté qui ont aidé à la mobilisation », rapporte Jérôme Floch, directeur général délégué finances groupe. Mobiliser les équipes autour du cash est essentiel en cette période. "Les équipes peuvent être mise à contribution à travers des objectifs de réduction de coûts ou la recherche de vecteurs d'économie afin de se les approprier », propose Philippe Dufraisse, Daf de transition au sein de sa structure Visualise Partners. Chez Seb, les commerciaux ont été impliqués afin qu'ils remontent le retard de paiement de leurs clients. « La crise a mis en exergue le sujet de la culture cash. Les commerciaux, notamment, doivent savoir s'ils peuvent accepter les demandes de délai de leurs clients et dans quelles conditions », souligne Christelle Peyrel. Sébastien Dalle, associé PwC, spécialiste du retournement d'entreprises, met en garde contre la tentation d'accorder du crédit pour gagner des affaires. « Cette pratique peut vous tuer si vos clients disparaissent avant d'avoir pu payer. »
Pour pouvoir prendre les bonnes décisions, le Daf doit mettre en place des indicateurs solides. « Il faut suivre de manière hebdomadaire, voire quotidienne, les entrées et les sorties de trésorerie, ainsi que le BFR », pense Firas Abou Merhi, associé responsable Financial Advisory Services chez Mazars. Quant à Emmanuel Arabian, le directeur finance et trésorerie du groupe Seb suit de manière quotidienne la situation bancaire du groupe et de manière hebdomadaire le DSO et les retards de paiement clients. Alexis Bazin a accentué certains process comme la mise à jour une fois par semaine des projections hebdomadaires de cash-flow à 8 semaines.
Laurent Prost conseille de créer une cellule de pilotage Covid dédiée au suivi de la santé financière des clients. « Un risque mortel majeur serait la défaillance d'un client important. L'entreprise ne serait alors pas en mesure de rembourser son PGE. Il faut aussi se demander ce qui se passerait si le client tombait et établir différents scénarii ».
Sans aller jusqu'à la défaillance, l'absence de visibilité sur les commandes des plus gros clients est problématique. « Nous essayons d'optimiser nos process Sales & Operations Planning en vue d'être au même niveau d'incertitude que nos clients et de réagir très vite sur l'adaptation de nos capacités industrielles », indique Alexis Bazin. Les Daf essaient en effet d'apporter de la vision opérationnelle afin que l'activité se poursuive mais en limitant au maximum les risques. Ainsi, Eric Palanque, Daf de Paredes, dit se concentrer sur des sujets plus opérationnels que d'ordinaire pour sentir l'activité au jour le jour : facturation, entrée de commandes, commandes bloquées, stocks. Chez Diam Bouchage, le suivi anticipé des commandes a été semi-automatisé. « Cela permet d'avertir la supply chain en cas de baisse et de retournement », indique François Rey, le Daf.
8 Vers davantage de digitalisation ?
Ces indicateurs servent aussi à faire des prévisions, des scénarios, eux aussi revus régulièrement, pour coller au plus près à la réalité. Tous les Daf et experts interrogés parlent d'agilité, de flexibilité : il semble que ce soit le remède à cette crise. Mais pour pouvoir s'adapter à la situation en temps réel, au-delà des indicateurs, le besoin en outils s'est fait sentir. « Le pilotage de l'activité et la robustesse des outils de prévision et de suivi sont importants. Il serait dommage de faire revenir les équipes dans l'entreprise alors qu'il n'y a pas de matière première pour relancer la production », indique Laurent Prost. Et comment suivre la livraison de matière première sans outil performant ?
Cédric Fradin, CFO chez Altitude Infrastructure et président de la DFCG Normandie pense que la crise va accélérer la transformation digitale des directions financières. « Nombre de PME ont eu du mal à produire, pour leur dossier PGE, un plan de trésorerie. Avant la crise, beaucoup naviguaient à vue. Je pense que cela va largement changer post covid-19. » Ce qui, selon lui, ne se fera pas sans de bons outils. François Rey abonde : « Nous avions déjà des projets mais nous les avons accélérés, comme le circuit de validation des factures ou encore l'automatisation des process pour pouvoir clôturer même en mode dégradé. » Même discours chez Clarke Energy : « Juste avant la crise, nous avions mis en place la dématérialisation des commandes et cela nous a simplifié le confinement », rapporte Laurence Tort, la Daf, avouant que ça donne envie de pousser plus loin la digitalisation.
Est-ce que la digitalisation de la direction financière fera partie des investissements nécessaires à ne pas repousser ?
Témoignage
Fabien Dawidowic, Daf de Spendesk : "Nous essayons de sortir des modèles très vite"
Face à la crise, Fabien Dawidowicz, Daf de Spendesk, prône davantage l'adaptation que l'anticipation. "Que ce soit au début du confinement ou maintenant, on ne sait pas à quelle sauce nous allons être mangés. Nous avons donc essayé de sortir des modèles très vite pour faire face aux deux principaux risques : le cash et l'activité", explique-t-il. Un codir exceptionnel réuni quelques jours avant l'annonce du confinement a permis d'estimer les conséquences d'un confinement sur la société. "Au niveau financier, nous avons établi de multiples scénarii et rapidement éliminé un diagramme en V, car la crise est trop vaste pour espérer une reprise rapide. Nous trouvions un scénario en L trop peu ambitieux. Nous sommes donc partis sur un plan en U. Un U qui a dû s'élargir avec le report du déconfinement", rapporte le Daf. Le scénario est d'ailleurs révisé toutes les semaines en fonction des tendances du marché et le budget est revu chaque mois.
L'entreprise s'adapte mais ne subit pas. "Nous planifions dans le temps notre capacité à dégager du cash. C'est basique mais fondamental". Pour suivre au mieux les sujets importants, le Daf a approfondi certains sujets. Sur la facturation client il s'est assuré que le process automatisé fonctionnait bien. "Au niveau des metrics, nous faisons toutes les semaines un point sur quelques KPIs clés : satisfaction client (NPS), churn (nombre de clients perdus), niveau de revenus (MRR), le ratio de clients qui va jusqu'au closing, le niveau des pipelines, etc..." La direction financière réfléchit également aux moyens de financer le décalage entre les prévisions de cash et les rentrées réelles.
Si la crise que nous traversons est sanitaire et non financière, la trésorerie des entreprises est gravement touchée. Entre mesures pour limiter la sortie de cash et indicateurs de suivi de trésorerie, les Daf sont au chevet des liquidités de leur entreprise. Parfois aidés par des outils digitaux.
9 Le monde d'après
Cette crise va forcément marquer notre société de son empreinte. Les médias parlent du "monde d'après", un monde qui serait, aux dires de certains, plus solidaire, plus écologique... Et du côté des entreprises, quel sera ce "monde d'après" ? Que leur a appris la crise ?
La crise a-t-elle permis aux entreprises de prendre conscience de l'importance du risk management ? Selon Frédéric Chaplain, directeur IARD chez Verlingue, elles sont plus à l'écoute quand on leur parle de plan de continuité d'activité (PCA) ou de cellule de crise. « L'approche risques est aujourd'hui dans le radar des entreprises et pas simplement sur le contenu de la police d'assurances. Nous préconisons une démarche qui consiste à analyser le risque, à mettre en place des actions de prévention pour le réduire et ensuite déterminer ce que l'on transfère à l'assurance. Cette bonne pratique semble entrer dans les esprits.»
Les entreprises qui avaient déjà mis en place des mesures de gestion des risques, se sont rendu compte de leurs imperfections. « Dans la cartographie des risques, les critères de probabilité de survenance sont à revoir », conjecture Dominique Pageaud, associé gestion des risques middle market chez EY. En effet, le risque de pandémie était sous-évalué. « Bien souvent, on a constaté que sur le risque pandémique, il manquait des éléments de prise en compte des conséquences sur l'IT de l'entreprise sans parler bien sûr des questions de sécurité de la supply chain. Chez ceux qui disposaient d'un PCA, l'ensemble des dimensions et des impacts constatés n'ont pas toujours été pris en compte », poursuit Thierry Delville, associé cyber intelligence chez PwC.
10 Cap sur la résilience
Une meilleure gestion des risques sera à l'avenir essentielle. « Les investisseurs vont examiner le business plan mais aussi la robustesse de la gestion des risques », pense Dominique Pageaud, rejoint sur ce point par Gisèle Ducrot, associé EY spécialistes des questions de risques : « La résilience va devenir un asset immatériel de l'entreprise, qui lui donnera plus de valeur. » Les entreprises ne doivent plus se construire uniquement sur une logique d'efficience ; les facteurs de résilience comme la maîtrise de la supply chain, doivent être pris en compte. Une étude du cabinet AgileBuyer révèle que 25 % des sociétés envisagent de relocaliser une partie de leurs achats (vs 16 % en janvier). Paredes, groupe de distribution de produits d'hygiène et de protection, est en train de mener des réflexions en ce sens. « Avec l'explosion des prix en Chine, les fournisseurs locaux redeviennent plus intéressants », observe Eric Palanque, son Daf. Par ailleurs, Paredes va certainement augmenter son stock de sécurité.
Pour Gisèle Ducrot, une réflexion plus approfondie sur la question environnementale doit être menée. « Les exigences environnementales apportent de la résilience aux entreprises en les obligeant à réorienter leurs chaînes de production. Les indicateurs et objectifs de développement durable seront bientôt vus comme une opportunité. » Pour Emilie Bobin, associée des activités Développement Durable/ESG de PwC France, c'est à travers l'acceptation de leur responsabilité sociale que les entreprises accèderont à la résilience : « De nombreux investisseurs et entreprises vont repenser les stratégies conçues pré-crise en questionnant leur durabilité. Les sujets de responsabilité sociale seront au coeur de ces réflexions. »
11 L'humain remis au centre
Par son caractère sanitaire, cette crise a par ailleurs contraint les entreprises à revoir leurs organisations pour remettre l'humain au centre. Pour Sifra Schaeffer, psychologue sociale du travail et consultante pour Ayming, la crise est l'occasion de recapitaliser sur l'humain, d'intégrer les risques psycho-sociaux au document unique. « Les dirigeants doivent prendre conscience que la bonne santé psychologique est un puissant facteur de performance. »
Beaucoup d'entreprises ont pris cette problématique à bras le corps, offrant des lignes de soutien psychologique à leurs employés. Au sein du groupe Terre Comtoise, une enquête a été lancée auprès des salariés afin de comprendre comment ils ont vécu le confinement. Des réflexions ont été menées autour du management à distance. « La généralisation du télétravail nécessite un ajustement du management : pilotage différent des objectifs, davantage de confiance envers les équipes, redonner de l'autonomie, du sens... », considère Benoît Ranini, président de TNP Consultants. Frédéric Petitbon associé PwC spécialiste de l'innovation managériale, propose de se focaliser sur trois points : "un management explicite, aux résultats, avec une délégation claire ; des temps d'écoute via le management mais aussi des temps collectifs ; une importance à donner à la proximité relationnelle".
Le principal changement induit par la crise est le recours au télétravail : l'ensemble des entreprises interrogées pour ce dossier nous ont dit vouloir prolonger le travail à distance une fois la crise passée. Au sein du groupe Parot, cela va permettre de conserver l'une des collaboratrices qui menaçait de quitter l'entreprise, habitant trop loin. « Le télétravail permet un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle mais aussi de limiter l'impact carbone », acquiesce Benoît Ranini.
Témoignage
Jan-Luc Ambre, Daf de Kiloutou : "Notre priorité est d'offrir un réel protocole de sécurité"
Présent en Italie et en Espagne, le groupe Kiloutou avait anticipé le confinement... Mais pas la fermeture brutale des chantiers et des agences ! L'entreprise profite de cette fermeture pour revoir l'ensemble de ses process, afin d'assurer la sécurité des salariés et des clients : des agences 100% drive permettent aux clients de commander par téléphone et de récupérer le matériel au pied de leur camion, la dématérialisation est généralisée dans les agences traditionnelles pour éviter les échanges de documents. Si l'activité reprend, elle n'est pas au niveau d'avant. "Notre priorité est d'offrir un réel protocole de sécurité pour accompagner nos clients dans de bonnes conditions", rapporte Jan-Luc Ambre, le Daf du groupe. L'autre objectif est de pérenniser les process nés dans l'urgence, comme le drive, la dématérialisation ou le télétravail.
Les entreprises vont également accélérer leur digitalisation. Laurent Bertrand, CFO de Loxam, rapporte le succès rencontré par leur réseau social d'entreprise pendant le confinement. « Une autre façon de travailler a été expérimentée et ces outils seront conservés. » François Rey, le Daf de Diam Bouchage, se félicite d'avoir réalisé la première clôture fiscale annuelle avec 80 % des équipes en télétravail. « Grâce à une forte digitalisation, nous n'avons pas connu de difficultés majeurs et avons mis au jour des leviers de productivité qui resteront bénéfiques pour l'après crise. Nous avons même conduit notre premier inventaire physique en téléconférence avec nos auditeurs ! »
Les entreprises ont fait preuve d'une belle capacité d'adaptation. « La crise a révélé une relative impréparation des entreprises mais a aussi montré à quel point elles étaient capables de rebondir », constate Frédéric Chaplain. Beaucoup n'ont pas hésité à revoir leur business model, s'adressant aux particuliers et non plus uniquement aux professionnels, mettant en place des services online pour respecter la distanciation physique, etc. « La situation a valorisé les entreprises capables de s'adapter rapidement. Une des clés de cette adaptation est l'innovation désormais perçue comme vitale », constate David Cohen-Boulakia, directeur Innovation PwC France et Maghreb. « C'est une période qui pousse à être créatif, plus imaginatif. Mais cela veut dire qu'il ne faut pas stopper les investissements : sans investissement, pas de croissance », conclut Stéphane Gouyer, Daf en transition.
A retenirLes leçons à tirer pour la suite - La crise a remis au centre le risk management. - Les problématiques de trésorerie poussent à revenir à l'essentiel. - Digitaliser et modéliser les projections devient vital. - Travailler différemment pour plus de réactivité et de créativité favorisera la reprise. |
Qu'est-ce que cette crise va apporter aux entreprises ? Entre digitalisation et gestion des risques, la pandémie de Covid-19 offre aux entreprises l'occasion de se réinventer.
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