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Leadership mondial, quelle place pour l'Europe entre la Chine et les Etats-Unis ?

La guerre en Ukraine a, depuis plus d'un an, bousculé l'équilibre géopolitique. Les tensions entre les États-Unis et la Chine se sont notamment intensifiées. Quelles sont les conséquences de ces nouvelles tendances géopolitiques sur l'économie et les entreprises européennes ?

Publié par Florian Langlois le - mis à jour à
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Leadership mondial, quelle place pour l'Europe entre la Chine et les Etats-Unis ?
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Les États-Unis, la Chine et l'Europe représentent aujourd'hui plus de 50% du PIB mondial à eux trois. Si, depuis plusieurs années, ces économies étaient relativement mondialisées, avec une grande liberté de mouvements et de capitaux, les choses ont quelque peu changé depuis un peu plus d'un an et la tendance porte désormais sur davantage de mesures protectionnistes, notamment en Chine et aux États-Unis.

« Il faut tout de même être prudent sur l'idée d'une démondialisation, car les chiffres du commerce international en 2022 ont encore battu des records, tempère Elvire Fabry, chercheuse responsable de la géopolitique du commerce à l'institut Jacques Delors, à l'occasion d'un webinaire organisé par AU Group et Allianz Trade. Néanmoins, les sondages réalisés par la chambre de commerce américaine en Chine et la chambre de commerce de l'Union européenne en Chine montrent qu'en 2021, les entreprises planifiaient un effort de diversification et que l'année dernière, elles sont passées à une accélération de la mise en oeuvre de ces stratégies ».

Avec la guerre en Ukraine et le rapprochement de la Chine et de la Russie, les États-Unis ont pris un certain nombre de mesures agressives pour « essayer de déconnecter la Chine de ­l'accès aux technologies américaines, freiner la course vers le leadership technologique, qui est l'objectif affiché par la Chine », toujours selon Elvire Fabry. Parmi celles-ci, « les États-Unis ont choisi d'empêcher l'accès des entreprises chinoises aux semi-conducteurs américains, au savoir-faire, et disposent également d'une liste sur laquelle sont mentionnées les entreprises vers lesquelles les restrictions aux exportations sont appliquées » poursuit la chercheuse.

La Chine a également pris des mesures contre les États-Unis et l'Europe. « Elle s'est également dotée d'une liste indiquant les entreprises visées par des restrictions d'exportation. De plus, la Chine a choisi, en janvier dernier, d'appliquer des licences sur les exportations de plaquettes des panneaux solaires, secteur dans lequel elle est en position de monopole. Elle pourrait aussi être en disposition d'appliquer des mesures de coercition économique et des restrictions sur des exportations, des mesures préoccupantes qui posent la question de nos dépendances excessives à certaines importations venant de Chine » développe Elvire Fabry.

L'Europe tente de répondre

Face à ces deux géants en conflit, l'Europe tente de mener une politique ambitieuse pour limiter sa dépendance économique, gagner en indépendance et ne pas se retrouver victime des restrictions aux exportations de la part de ces partenaires commerciaux. « Les Européens ont entrepris, dès 2020, de se doter d'outils qui leur permettaient de défendre de manière autonome et unilatérale les intérêts des entreprises européennes sur le marché intérieur. En plus de ce renforcement du contrôle sur les investissements étrangers au sein du marché intérieur, il y a désormais un outil de contrôle des subventions étrangères. Dorénavant, nous nous intéressons à la source des investissements qui peuvent être faits sur le marché intérieur. Il y a un instrument de réciprocité dans l'ouverture des marchés publics, non pas pour restreindre ou limiter l'attractivité du marché européen en mettant des barrières, mais pour s'en servir comme levier pour obtenir des pays tiers qu'ils ouvrent aussi davantage leurs marchés publics, car c'est un levier important de développement » complète Elvire Fabry.

Maxime Darmet, économiste spécialisé sur les États-Unis et la France chez Allianz Trade, note une prise de conscience et une accélération récente de l'Europe sur le sujet de l'industrie verte, considérée comme « un secteur ultra stratégique pour l'avenir » par l'économiste avec le lancement, par la Commission européenne, d'un pacte vert pour l'Europe. « L'idée est d'augmenter l'investissement privé dans les industries bas carbone : un secteur à suivre de très près. La Commission veut par la même occasion simplifier le cadre réglementaire en accélérant la mise en oeuvre des projets d'investissement dans les industries vertes, car de nombreuses entreprises se plaignent aujourd'hui de toute la bureaucratie qui existe en Europe. Le deuxième volet de ce Green Deal est une relaxation des aides d'État. S'ils le souhaitent, les États membres pourront intégrer des instruments tels que des subventions ou des crédits d'impôt pour aider ces industries vertes » rapporte Maxime Darmet.

Plus de risques pour les entreprises

Avec ce même objectif d'indépendance, l'Union européenne va également mettre en place un système qui s'appa­rente à une taxe carbone. « Les importations dans l'Union européenne vont être soumises à une sorte de taxe s'ils ont un contenu en carbone élevé. Concrètement, cela signifie que si vous êtes ­impor­tateurs et si vous importez des biens chinois qui ont un fort contenu en carbone, vous devrez acheter des droits de douane sur le marché européen. Ce mécanisme d'ajustement est prévu pour 2026-2027 » indique Maxime Darmet.

Quels impacts ces politiques menées par l'Union européenne auront-elles sur les entreprises européennes et françaises ? Elvire Fabry recommande à ces dernières de se lancer dans une logique de diversification de leurs fournisseurs. « Il y a une attention spécifique à l'intensification des échanges de partenariats stratégiques qui peuvent être développés avec d'autres pays, notamment dans toute la zone Asie du Sud-Est. Ce sont des coûts et des investissements lourds. Il y a également le recours à des stocks plus importants. »

En outre, de nouveaux risques vont apparaître pour les entreprises. « Plus de coûts signifie aussi plus de risques, notamment dans les secteurs stratégiques comme les technologies vertes, les biotechnologies ou les équipements de laboratoire. Ces secteurs vont être de plus en plus scrutés par le département du Trésor américain. Il est d'ailleurs possible qu'ils coupent l'accès au dollar pour les entreprises qui investissent en Chine dans ces secteurs stratégiques afin de les en dissuader. En résumé, beaucoup de risques pour les entreprises qui vont devoir être vigilantes sur leurs investissements » commente Maxime Darmet. Un point sur lequel Elvire Fabry le rejoint complètement. « Il existe un risque que se développent des espaces réglementaires différents avec des logiques d'exclusion » poursuit la chercheuse. Aux entreprises, donc, et à leurs directions financières de s'adapter à ces nouvelles donnes. Un exercice dans lequel excellent les Daf.

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