Les banques centrales à l'ère des monnaies numériques
Europe, Royaume-Uni, Chine, Etats-Unis... l'essor des monnaies numériques marque des points. A quels enjeux répond-elle ? Quelles sont les spécificités et défis de chaque Etats qui se lance dans les paiement numériques ? Explications.

Avec l'essor des cryptomonnaies et la digitalisation des échanges, les banques centrales intensifient leurs travaux sur les monnaies numériques de banque centrale (MNBC). Ces initiatives ne sont pas seulement motivées par une volonté d'innovation, mais aussi par la nécessité de répondre aux défis posés par des acteurs privés comme les stablecoins (USDT, USDC) ou encore par l'émergence de devises numériques utilisées comme alternative aux monnaies fiduciaires. Le développement d'une MNBC permettrait aux banques centrales de conserver leur rôle dans la gestion des flux monétaires, de sécuriser les transactions numériques et d'éviter un éclatement du système financier en plusieurs écosystèmes indépendants.
Les enjeux sont multiples : amélioration de l'efficacité des paiements, lutte contre le blanchiment d'argent, réduction des coûts de transaction et inclusion financière. En effet, dans certaines régions du monde où les infrastructures bancaires sont peu développées, les MNBC pourraient offrir une alternative fiable à la détention d'un compte bancaire traditionnel. Par ailleurs, elles permettraient aux banques centrales d'exercer un contrôle plus direct sur la politique monétaire en réduisant la dépendance aux banques commerciales.
Europe : L'euro numérique en préparation
La Banque centrale européenne (BCE) est l'une des institutions les plus avancées dans la mise en place d'une MNBC, avec un projet d'euro numérique qui a franchi une nouvelle étape en octobre 2023. Ce projet vise à offrir aux citoyens européens un moyen de paiement sécurisé, accessible et compatible avec les évolutions technologiques actuelles. L'objectif est également de renforcer la souveraineté monétaire de la zone euro face aux menaces que représentent les cryptomonnaies privées et les monnaies numériques étrangères.
La BCE prévoit une mise en circulation progressive de l'euro numérique, qui coexisterait avec l'argent liquide, tout en offrant une alternative aux paiements numériques actuels, dominés par des acteurs privés. L'enjeu est crucial, notamment pour assurer la résilience du système financier face à des crises éventuelles et limiter l'influence de géants technologiques américains et chinois dans le domaine des paiements. Toutefois, des défis restent à surmonter, notamment en ce qui concerne la protection des données des utilisateurs et la gestion des équilibres entre anonymat et lutte contre la fraude.
Royaume-Uni : Une MNBC
La Banque d'Angleterre envisage une approche plus spécifique pour sa MNBC, en se concentrant principalement sur l'amélioration des transactions interbancaires. Actuellement, les transactions de grande envergure sont réalisées via le système de règlement brut en temps réel (RTGS), qui, bien qu'efficace, pourrait être modernisé grâce à l'utilisation de la blockchain et des registres distribués. L'intégration d'une MNBC dans le cadre interbancaire permettrait non seulement d'accélérer les règlements, mais aussi de réduire les coûts liés aux transferts de fonds à l'échelle nationale et internationale. Un autre enjeu clé est la sécurisation des transactions financières face aux cybermenaces, un domaine dans lequel l'utilisation d'une technologie basée sur la blockchain pourrait offrir une meilleure traçabilité et une réduction des risques liés aux fraudes.
Chine : Le yuan numérique en pleine expansion
Depuis plusieurs années, la Banque populaire de Chine (PBOC) travaille au développement du yuan numérique, appelé e-CNY, qui est déjà testé à grande échelle dans plusieurs grandes villes du pays. Contrairement à d'autres initiatives, qui en sont encore au stade expérimental, le yuan numérique est déjà utilisé pour des transactions du quotidien et dans des paiements transfrontaliers.
L'un des objectifs stratégiques est de réduire la dépendance de la Chine au dollar américain, notamment dans les échanges internationaux. Avec l'intensification des tensions géopolitiques et les sanctions économiques visant certains pays, Pékin voit dans le yuan numérique un moyen de renforcer son autonomie financière et de s'affranchir du système Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) dominé par les États-Unis. Par ailleurs, l'e-CNY permet au gouvernement chinois de mieux contrôler les flux financiers et d'empêcher l'évasion de capitaux, un enjeu crucial pour la stabilité économique du pays.
États-Unis : Trump et la nouvelle approche des cryptomonnaies
Aux États-Unis, le débat autour des MNBC et des cryptomonnaies a pris une tournure politique avec les récentes déclarations de Donald Trump, qui s'est positionné en faveur d'une adoption plus large des cryptomonnaies, notamment du Bitcoin. En revanche, il s'oppose fermement à l'idée d'une monnaie numérique de banque centrale, la qualifiant de menace pour la liberté financière des citoyens américains.
Il a également annoncé vouloir bloquer toute tentative de mise en place d'un dollar numérique par la Réserve fédérale. Cette prise de position s'inscrit dans un contexte de méfiance accrue envers les institutions financières et de montée en puissance des actifs numériques comme alternatives aux monnaies traditionnelles. Ses déclarations ont eu un impact direct sur le marché des cryptos, entraînant une hausse de la valorisation du Bitcoin et des autres actifs numériques en raison de l'optimisme des investisseurs vis-à-vis d'un cadre réglementaire plus favorable sous une éventuelle nouvelle administration Trump.
Et pour les Daf français ?
L'émergence des MNBC et l'évolution des cadres réglementaires autour des cryptomonnaies auront un impact significatif sur les entreprises et leurs directions financières. D'un côté, les monnaies numériques de banque centrale offrent une opportunité d'améliorer l'efficacité des paiements transfrontaliers et de réduire les coûts liés aux transactions en devises. D'un autre côté, elles posent de nouvelles questions en matière de conformité, de cybersécurité et de gestion des risques financiers.
Pour les directeurs financiers et les trésoriers d'entreprise, il est essentiel d'anticiper ces évolutions et de mettre en place des stratégies adaptées. La montée en puissance du Bitcoin en tant qu'actif de réserve et les initiatives autour des MNBC nécessitent une réévaluation des politiques de trésorerie et d'investissement. Les entreprises devront également se préparer à intégrer ces nouvelles formes de monnaie dans leurs systèmes comptables et à adapter leurs stratégies de gestion des liquidités en fonction des évolutions du marché. -
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