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Banques européennes : vers un reporting ESG plus stratégique ?

Le cabinet KPMG a analysé les premiers rapports de durabilité publiés par un panel de 20 grandes banques européennes. Le cabinet souligne une réelle avancée en matière de transparence ESG, tout en appelant les établissements à mieux expliciter leurs trajectoires et à renforcer la lisibilité des progrès accomplis. Décryptage.

Publié par Christina DIEGO le | mis à jour à
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Banques européennes : vers un reporting ESG plus stratégique ?
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L'édition 2025 de l'étude Pulse of Banking réalisée par KPMG offre un panorama inédit des premières publications de reporting de durabilité issues de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Ce benchmark porte sur 20 banques, dont 7 Françaises et 13 Européennes dont 8 ayant publié de manière volontaire, notamment en Espagne, aux Pays-Bas et en Allemagne, où la transposition locale de la directive n'était pas encore effective.

Les principaux enseignements dévoilent une disparité de renseignement de l'empreinte carbone selon les émissions propres et celles financées. Seuls 65 % des banques ont complété les informations chiffrées sur les scopes 1, 2, 3 y compris 3.15 (émissions financées) dans le tableau obligatoire. Et 25% n'ont pas souhaité communiquer sur les émissions liées à leur fonctionnement. Plus significatif encore, 75 % des banques du panel ont exclu les émissions financées du tableau réglementaire pourtant requis.

Double matérialité : un filtre bien appliqué mais hétérogène

La directive CSRD, qui impose une évaluation simultanée des impacts ESG sur l'entreprise et de l'impact de l'entreprise sur la société, semble bien comprise. Les banques ont identifié en moyenne 31 IROs matériels (Risque, Impact, Opportunité), et un consensus se dégage autour de quatre thématiques : le changement climatique (E1), les effectifs propres (S1), les consommateurs finaux (S4) et la conduite des affaires (G1).

En revanche, la matérialité de la biodiversité (E4) fait encore débat, notamment parmi les établissements français et espagnols. En effet, la question de la biodiversité demeure, à ce stade, moins mature que celle du climat dans les travaux des établissements bancaires. « Contrairement aux enjeux climatiques, pour lesquels les institutions disposent déjà de plusieurs années de données, d'études et de métriques permettant d'apprécier plus concrètement leur exposition aux risques, l'impact des activités bancaires sur la biodiversité reste plus indirect et difficile à appréhender », précise Sylvie Miet, associee Lead Regulatory & Sustainable Banking Hub de KPMG France.

La difficulté principale a résidé dans la nécessaire appropriation des nouvelles définitions introduites par les normes, et dans l'obligation de les appliquer de manière homogène à l'échelle de groupes internationaux. « En effet, une même notion peut faire l'objet d'interprétations divergentes selon les juridictions. Ce travail de normalisation et de coordination des pratiques s'est avéré particulièrement lourd et structurant », détaille l'experte.

Climat : des engagements inégaux sur les émissions financées

L'analyse des émissions de gaz à effet de serre met en lumière une distinction nette entre les émissions liées au fonctionnement des banques (scopes 1, 2, 3 hors financements) et les émissions financées (scope 3.15), qui représentent en moyenne plus de 95 % de l'empreinte carbone totale. Les limites d'accès à certaines données ont constitué un obstacle supplémentaire. « Les banques, pour évaluer les émissions financées de leurs portefeuilles, dépendent directement des données communiquées par leurs clients. Or, ces derniers, également soumis aux nouvelles obligations de reporting CSRD, ont pour la plupart publié leurs propres rapports simultanément, rendant les informations nécessaires difficilement disponibles dans les délais impartis », nous indique-t-elle.

Cette disparité souligne la difficulté, pour les établissements, de traduire en indicateurs concrets les engagements pris, alors même que 90 % des banques analysées ont adhéré à la Net Zero Banking Alliance et se sont engagées en faveur d'objectifs ambitieux de décarbonation. « Il s'agit d'un premier exercice, qui s'inscrit dans un contexte de transition encore en cours : les prochaines publications devraient bénéficier de l'amélioration progressive de la qualité et de la disponibilité des données extra-financières produites par les entreprises clientes, ce qui permettra aux banques de fiabiliser leurs estimations et de renforcer la cohérence entre leurs engagements stratégiques et les indicateurs publiés », explique-t-elle.

Un tissu bancaire français hétérogène

Cette complexité a été d'autant plus marquée en France, où le tissu bancaire se distingue par la présence d'acteurs de très grande taille. « Le pays concentre en effet le plus grand nombre de banques dites « G-SIB » (Global Systemically Important Banks), ce qui implique des structures plus complexes, un nombre de filiales élevé et, par conséquent, un volume d'informations à collecter et à fiabiliser bien supérieur à celui d'autres juridictions européennes », précise Sylvie Miet.

Dans le détail, la couverture par contrepartie, la qualité des données et la clarté méthodologique restent très hétérogènes, compliquant toute tentative de comparaison interbancaire. Certaines banques françaises, notamment, sont moins transparentes sur ces dimensions. Pour la plupart de ces banques, l'empreinte carbone liée à leur fonctionnement propre - c'est-à-dire les émissions associées à leurs bâtiments, à la mobilité des collaborateurs ou à leur consommation énergétique directe - ne constitue pas le principal poste d'impact environnemental. « Certaines ont ainsi estimé que ces données n'étaient pas suffisamment significatives pour justifier une communication détaillée à ce titre », souligne l'experte. Les émissions financées - c'est-à-dire celles générées par les activités de financement ou d'investissement des banques - constituent la majeure partie de leur empreinte carbone, « mais elles sont aussi les plus complexes à évaluer ».

Focus social et gouvernance : des efforts tangibles mais partiels

L'étude précise que les thématiques sociales sont mieux couvertes, notamment sur les effectifs propres, avec des données solides sur le taux de turnover (moyenne de 10 %), l'égalité salariale (écart H/F moyen de 27,5 %) et la féminisation du top management (32,6 %). Toutefois, les indicateurs relatifs à la santé au travail (absentéisme, accidents) ou aux budgets de formation restent trop rarement publiés.

Côté gouvernance, 90 % des banques jugent la lutte contre la corruption significative, mais seuls 25 % traitent la question du lobbying. La cybersécurité, la fiscalité responsable ou l'engagement actionnarial sont abordés de manière très variable.

Vers un pilotage stratégique ?

L'étude souligne que la CSRD ne se limite pas à un exercice de transparence, mais pourrait devenir un outil stratégique de pilotage, à condition de structurer davantage l'information publiée. À ce stade, peu d'établissements démontrent comment les politiques ESG sont intégrées à leurs outils de gestion.

Si des éléments tangibles sont d'ores et déjà publiés, la comparaison entre établissements demeure difficile. « Cela est particulièrement vrai pour les émissions financées, dont le calcul reste l'un des volets les plus techniques et sensibles du reporting. La principale difficulté réside dans l'établissement de correspondances précises entre les actifs inscrits au bilan, les types de financements accordés (prêts, crédits à la consommation, crédits de trésorerie, etc.) et leur prise en compte dans le calcul des émissions », détaille Sylvie Miet.

À ce jour, l'absence d'un cadre commun de lecture ne permet pas une analyse véritablement harmonisée portefeuille par portefeuille, rendant toute comparaison interbancaire encore largement inopérante. Ce constat souligne l'ampleur du travail restant à accomplir pour parvenir à une transparence opérationnelle et stratégique réellement comparable d'un acteur à l'autre.

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