Les directions financières, nouveaux piliers pour piloter la transformation ESG ?
[EXCLUSIVITE] Le dernier baromètre « CFO Perspective on Sustainability » révèle une implication croissante des Daf dans les enjeux de durabilité, malgré des freins persistants liés aux données, aux outils et à la rentabilité perçue. Décryptage.

Selon le baromètre international « CFO Perspective on Sustainability » mené par Axys et l'ICFOA, 84 % des répondants estiment que le rôle de la direction financière est désormais central ou en pleine évolution dans le pilotage des transformations durables. Ce chiffre traduit un repositionnement fort des CFO, désormais au coeur des arbitrages liés à la performance extra-financière.
Alignement de la stratégie financière et la RSE
Parmi les priorités de la fonction finance figurent l'alignement de la stratégie financière avec les objectifs RSE (18 %) ; l'identification et la gestion des risques et opportunités ESG (16 %) ; l'intégration des données ESG dans la prise de décision (15 %) ; et le développement des compétences internes sur ces sujets (14 %).
Le baromètre fait état du degré de maturité des directions financières dans l'intégration des enjeux de durabilité, en explorant plusieurs dimensions. « Il s'agissait notamment d'apprécier dans quelle mesure ces enjeux sont intégrés à la stratégie financière, aux processus internes, mais également à l'évolution des compétences », nous précise tout d'abord Fazil Boucherit, directeur consulting Finance et Performance Management du cabinet d'Axys.
Des défis structurels encore majeurs
Si la dynamique est engagée, les freins sont nombreux et diffèrent selon les zones géographiques. En Europe, les principaux obstacles sont le manque de données fiables, la difficulté à mesurer le ROI des projets durables et le coût initial élevé des investissements. En Afrique et en Amérique du Sud, s'ajoutent des problématiques de pression court-termisme et d'accès limité aux outils de pilotage ESG.
Autre constat partagé : l'usage encore très répandu d'Excel comme outil principal de reporting ESG, voire l'absence d'outils automatisés dans une entreprise sur deux en Afrique et en Amérique du Sud. Cette hétérogénéité ralentit l'intégration des critères durables dans les prévisions financières et la consolidation des données.
Malgré ces résultats, l'enquête démontre que les directions financières ont engagé des démarches concrètes. « En Europe, la pression normative semble accélérer les initiatives, en particulier dans la mise en place de dispositifs de reporting extra-financier en lien avec les objectifs de décarbonation », souligne Fazil Boucherit.
La décarbonation, précisément, apparaît comme une priorité stratégique. Elle est régulièrement mentionnée par les répondants lorsqu'il s'agit d'identifier les sujets majeurs, au même titre que la transition énergétique - par exemple, à travers le renouvellement d'outils industriels. Ces enjeux commencent à structurer des décisions d'investissement, à guider le pilotage opérationnel et à faire émerger une articulation plus fine entre indicateurs ESG, CAPEX, OPEX... et même, dans certains cas, la notion de « budget carbone ».
Les répondants témoignent d'une compréhension croissante des enjeux ESG, qu'ils appréhendent de manière plutôt pertinente à ce stade. Toutefois, l'intégration reste largement centrée sur la dimension environnementale, et plus spécifiquement sur la décarbonation. Si cette orientation constitue une avancée notable, les aspects sociaux et de gouvernance sont encore peu pris en compte, alors même qu'une approche véritablement multidimensionnelle est essentielle pour répondre aux exigences contemporaines de la durabilité. « Nous observons ainsi que, si le chemin reste long, une dynamique est bel et bien enclenchée. Ce que révèle également l'étude, c'est une approche résolument multidimensionnelle : bien que l'environnement demeure le coeur des préoccupations, les dimensions sociales sont elles aussi prises en compte - santé, bien-être des collaborateurs, conditions de travail - ce qui témoigne d'une vision élargie et plus mature de la RSE », analyse l'expert.
Une intégration progressive mais incomplète
Si 24 % des entreprises interrogées affirment intégrer systématiquement des critères RSE dans leurs décisions d'investissement, 30 % ne les considèrent que selon les projets, et 25 % continuent à se fonder exclusivement sur des critères financiers traditionnels. La marge de progression reste donc importante.
Les Daf les plus avancés commencent à modifier leurs modèles de prévision pour y inclure des variables ESG, ajustent leurs hypothèses pour mieux refléter les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance, et développent des prévisions financières spécifiques à leurs projets durables.
Cependant, plusieurs freins majeurs persistent. « Le premier concerne la qualité et la disponibilité des données : l'accès à une information fiable, structurée et pertinente demeure un obstacle récurrent. Sans données de qualité, il demeure difficile de piloter les actions, d'évaluer la performance ou encore de mesurer le retour sur investissement des initiatives durables. Le second est d'ordre technologique : le manque d'automatisation des processus constitue une contrainte importante à l'intégration efficace des données ESG dans la stratégie financière globale », rappelle-t-il.
Vers une montée en puissance des compétences et des outils
Pour soutenir cette transformation, les CFO identifient quatre leviers prioritaires comme renforcer la compréhension des enjeux ESG et de leur impact financier ; se familiariser avec les normes réglementaires liées à la durabilité ; maîtriser les outils et indicateurs de mesure de la performance durable ; et piloter le changement organisationnel. La structuration d'équipes transverses réunissant finance et RSE devient essentielle, de même que la création de fonctions dédiées à la collecte et à l'analyse des données de durabilité.
« Cette situation n'est guère surprenante. Intégrer pleinement les critères de durabilité dans la stratégie et les processus financiers suppose un certain niveau de structuration et de préparation que ce soit d'un point de vue organisationnel et opérationel, que tous n'ont pas encore atteint. Parmi les freins majeurs identifiés, le manque de données fiables et accessibles est récurrent : sans données de qualité, il demeure difficile de piloter les actions, d'évaluer la performance ou encore de mesurer le retour sur investissement des initiatives durables », explique Fazil Boucherit.
Un autre obstacle important concerne le niveau de compétences au sein des fonctions financières. Nombre de professionnels ne sont pas encore suffisamment acculturés aux spécificités des critères ESG ni à leurs implications opérationnelles. « Ce déficit de compétences, pointé de manière transversale dans l'ensemble des pays couverts par l'étude, constitue un enjeu stratégique pour assurer une transition crédible et pérenne », conclut-il.
Sur le même thème
Voir tous les articles Finance durable