[Dossier] Entreprise à mission : Daf, vous avez un rôle à jouer !
Si devenir une entreprise à mission est souvent le fait du chef d'entreprise, le Daf n'est pas que spectateur de cette transformation, bien au contraire. Il doit s'emparer de cette nouveauté pour faire évoluer la notion de performance au sein de sa structure.
Instaurées par la loi Pacte du 22 mai 2019, les entreprises à mission commencent à se faire leur place dans le paysage économique français. D'après le site societeamission.com, elles seraient 1 171 à date. 1 171 entreprises qui ont fait le choix d'affirmer publiquement leur raison d'être et de l'inscrire dans les statuts de l'entreprise, accompagnée d'objectifs sociaux et environnementaux qu'elles se donnent pour mission de poursuivre. « Les directions administratives et financières ne sont pas forcément les plus visées à travers ce changement de qualité juridique. Pour autant, les Daf ne sont jamais très loin des réflexions qui accompagnent cette évolution » juge Vincent Wisner, directeur général de Prophil, entreprise à mission, de conseil et de recherche dédiée à la contribution des entreprises au bien commun.
En effet, si adopter la qualité d'entreprise à mission est la décision du chef d'entreprise, le Daf, en tant que garant de la performance de l'entreprise, a véritablement un rôle à jouer dans la mise en place des objectifs de la mission. « Le Daf, qui est capable de gérer les données financières et de comprendre les interactions entre les différentes données, peut devenir l'architecte de la nouvelle approche de la performance prônée par les entreprises à mission, celle d'une performance globale. Cela peut lui apporter un nouveau rôle stratégique » estime Martin Richer, président et fondateur de la société de conseil Management & RSE. Pour cela, le Daf doit cependant être prêt à faire évoluer sa vision de la performance et le rôle de la direction financière au sein de l'entreprise.
Feuille de route de la mission
Un des premiers rôles que peut porter le Daf au sein d'une entreprise à mission est de décliner les objectifs statutaires en objectifs opérationnels, en actions et en indicateurs. « L'idée est de donner de la consistance aux objectifs statutaires afin de s'engager dans une démarche d'évolution » explique Vincent Wisner. En effet, qui de plus pertinent que le Daf pour élaborer les tableaux de bord dont ont besoin les dirigeants d'entreprises à mission ? « Il peut aider à transformer la mission en plan d'action et accompagner le dirigeant d'entreprise dans cette étape de feuille de route qui n'est pas toujours facile à élaborer » pense Martin Richer. Cet exercice de feuille de route est effectivement souvent le plus fastidieux, cependant il est essentiel pour les entreprises à mission. « Une société à mission bien faite a une feuille de route claire et engageante qui reflète ce que réalise l'entreprise » note Errol Cohen, avocat au cabinet Le Play.
Martin Richer estime, par ailleurs, que le Daf peut aider le comité de mission, qui est un organe social chargé de suivre et d'évaluer la conformité de la gestion de l'entreprise, par rapport à la mission, à faire son travail. « Le Daf peut aussi contribuer à ce que l'OTI fasse un audit véritable » ajoute-t-il. Le décret du 2 janvier 2020 prévoit en effet la vérification par un organisme tiers indépendant (OTI) de l'exécution par la société à mission des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés dans ses statuts. Le Daf, habitué aux audits financiers, peut tout à fait prendre en charge cet audit de la mission et lui appliquer la méthodologie qu'il utilise pour les audits financiers.
La direction financière peut également être au coeur des objectifs de l'entreprise à mission et le Daf devenir ainsi un des acteurs principaux de la réalisation de la mission. Par exemple, l'un des engagements de la mission de la société d'investissement RAISE est de mesurer la création de valeur économique et sociétale de son action dans le but de transformer durablement les entreprises. Ce qui n'est pas sans impact sur la direction financière. « Nous devons mettre en lumière les informations que nous transmettons aussi bien aux investisseurs, car on leur doit de la transparence, mais aussi aux entreprises dans lesquelles nous entrons au capital, pour les accompagner. Ce qui veut dire que nous ne nous limitons pas à un exercice de reporting financier, mais que nous délivrons des informations sur l'impact et/ou l'ESG. Par ailleurs, nous ne nous contentons pas de les fournir, de mettre des KPIs dans un rapport, mais nous les faisons vivre pour les suivre dans le temps, nous ne racontons pas des histoires » décrit Romain Broutier, Daf de la société. Il insiste aussi sur le fait de ne pas uniquement fournir une photo à un instant donné, mais de présenter un scénario à long terme afin d'accompagner les entreprises dans le temps et de prendre en compte l'évolution.
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Enjeux sociaux et environnementaux
Pour Vincent Wisner, le Daf a aussi un rôle à jouer en raison de sa position transverse au sein de l'entreprise : en lien avec toutes les directions de l'entreprise, il peut utilement collecter les données nécessaires à la poursuite de la mission, mais aussi diffuser au sein de l'entreprise les objectifs de la mission. « Cela induit pour les directions financières une capacité à bien comprendre ce que désigne le terme de mission, ce que ça entraîne en matière de remontée de données. Il ne faut en effet pas que ce soit uniquement des données quantitatives. Il y a une nécessité d'élargir la notion de valeur » met-il en garde.
Par conséquent, pour bien accompagner une entreprise à mission, le Daf doit lui aussi évoluer. « Il ne lui est pas attribué des rôles différents, mais l'état d'esprit évolue ainsi que la collaboration avec les autres directions du groupe. On est sur un fonctionnement plus collectif » constate Luc Delage, directeur général adjoint responsable de la direction du pilotage économique et financier du groupe MAIF, qui est une entreprise à mission. La première évolution du Daf est donc culturelle. Non seulement le Daf doit davantage s'ouvrir aux autres directions, mais il doit également leur parler un autre langage. « Il s'agit de quitter le paradigme financier vs extra-financier qui est une opposition stérile, considère Martin Richer. Il faut au contraire un jeu de données complet pour se prononcer sur la rentabilité et la pérennité d'une entreprise et être plus ouvert aux aspects sociaux et environnementaux. »
Alain Schnapper, directeur général de la Communauté des entreprises à mission, souligne que devenir entreprise à mission questionne la notion même de performance, qui ne se résume plus à la performance financière. « Cela amène le Daf à se reposer la question de l'évaluation de la performance de l'entreprise et à mettre en place des moyens de mesure qualitatifs ou quantitatifs qui ne se contentent pas de compter les euros. Il s'agit d'être en mesure d'inventer des façons de mesurer les actions et les résultats de manière différente, d'imaginer de nouveaux outils » analyse-t-il.
Un nouveau point de vue qui n'est pas si facile à acquérir, à en croire Tristan Dollé, Daf de Sublime Énergie, entreprise à mission dans le secteur du biogaz. « Quand on sort d'une école de commerce et qu'on a suivi le parcours classique audit-banque-fonds d'investissement, on n'a pas cette connaissance des autres indicateurs qui peuvent être pertinents. Il faut se former et s'acculturer aux enjeux sociaux et environnementaux, car sinon, on ne développe pas les bons indicateurs » observe-t-il. Lui s'est notamment formé via la Convention des entreprises pour le climat qu'il a suivie avec le président de l'entreprise : via six sessions sur une année, il a été sensibilisé et formé aux enjeux de la transition économique et environnementale.
Réinventer la finance
En évoluant en même temps que son entreprise, pour mieux l'accompagner dans la mise en place de sa mission, le Daf peut être amené à réinventer son rôle, voire même à réinventer la finance. Un mal nécessaire pour Tristan Dollé qui considère que le modèle financier atteint ses limites. « Il y a un nouveau modèle à inventer avec une boussole qui ne soit pas uniquement la maximisation du gain, mais également la prise en compte, à égalité, des enjeux sociaux et environnementaux » suppute-t-il. Même constat du côté de Luc Delage qui apprécie que dans les entreprises à mission comme la sienne, la dimension financière est à sa juste place. « C'est un moyen au service des ambitions de l'entreprise et non pas sa finalité ultime » indique-t-il.
Ainsi, les directions ne sont pas uniquement jugées sur leur capacité à générer des résultats financiers, mais également à contribuer à différents enjeux, dont fait partie l'équilibre financier. « Il existe quatre dimensions, et non pas une seule : l'épanouissement des collaborateurs, la satisfaction des sociétaires, la performance économique et la recherche d'un impact positif sur notre écosystème. C'est à partir de ces quatre dimensions que nous prenons nos décisions » rapporte-t-il. Le rapport au temps, également, n'est pas le même : « Il n'y a pas d'exigence de rentabilité à court terme, ce qui permet de prendre plus de recul par rapport aux indicateurs financiers, d'avoir une tolérance plus forte vis-à-vis de la volatilité de certaines métriques financières » note Luc Delage.
Les sociétés à mission seraient donc un moyen de repenser le rôle de la finance à l'intérieur des entreprises. RAISE s'est même emparée de son rôle de société d'investissement à mission pour totalement réinventer la finance. « Nous venons de créer le premier fonds inversé : l'investisseur renonce à 50 % de la plus-value pour la donner à des associations. Nous souhaitons innover pour faire bouger les lignes, créer des ponts entre les grands et les petits » décrit Romain Broutier. Au sein du groupe MAIF, un dividende écologique a été mis en place début 2023 : cela consiste à redistribuer 10 % du résultat pour financer des actions visant à limiter les conséquences du dérèglement climatique ou à soutenir des projets en faveur de la biodiversité. « Cela aurait été difficile à mettre en place s'il n'était pas inscrit dans nos raisons d'être la recherche d'un impact positif » remarque Luc Delage.
Le groupe MAIF, toujours, essaye de réinventer la finance via les placements opérés. Si le groupe a toujours veillé à sélectionner des actifs qui correspondent aux meilleurs standards éthiques en matière de placements, il a décidé d'aller un cran plus loin : il est sur le point d'entrer au capital de la société Orpea et siégera au conseil d'administration pour rendre possible la transformation de cette société, portée par une nouvelle direction qui souhaite refonder le projet en profondeur autour de l'accompagnement des patients et des résidents. « C'est du réel investissement à impact : nous souhaitons contribuer à transformer en profondeur le modèle d'une société par notre investissement » résume Luc Delage. La qualité de société à mission signe peut-être l'avenir de la finance.
Bon à savoir
Quelles qualités pour être un bon daf d'entreprise à mission ?
Accompagner une entreprise à mission demande aux daf de se transformer pour notamment s'ouvrir aux indicateurs sociaux et environnementaux. Il s'agit donc de faire preuve d'ouverture d'esprit et de remise en question. Ainsi, Romain Broutier juge qu'il faut avoir une tête bien faite et une capacité d'adaptation et de compréhension pour s'insérer dans le projet commun de l'entreprise. Pour Luc Delage, le daf doit être en mesure de travailler davantage de manière collective, ce qui l'oblige à faire preuve de plus d'écoute et d'ouverture. "Il doit sortir de son couloir de nage pour comprendre les enjeux des autres directions de l'entreprise. A l'inverse, il doit aussi partager en toute transparence les enjeux qui sont les siens", conseille-t-il. Sur ce dernier point, il rejoint Romain Broutier : "Lors de mes études, il était dit que pour avoir le pouvoir, il fallait contrôler l'information. C'est aujourd'hui obsolète, il faut au contraire transmettre son savoir." Autant de compétences qui demandent parfois du temps d'acquisition, il ne faut donc pas hésiter à se former et à se faire accompagner.
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