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DossierSouriez, vous êtes notés !

Les entreprises sont de plus en plus notées, tant sur leurs performances financières qu'extra-financières. Une tendance qui ne touche plus seulement les grands groupes. Décryptage.

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Souriez, vous êtes notés !

1 Risque crédit : comment votre entreprise est notée

Que ce soit par les banques, les assureurs-crédit, la Banque de France ou les agences de notation, publiquement ou confidentiellement, la plupart des entreprises sont évaluées sur leur risque crédit. "La notation des émissions obligataires ne constitue que la partie la plus visible de l'influence des agences, souligne Nicolas d'Hautefeuille, responsable du conseil en notation chez Crédit Agricole CIB. Toutes les entreprises, y compris les ETI, ont intérêt à intégrer très en amont les critères des agences de notation dans leur stratégie financière. En effet, ces méthodologies se sont imposées comme un des piliers de la finance d'entreprise."

Les techniques des grandes agences de notation (S&P, Fitch, Moody's) se recoupent dans les grandes lignes. Elles s'intéressent tout d'abord au secteur d'activité de l'entreprise, qui va déterminer la méthodologie appliquée pour la notation. "Nous avons publié une méthodologie pour toutes les industries ayant une taille critique en termes de nombre d'acteurs notés au niveau mondial. Un peu plus de 50 industries différentes sont couvertes par une méthodologie spécifique", explique Jean-Michel Carayon, senior vice-­président chez Moody's. Ce qui n'est pas sans incidence sur la notation finale. Le secteur papetier, par exemple, est considéré comme étant très cyclique. Il est perçu comme une industrie déclinante par les agences qui lui attribuent un mauvais risque industriel, contrairement au secteur agroalimentaire, estimé comme plus stable et plus rentable.

Dans un contexte de désintermédiation croissante des financements, les besoins en matière de notation des entreprises se multiplient. Risque pays, risque sectoriel, profil financier, stratégie, gouvernance... Le point sur la méthodologie et les critères des agences.

2 La notation extrafinancière a le vent en poupe

Cent soixante-dix milliards d'euros : c'est le montant des encours sur le marché de l'investissement socialement responsable (ISR) en France, en 2013, selon les derniers chiffres du centre de ressources Novethic. Certes, leur croissance tend à ralentir (+ 14?% l'an dernier, contre + 29?% en 2012 et + 69?% en 2011), mais sur la dernière décennie, leur montant a tout de même été multiplié par 44.

Globalement, le marché de l'ISR est tiré par les investisseurs institutionnels, mais les particuliers, qui représentent 30?% du marché, en sont également friands, notamment à travers les produits d'assurance-vie. Naturellement, cet essor de l'ISR a fait naître un besoin croissant de notation extrafinancière prenant en compte la gouvernance de l'entreprise mais aussi son engagement sur les plans social, sociétal et environnemental. En effet, les investisseurs sensibles aux enjeux du développement durable sont de plus en plus nombreux.

Fouad Benseddik, directeur des méthodes et des relations institutionnelles de Vigeo

En France, les deux principaux acteurs de la notation extrafinancière sont Vigeo et EthiFinance. Le premier est positionné sur la notation des grandes entreprises et le second sur le créneau des PME et ETI. "À l'origine, et faute de mieux, la notation de la responsabilité sociale des entreprises a emprunté ses outils à la notation financière et s'est définie par rapport à elle, explique Fouad Benseddik, directeur des méthodes et des relations institutionnelles de Vigeo. Cela en a accru la visibilité mais pas la compréhension." La notation­ extrafinancière ne peut être complè­te­ment dissociée de la notation financière des entreprises car, tôt ou tard, les risques sociaux et environnementaux ont un impact en espèces sonnantes et trébuchantes. "Les opérateurs financiers ont besoin de pouvoir embrasser d'un seul regard la capacité de l'entreprise à créer de la valeur, souligne Fouad Benseddik. Cela passe par des indicateurs financiers et des indicateurs liés à la responsabilité sociale. Au final, ce que nous notons, ce sont les risques de la fonction dirigeante, car il ne peut y avoir de responsabilité sociale s'il n'y a pas d'engagement de la part du top management."

En une décennie, le montant des encours sur le marché français de l'investissement socialement responsable (ISR) a été multiplié par 44. Cet essor a fait naître un besoin croissant de notation extrafinancière. Un sujet qui ne concerne pas uniquement les grands groupes. Explications.

3 Notation extrafinancière : un processus assez lourd où le client est roi

La notation extrafinancière d'une entreprise peut également être effectuée à la demande de l'entreprise elle-même. Généralement, les évaluations des agences de notation extrafinancière s'appuient sur les documents publics de l'entreprise (bilan social, liasses fiscales...). Ces informations sont complétées par des questionnaires, des entretiens avec le management, des représentants du personnel, voire des partenaires de l'entreprise (fournisseurs, clients, ONG...). Reste que les méthodes varient selon les agences. "Nous nous penchons sur six domaines : les droits de l'Homme, le capital humain, la gouvernance, l'éthique des affaires, l'environnement et l'engagement sociétal, énumère Fouad Benseddik. Pour chacun, nous avons défini un certain nombre de critères. Au total, 25 à 28 critères sont activés par entreprise. Ils sont pondérés en fonction du secteur d'activité et de la taille de celle-ci." Chez EthiFinance, les domaines examinés pour l'évaluation sont assez proches : gouvernance, capital humain, environnement et parties prenantes extérieures (fournisseurs, clients, société civile...). "En amont, nous déterminons l'activité et l'implantation de l'entreprise, précise Guillaume Marion, analyste RSE chez EthiFinance. En fonction de cela, nous allons pondérer notre centaine de critères. Au final, nous aboutissons à une note sur 100. L'analyse peut varier en fonction de la demande du client. Par exemple, une congrégation religieuse qui gère la retraite de ses membres refusera d'investir dans l'industrie des jeux d'argent ou de la pornographie."

"La notation extrafinancière est un processus assez lourd, précise Aurélie de Barochez, chargée d'études ISR chez Novethic. C'est généralement plus facile pour les entreprises cotées, dans la mesure où elles ont déjà une obligation de publication (rapport annuel et rapport de développement durable), tandis que les entreprises de taille plus modeste ne disposent généralement pas de toutes les ressources en interne pour répondre à certaines questions. Ainsi, l'analyse d'une entreprise non cotée nécessitera un dialogue plus fourni."

La notation extrafinancière d'une entreprise peut notamment être demandée par des investisseurs souhaitant estimer la responsabilité sociale et environnementale d'une entreprise avant de l'intégrer à leur portefeuille.

4 Marylène Boyer revient sur la notation sociale et environnementale de son entreprise, Thermador

En 2007, Thermador a fait l'objet d'une notation sociale et environnementale par l'agence EthiFinance. À l'époque, vous étiez Daf. Pourquoi votre groupe a-t-il été noté ?

L'étude était faite à la demande de Financière de Champlain, un fonds spécialisé dans le développement durable qui souhaitait faire noter notre société avant d'en acquérir des actions. Pour être considérés comme un fonds éthique, ce type de structure a besoin d'effectuer des notations extrafinancières. Par conséquent, c'est ce fonds qui a financé l'étude.

Comment cela s'est-il déroulé ?

En novembre 2007, une auditrice d'EthiFinance a passé une journée chez nous. Elle a rencontré et interviewé neuf personnes de l'entreprise parmi les managers et les salariés, notamment Guy Vincent, qui était le dirigeant à l'époque, mais aussi moi-même, des responsables de filiale et un représentant du personnel. C'est l'auditrice qui a choisi les personnes qu'elle souhaitait rencontrer. Parallèlement, EthiFinance a travaillé sur la base de notre rapport annuel, dans lequel nous donnons un grand nombre d'informations, en particulier concernant le personnel (absences, turnover, ancienneté...). Les éléments évalués sont principalement la gouvernance de l'entreprise, l'empreinte environnementale (consommation d'énergie, traitement des déchets...) et les données sociales. Au total, il y a plus d'une centaine de critères.

Quel a été le résultat de l'audit ?

Nous n'avons pas su précisément quelle était notre note. Mais le résultat a été bon, car nous apparaissons dans le Gaïa-Index (classement d'EthiFinance portant sur les entreprises les plus performantes en matière de RSE, NDLR). En 2014, nous étions en deuxième place dans le secteur de la distribution et en troisième place dans le classement des sociétés qui réalisent entre 150 et 500 M€ de chiffre d'affaires. Cela figure dans notre rapport annuel.

" Une auditrice d'EthiFinance a passé une journée chez nous "

5 Le risque pays, une donnée-clé de la notation extrafinancière

La dégradation de la note d'un État peut avoir un effet domino sur la notation des banques et des entreprises du pays. "Actuellement, pour le coût de refinancement d'une entreprise européenne, l'ancrage en catégorie investissement des notations de son État et, à travers celui-ci, de son système bancaire, constitue un enjeu aussi structurant que sa propre notation (logique du "plafond souverain")", estime Nicolas d'Hautefeuille. En toute logique, la contrainte souveraine est particulièrement forte sur les entreprises dont l'activité se cantonne au marché domestique. Outre la santé économique, la gouvernance d'un pays (respect de l'État de droit, etc.) peut également influer sur la note finale. C'est la raison pour laquelle très peu d'entreprises russes sont actuellement "investment grade" (niveau de risque faible).

La taille de l'entreprise, si elle est significative, va généralement influer positivement sur la notation, dans la mesure où elle est souvent corrélée avec une meilleure profitabilité (économies d'échelle). "Une ETI qui génère moins de 100 M€ d'Ebitda aura beaucoup de difficultés, sauf cas spécifique, à obtenir une notation investment grade du fait d'une surpon­dération implicite du critère de la taille dans la méthodologie des agences", précise Nicolas d'Hautefeuille. Un point de vue que tempère Frédéric Gits, responsable du département Europe Moyen-Orient chez Fitch ratings : "Il est des secteurs comme l'aéronautique où, par nature, ce sont les très grandes structures qui auront les très bonnes notes. Mais cela ne veut pas dire qu'une petite entreprise sera nécessairement mal notée. La taille n'est pas un facteur en soi. Mais elle a un impact sur d'autres éléments, comme le degré de diversification de l'entreprise."

Afin d'établir leur notation, les agences combinent des dizaines de critères quantitatifs (profitabilité, ratio d'endettement, diversification, taille de l'entreprise, parts de marché...) et qualitatifs (qualité du management, politique de R & D...). Le processus s'étale sur plusieurs semaines. Il passe par la collecte de toutes les informations relatives à l'entreprise (comptes, rapports annuels...) et plusieurs rencontres avec le top management, la direction financière, voire les directeurs de divisions. " L'idée est de combiner la compréhension de l'entreprise, son marché, sa position, son endettement et son financement, résume Frédéric Gits. Une grande partie de la discussion avec le management consiste à déterminer où va l'entreprise, comment son business évolue et l'impact sur sa structure financière. " Par la suite, chaque note attribuée est revue au minimum une fois par an. Elle peut être mise à jour à tout moment.

Le risque pays est une autre donnée-clé importante à prendre en compte pour les analystes.

6 Notation en ETI : la transparence est de mise


"On assiste à un mouvement de tenaille, analyse Didier Philouze, directeur du cabinet de conseil financier Bfinance. D'un côté, les banques se préparent à Bâle III en réduisant leur exposition au risque crédit, de l'autre, les institutionnels cherchent à diversifier leurs investissements. Les relations entre la plupart des PME-ETI et leurs banques ont été affectées par la crise de 2008. Les marges de négociation sont bien plus importantes pour les sociétés qui peuvent démontrer l'accès à d'autres solutions de financement."

Une tendance clairement confirmée par Standard & Poor's, dont une étude récente montre que les ETI françaises vont devoir lever 800 milliards d'euros de dette dans les cinq prochaines années. L'agence de notation a d'ailleurs lancé un service d'évaluation de la qualité de crédit qui est adapté aux entreprises de 100 millions à 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires.

Globalement, celle-ci reprend la méthodologie d'une notation classique, mais de manière simplifiée. "Nous regardons le risque pays et sectoriel, puis nous analysons la position concurrentielle de l'entreprise et son profil financier, ainsi que sa stratégie, sa gouvernance et sa gestion", résume Alexandra Krief, responsable de l'évaluation mid-market chez Standard & Poor's.


Didier Philouze, directeur du cabinet de conseil financier Bfinance


7 Effort de transparence

Avec 4 000 ETI en France et seulement 24 % de financement désintermédié, le potentiel en termes de notation est énorme. C'est sur ce créneau que se sont positionnés l'allemand Scope Ratings et l'agence lyonnaise Spread Research. À ce jour, ils sont les deux seuls acteurs en France agréés pour la notation des acteurs de taille intermédiaire. Un créneau plus difficile et moins rentable que la notation classique. "L'univers des PME est différent, car ces entreprises sont moins matures pour s'aventurer sur les marchés de capitaux par rapport aux grandes entreprises, note Guillaume Jolivet, analyste exécutif chez Scope Ratings. Elles n'ont pas forcément un niveau de reporting très développé. L'information circule en général de manière moins fluide que dans les sociétés cotées. En clair, elles ont un effort de transparence à faire vis-à-vis des investisseurs."

La différence entre rating et scoring

En matière de risque crédit, il convient de bien distinguer rating et scoring. Le premier est associé à la notation publique émanant des grandes agences, tandis que le second correspond à une notation privée telle que la pratiquent notamment Ellisphère (ex-Coface services) ou Altares. "Ce sont vraiment deux univers très différents, insiste Jean-Yves Bajon, directeur général d'Ellisphère. Le scoring est une activité non réglementée. Les scores sont le résultat d'un calcul probabiliste à base d'algorithmes mathématiques eux-mêmes fondés principalement sur des variables financières. Ils permettent en particulier d'établir une probabilité de défaut d'une entreprise. Le rating, quant à lui, est une activité réglementée qui fait intervenir, en plus de variables quantitatives, une opinion d'analyste fondée sur l'interprétation de données qualitatives." La finalité n'est pas non plus la même : "Le scoring sert principalement des décisions de crédit court terme et est d'autant plus pertinent qu'il s'applique sur un portefeuille large de risques, alors que le rating se base sur l'analyse de perspectives plus longues et sert des décisions de crédit unitaires importantes."

Le contexte actuel de désintermédiation croissante des financements (IBO, placements privés...) va multiplier les demandes de rating. Et cela pas seulement de la part des grands groupes.

8 Le témoignage de Marc Bernard, Daf du groupe Réalités

Vous avez été la première entreprise française non cotée à lancer une émission obligataire de type IBO (initial bond offering). À ce titre, vous avez été notés. Comment cela s'est-il passé ?

La notation, obligatoire dans le cadre d'une IBO, est une étape supplémentaire qui complexifie le processus. Le problème, c'est qu'il n'y avait pas d'agence de notation française spécialisée sur ce créneau. Nous avons donc fait appel à l'agence allemande Scope Ratings, qui a réalisé un audit sur un mois. Or, le métier de promoteur immobilier n'a pas la même réglementation en France et en Allemagne. Par exemple, le système de comptabilisation du chiffre d'affaires n'est pas le même. Nous avons dû faire face à cette barrière culturelle, en plus de la barrière de la langue.

Êtes-vous satisfaits du résultat de la notation ?

Nous considérons que la note qui nous a été attribuée est inférieure à ce que nous méritions. Nous avons été notés BB alors que nous espérions un triple B. Nous reprochons à cette notation une analyse essentiellement bilantielle. Nous n'avons pas pu valoriser notre forte croissance ni notre carnet de commandes. Les analystes sont venus nous rencontrer une journée. Nous avons mis en avant un maximum d'arguments, mais en si peu de temps, c'est très difficile de faire passer un message. Au final, 80 % du travail s'est fait à distance.

Les PME ou ETI comme la vôtre sont-elles suffisamment préparées à ce genre d'exercice ?

Nous exerçons un métier qui est très financier. À chaque opération, nous devons lever des fonds. Nous avons donc l'habitude d'être sous le regard des analystes. Cela dit, je pense que le plus difficile est de regrouper toutes les informations. Cela nécessite d'être bien structuré en interne et de pouvoir fournir des comptes consolidés rapidement. Un autre frein peut être le coût de l'audit. Nous avons payé 35 000 euros et c'était l'un des moins chers.

"Nous n'avons pas pu valoriser notre forte croissance"

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