DossierSynchronisation budgétaire: cap sur la collaboration achats/finance
Si la fonction achats est sans conteste stratégique, élaborer son budget n'est pas chose aisée: éclatement parmi différents budgets, performance qui ne se traduit pas toujours dans le P&L, langage différent de celui de la finance... Face à ces obstacles, rien de tel que la collaboration.

Sommaire
- Daf, et si vous appreniez à "parler achats"?
- TCO contre BFR
- Les process pour faire collaborer achats et finance
- Piloter avec souplesse
- Collaboration achats/finance: les outils à mettre en place
- Des outils pour tracer le processus de validation
- [Cas pratique] Des réunions mensuelles chez Kerneos
- Des réunions pour assurer le partage de l'information
1 Daf, et si vous appreniez à "parler achats"?
En ces temps de réduction des coûts, quoi de plus stratégique que la fonction achats? C'est elle qui permet d'obtenir la meilleure qualité au meilleur prix. Pourtant, comme le déplore Serge Dautrif, CEO de SynapsCore, société spécialisée dans l'intelligence collective, les budgets achats arrivent en général bien trop tard: "Le budget part des opérations. Les services commercial et marketing établissent un forecast, et c'est ensuite au tour de la production et, enfin, des achats. La direction financière y ajoute des contraintes en fonction de la stratégie et chacun retravaille sa copie. Ce processus budgétaire qui comporte plusieurs itérations aboutit au fait que les budgets achats arrivent en général trop tard et l'année débute sans référence réellement définie."
Un processus budgétaire lourd, commun à un grand nombre d'entreprises, qui ne permet pas aux achats de livrer leur meilleure prestation. Ne pas fournir à la direction achats son budget à temps, c'est lui enlever la possibilité de négocier les meilleures conditions auprès des fournisseurs. C'est se priver de sa performance. Alors pourquoi ce retard? Tout simplement parce que les directions financières, en charge du processus budgétaire, ne savent pas comment aborder les achats. Elles doivent réapprendre à "parler achats" afin de préparer le budget idoine plus rapidement.
2 TCO contre BFR
Car faire parler la direction financière, en charge du processus budgétaire, et la direction des achats n'est pas chose aisée. Les points d'incompréhension sont en effet nombreux. Ce qui peut constituer un obstacle dans le cadre de l'élaboration du budget: faire confronter deux visions différentes qui n'utilisent pas les mêmes indicateurs est problématique, notamment pour analyser le budget de l'année précédente. "La comptabilité lisse, fait des provisions... Un investissement est amorti sur quatre ans alors que, du côté des achats, on fonctionne sur une année", pointe Bruno Senico, acheteur chez Acticall, groupe spécialisé dans la relation client. La façon d'aborder les investissements n'est donc pas la même d'une direction à l'autre.
Autre problématique, relevée par une étude prospective menée par SynapsCore et le mastère spécialisé gestion des achats internationaux du groupe Essec - "Enjeux clés à l'interface achats et finance ": si les gains sur les achats directs (c'est-à-dire directement liés à la production) sont généralement traduits directement dans les budgets et apparaissent clairement sur le P&L (profit and loss, c'est-à-dire le compte de résultat), les économies réalisées sur les achats indirects (appelés aussi hors-production ou frais généraux) sont souvent réallouées dans l'enveloppe budgétaire. Comme le fait remarquer Franck Le Tendre, directeur général de SynerTrade, fournisseur de solutions d'achats pour les entreprises, "le problème des achats est que leurs efforts sont difficiles à identifier: ils dépendent des consommations, de l'évolution des matières premières... Si bien que les gains n'apparaissent pas nécessairement dans le P&L." Difficile, donc, de se rendre compte de la performance des achats sur l'année écoulée.
"La comptabilité lisse, fait des provisions... Un investissement est amorti sur 4 ans alors que côté achats on fonctionne sur une année." (Bruno Senico, acheteur chez Acticall)
Si les visions différentes posent des problèmes pour analyser l'année précédente, elles peuvent aussi représenter un obstacle pour établir le budget à venir, concernant les investissements à réaliser ou non. Tandis que les achats, qui se font l'écho du terrain, défendent les besoins en investissement de chacun, la Daf, qui a une vision plus globale, prend en compte d'autres éléments comme la trésorerie ou encore le fait que les investissements ne doivent pas tous tomber en même temps. Surtout, comme le souligne Patrice Pourchet, responsable pédagogique du mastère spécialisé gestion des achats internationaux de l'Essec, "la direction financière souhaite un contrôle des coûts tandis que la direction achats recherche la qualité".
Le directeur achats met en avant le TCO (total cost of ownership, soit le coût global de possession) des investissements, afin de montrer que, au final, les sous engagés serviront à faire des économies; le Daf fait quant à lui valoir le BFR (besoin en fonds de roulement). Des indicateurs qui devraient parler aussi bien aux achats qu'à la finance.
Si ces incompréhensions posent problème pour établir le budget achats, viennent aussi s'ajouter des difficultés à fiabiliser ce budget. Notamment concernant les coûts non récurrents et la volatilité. "Les données peuvent varier pour de nombreuses raisons, poursuit Serge Dautrif. Volatilité des marchés, taux de change, changement de la structure de l'offre... Mais aussi évolutions internes." Sur ces deux sujets, il s'agit d'établir des hypothèses qui doivent être les plus fiables possibles.
Différences de vision, d'indicateurs et de gestion du temps: autant de points d'incompréhension entre les services achats et finance. Pourtant, la Daf a tout à y gagner en accompagnant la fonction achats dans l'élaboration de son budget. Décryptage.
3 Les process pour faire collaborer achats et finance
Pour venir à bout de ces différents obstacles, il s'agit de faire collaborer la direction financière et la direction achats. Le mieux étant de se réunir de manière mensuelle afin de partager les deux visions, d'en discuter et de finir par s'entendre. C'est ce qu'avaient mis en place Luc Dessirier et Yann Coruble alors qu'ils travaillaient ensemble au sein d'un grand groupe pharmaceutique, respectivement comme Daf et directeur des achats: ces réunions mensuelles permettaient de parler de tout ce qui modifiait de près ou de loin le fonctionnement de l'entreprise.
"Le process budget s'appuyait sur ce fonctionnement: nous regardions tous ensemble les résultats obtenus et nous nous projetions pour atteindre les objectifs stratégiques", rapporte Luc Dessirier. Ces réunions permettaient de s'assurer, notamment, que tout était bien inclus dans le budget achats, comme les coûts indirects. Voilà l'objectif de cette collaboration: parler le même langage. "Les réunions mensuelles entre le contrôle de gestion et les achats permettent une réconciliation entre le P&L et le budget achats afin d'en comprendre les écarts, mais aussi de s'assurer que les gains des achats apparaissent bien dans le P&L afin de bien calculer la performance des achats", insiste Franck Le Tendre.
"Les réunions mensuelles entre le contrôle de gestion et les achats permettent une réconciliation entre le P&L et le budget achats, afin d'en comprendre les écarts."
(Franck Le Tendre, directeur général de SynerTrade)
Pour parler le même langage, la solution est peut-être de trouver des indicateurs communs, qui parlent aux deux directions. C'est en tout cas ce que préconise l'étude de SynapsCore et de l'Essec: "La fonction finance a un rôle-clé pour aider la fonction achats à définir des indicateurs de performance alignés sur les indicateurs de performance de ses clients internes. Des indicateurs qui permettent de mesurer la qualité des services achats et leur contribution à la performance de l'entreprise." L'objectif est d'utiliser un référentiel de données commun aux achats et à la finance afin de traduire la performance achats (entre autres, la réduction de coût) en performance financière, EBIT et EBITDA. Partager les mêmes données, c'est la clé pour élaborer un budget commun.
En travaillant ainsi, les visions différentes sont non seulement réconciliées mais apportent également une valeur ajoutée de par leur complémentarité. C'est principalement le cas lorsqu'il y a des hypothèses à formuler (notamment sur les coûts non récurrents et la volatilité), des risques à appréhender... Ainsi, chez Grimaud, entreprise de sélection génétique animale, face à la volatilité des prix des céréales, Daf et directeur achats ont travaillé en parfaite symbios : le directeur achats en front-office et le Daf en back-office. De manière générale, les achats se font le relais du terrain et des demandes des opérationnels, apportent leur connaissance des fournisseurs, la stratégie d'achats qu'ils souhaitent déployer; la Daf transmet la stratégie de la direction générale, les attentes des investisseurs mais aussi une vision transversale de l'ensemble des investissements et de l'état de la trésorerie. "L'acheteur doit être très proche du terrain afin de comprendre pourquoi il y a un besoin. L'ensemble des éléments - besoins, impacts, coûts - doivent ensuite être remontés au Daf afin qu'il puisse statuer. Je joue un peu le rôle de contre-pouvoir", décrit Bruno Senico, acheteur chez Acticall, groupe spécialisé dans la relation client..
4 Piloter avec souplesse
Des réunions qui permettent de parler le même langage mais également de bénéficier d'une seule et unique information, utilisée ensuite par tous. C'est surtout cet avantage que souligne Luc Dessirier: "Toutes les données fournies par les achats étaient vérifiées par la Daf. Ce qui nous permettait de bénéficier d'une information unique et fiable: chacun savait où se trouvait l'information, qui la détenait, comment elle était calculée... Il n'y avait donc pas de discussion sur quelle information prendre". Une information partagée par tous qui permet aux achats d'avoir une vision claire et précise de son budget: "Nous bénéficions d'une vision de l'année et mois par mois: nous savions quels étaient nos projets, quelle était notre enveloppe budgétaire... Ce qui offrait de la visibilité aux fournisseurs avec lesquels nous pouvions nouer des contrats-cadres et pas seulement des accords-cadres. Ce qui nous a permis de négocier des conditions intéressantes", rapporte Yann Coruble.
Si ces réunions sont essentielles pour construire le budget, elles permettent également de le suivre. "Le suivi mensuel permet de piloter: de s'assurer que les objectifs ont bien été réalisés, de trouver des leviers pour rééquilibrer..., décrit Luc Dessirier. Bien souvent, ces leviers d'action partent des objectifs achats qui conditionnent de manière importante le bien économique d'ensemble. En effet, une avance ou un retard sur les achats est difficile à rééquilibrer. D'où l'importance des échanges entre les deux fonctions."
Si la collaboration entre finances et achats est essentielle, le mieux est d'organiser une collaboration entre l'ensemble des directions. "Cela permet de construire le budget avec une meilleure connaissance collective et de prendre en compte l'évolution de différents facteurs qui viennent impacter ce budget: l'objectif est de définir une base et de la faire vivre", explique Serge Dautrif, CEO de SynapsCore, société spécialisée dans l'intelligence collective. Ainsi plus de budget trop strict qui enferme les directions dans des carcans et qui ne permet pas l'innovation. Plus non plus de budget trop souple, élaboré pour la forme mais que personne ne respecte. Mais un budget qui donne de vraies lignes directrices mais qu'on peut faire évoluer, collectivement, en cas de besoin. Un budget fiable et efficace: voilà ce que permet la collaboration.
La collaboration entre achats et finance passe par la mise en place d'indicateurs communs. Analyse des process à mettre en place.
5 Collaboration achats/finance: les outils à mettre en place
Qui dit organisation collaborative dit outils qui permettent cette collaboration. Comme le fait remarquer Patrice Pourchet, responsable pédagogique du mastère spécialisé gestion des achats internationaux de l'Essec, "la dimension managériale est la clé, du fait des compromis et des négociations qui doivent être faits pour élaborer un budget. Mais des outils permettent de disposer de visibilité." Des outils performants permettent notamment un suivi de l'élaboration budgétaire et de la bonne tenue du budget déterminé. Or, Excel est encore trop souvent de mise pour élaborer et suivre son budget. Même si des outils existent. Comme celui de SynerTrade qui permet, par exemple, l'émission d'alertes si les clients internes passent par un autre fournisseur que ceux avec lesquels des prix ont été négociés. De quoi mieux maîtriser le budget achats.
Chez Acticall, à la suite d'une remise à plat de la politique achats, l'outil proposé par l'éditeur Determine a été choisi afin d'automatiser le processus achats et d'améliorer la visibilité du circuit d'achats pour l'ensemble des acteurs. Ce qui a permis de contrôler les dérives. Mais aujourd'hui, Bruno Senico, acheteur chez Acticall, souhaite trouver un outil qui marie l'ensemble des outils informatiques des différents services: "Les outils des achats, de la comptabilité, du Daf, du contrôle de gestion doivent pourvoir parler entre eux. Afin d'apporter visibilité et contrôle aux différents interlocuteurs et ce en temps réel, de manière automatisée et surtout collaborative."
6 Des outils pour tracer le processus de validation
Mais peu d'outils réellement collaboratifs existent sur le marché. Les éditeurs s'y mettent, flairant l'intérêt des utilisateurs. Chez Determine, un outil d'élaboration budgétaire permet de tracer qui fait quoi et quand mais aussi de donner des échéances. "Quand c'est à leur tour d'intervenir, les personnes reçoivent une sollicitation par e-mail qui les renvoie vers l'application afin de modifier les montants", décrit Xavier-Pierre Bez, director value engineering and alliances chez Determine. Du côté du suivi, les clients internes sont responsabilisés: à chaque dépense, il est rappelé le budget alloué (budget qui peut être présenté de manière annuelle ou mensuelle, avec des différences qui peuvent exister d'un mois à l'autre).
Les grands éditeurs se sont également mis sur le créneau, intégrant des fonctions d'élaboration et de suivi budgétaire. Mais "les outils qui existent sont assez peu collaboratifs, note Serge Dautrif, CEO de SynapsCore. Nous nous attendons donc à voir l'émergence d'outils collaboratifs qui permettront un véritable échange d'informations." Cela existe bien du côté du reporting, afin de permettre d'élaborer un reporting de manière collaborative entre tous les services. Cela verra sans doute le jour du côté du budget où l'aspect collaboratif est sans aucun doute en train d'émerger.
Au-delà des indicateurs, la mise en place d'outils commun est indispensable pour une bonne collaboration entre achats et finance. Or, le marché ne répond pas toujours aux attentes en matière d'outils collaboratifs...
7 [Cas pratique] Des réunions mensuelles chez Kerneos
Chez Kerneos, fabricant des produits de spécialités à base d'aluminates de calcium, la collaboration entre les directions finances et achats n'est pas qu'une intention. Premier indice: les bureaux de Jean-Marc Novène, directeur général adjoint en charge des achats, de la supply chain et de l'IT, et de la directrice financière, Marielle Raulin-Foissac, sont côte à côte. Surtout, un contrôleur de gestion rattaché à la fois aux achats et au contrôle de gestion assure la réalisation et l'analyse des performances pour les deux directions et des réunions mensuelles rassemblant productions, achats, supply chain et finances permettent d'échanger sur de nombreux sujets.
Une collaboration qui permet notamment d'élaborer plus facilement le budget. "Chez Kerneos, l'élaboration budgétaire est de type "bottom up": on part des hypothèses locales qui sont revues et challengées par chacune des directions et la consolidation. La synthèse, responsabilité de la finance, est présentée au comex", raconte Céline de Bruijn, responsable du contrôle de gestion de Kerneos. Le travail se fait par grands postes du compte de résultat et du bilan: ventes, transports, frais variables, frais fixes, stocks, capex... "Des spécialistes de chacun des postes apportent leurs données analysées et corrigées et la synthèse globale me revient. Je m'assure que les informations sont au bon endroit au bon moment", décrit Céline De Bruijn. Un fonctionnement qui est possible grâce au contrôleur de gestion qui fait le lien entre les deux directions et qui prépare les données.
8 Des réunions pour assurer le partage de l'information
Les réunions mensuelles sont à ce titre également indispensables. "Ces réunions qui viennent compléter le processus sales & operations planning (S&OP ou plan industriel et commercial permettant de coordonner achats, supply chain, ventes et finances, NDLR) permettent d'améliorer le pilotage", décrit Jean-Marc Novène. Lors des S&OP, chaque partie apporte son savoir-faire: volumes pour les équipes opérationnelles et valeurs pour les équipes financières. Des réunions qui peuvent parfois être animées mais qui aboutissent ensuite à un consensus indiscutable. "Les réunions mensuelles permettent de vérifier les stocks, frais variables, prix, techniques... L'objectif est d'être sûrs que nous partageons tous bien les mêmes analyses", souligne Céline De Bruijn. Cela sert à bien préparer les prévisions de ventes et budget qui sont élaborés en trois temps avec une revue de la prévision de l'année en cours et le budget de l'année suivante définis au troisième trimestre et une revue de la prévision du budget au mois de février suivant.
Côté outils, Kerneos est en train de mettre en place un système informatique intégré. "Pour l'instant, les ventes réalisent leur budget, puis les transports, puis les achats, puis les frais variables, puis les frais fixes... Il faut donc attendre que les premiers aient fini pour poursuivre. Nous réfléchissons à adosser le processus budgétaire au processus S&OP afin de travailler de manière plus collaborative entre les équipes finances et métiers", indique Jean-Marc Novène. "Cet outil sera la colonne vertébrale de données brutes partagées par tous les métiers dans lesquelles on demandera à chaque acteur de faire leur budget en associant risques, stratégies opérationnelles..." se projette Céline De Bruijn. Car, aujourd'hui, Excel reste l'outil majoritaire de cette élaboration budgétaire, une solution plus intégrée sera un véritable atout.
Pour aller plus loin, découvrez l'article "Pour éviter les litiges fournisseurs, limiter les causes de contestations (en 4 étapes)"
Kerneos, fabricant de produits de spécialités, a développé des processus spécifiques pour favoriser la collaboration entre achats et finance. Retour d'expérience.
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