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DossierReprendre une entreprise à la barre du tribunal

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8 - La reprise est effective, comment réussir l'intégration

L'affaire est emportée, les choses sérieuses commencent. Le Daf va devoir restaurer la santé financière de l'entreprise et regagner la confiance de ses équipes et de ses partenaires. Une course de fond s'engage.

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Le tribunal vient de vous attribuer le dossier pour lequel vous vous êtes tant battu : ce n'est que le début d'une partie serrée, où rien n'est gagné à l'avance. François Gaudry, président du cabinet Atome Conseil, spécialisé en transmission d'entreprises, le constate chaque jour sur le terrain : " Les cessions d'entreprises en redressement judiciaire ont lieu dans la douleur. Arracher le dossier à la barre est déjà une épreuve. Et une fois que votre candidature l'a emporté, le transfert est brutal. " Le Daf arrive du jour au lendemain dans une entreprise où tout est à reconstruire : pendant que le directeur général remobilise les troupes et reconquiert la confiance, le Daf négocie avec les organismes financiers, trouve des subventions, remet de l'ordre dans l'organisation. En première ligne aux côtés des dirigeants, son rôle est crucial dans la mise en oeuvre du plan de redressement : il sera la vigie des indicateurs chiffrés et le gardien de la trésorerie.

Pas de recette miracle mais un Daf chevronné

" Pas de reprise réussie sans un directeur financier chevronné ! ", atteste Nadine Veldung, associée chez DC Advisory Partners, banque d'affaires, qui met en relation investisseurs et entreprises à la recherche de financements. Le Daf doit donc s'attendre à être totalement absorbé, pendant au moins un an, le temps de mettre en place les premières mesures de redressement. Pour cela, " pas de recette miracle ", selon Nadine Veldung, mais une organisation millimétrée.

" Dès le premier jour, chacun doit avoir une vision très précise de ce qu'il doit faire, faute de quoi les choses peuvent prendre très rapidement mauvaise tournure ", prévient Yahya Daraaoui, president managing director d'Alix Partners. Généralement fondé sur des réductions de coûts, ce plan prévoit des baisses de charges salariales, la suspension de certaines prestations dont l'entreprise doit apprendre à se passer, voire la cession d'un site ou de certaines activités.

Mais la priorité du Daf est avant tout de sécuriser le cash : " Une société ne meurt que d'une chose : l'absence de trésorerie ", confirme Yahya Daraaoui. Pour éviter d'en manquer en cours de mois, le Daf va devoir affiner les prévisions qu'il a préparées en phase de diagnostic. Un exercice sans filet dont dépend la survie de l'entreprise à peine renaissante. Pour commencer, le Daf va reprendre les négociations avec ses partenaires commerciaux : les fournisseurs, notamment, ont pris l'habitude d'exiger un règlement à la livraison de peur de ne pas être payés ; les clients, quant à eux, ont profité de la situation pour retarder leurs échéances... Au Daf de rétablir des délais de paiement convenables pour oxygéner sa trésorerie.

À lui aussi d'associer les banques pour rétablir de bonnes relations, démarches qu'il aura entamées, de préférence, durant la phase de diagnostic. Sans oublier l'ingrédient-clé du succès : un plan de financement détaillé. Yahya Daraaoui conseille de mettre immédiatement en place un "13 week cash flow", plan de trésorerie sur treize semaines, hérité du Chapter 11, procédure relevant du droit des faillites américain. Bien entendu, ce plan est réactualisé au moins toutes les semaines, et ce, pendant toute la durée du plan de redressement : soit entre deux et trois ans. Nul besoin d'un logiciel ultra-sophistiqué pour y parvenir : un simple fichier Excel peut suffire. Sur ce point, le président d'Alix Partners constate la " différence de culture " entre les Daf anglo-saxons, habitués à réactualiser ces plans régulièrement, et les Français, qui se contentent souvent d'une vision trimestrielle. Pourtant, une telle discipline est indispensable pour ne pas risquer de se trouver de nouveau à court de liquidités de façon imprévue.

Des reins solides pour encaisser les mauvaises surprises

" Disposer d'un fonds de roulement de l'ordre de 10 % du chiffre d'affaires, pour faire face aux imprévus, semble prudent ", estime, pour sa part, François Gaudry. Car, malgré toute la vigilance déployée avant une reprise, certains détails échappent au repreneur et au tribunal dans l'urgence d'un plan de cession. François Gaudry évoque ainsi le cas d'un plan de continuation, suivi d'une cession, dans lequel le repreneur a découvert qu'une des créances remboursables sur neuf ans, selon le jugement du tribunal ayant arrêté le plan, devait en réalité être réglée immédiatement.

Autre cas fréquent : le repreneur ne prévoit pas de reprendre certains salariés protégés (notamment le représentant élu des salariés, des délégués du personnel ou des membres du comité d'entreprise) ; or, si l'accord de l'inspecteur du travail n'a pas été obtenu, il peut se trouver contraint de les conserver, ce qui augmentera ses charges fixes futures non budgétées. L'expert conseille également d'être vigilant sur les travaux en cours à la date de cession. Leur produit va-t-il revenir à l'administrateur judiciaire ou à l'acquéreur ? S'il n'a pas été attentif à ce point, le repreneur peut se retrouver avec une trésorerie nulle dès le départ. Or, certains repreneurs n'ont pas forcément l'assise financière nécessaire : car lorsque seulement un ou deux dossiers se sont présentés, le tribunal n'a pas eu l'embarras du choix pour tenter malgré tout de sauvegarder une partie des emplois.

Enfin, dans une période où toutes les énergies doivent être mobilisées, l'aspect humain est essentiel. " Ne négligez jamais l'opportunité d'associer l'ancien dirigeant à la reprise, en tant que salarié ou partenaire ", suggère François Gaudry. Repérés dès la phase de diagnostic, les hommes-clés, de préférence des professionnels ayant l'expérience du retournement, vous aideront à traverser les turbulences. À commencer par le Daf, qui après un an de travail acharné, abordera une année de bascule, soit vers la rechute, soit vers la croissance... en attendant de pouvoir commencer à respirer, au bout de trois ans environ. Yves Lelièvre, président du tribunal de commerce de Nanterre, conclut malgré tout sur une note optimiste : " La majorité des reprises à la barre sont couronnées de succès. Cela tient à la quantité de précautions mises en oeuvre pour préparer ces dossiers. "


Les conseils de Hervé Garabedian, fondateur du pôle finance de Marianne Experts

" Assurez-vous du soutien de votre banquier "

Comment convaincre une banque de vous suivre, aussi bien pour vous apporter les fonds nécessaires au financement de la reprise, que pour vous soutenir durant la phase délicate du redressement ? " Le fil conducteur du banquier, c'est le risque ", avertit Hervé Garabedian, fondateur du pôle finance de Marianne Experts. Selon ce spécialiste de la réduction des frais bancaires, la clé d'une relation de confiance réside dans une analyse partagée de la situation, à travers une information transparente. "En phase de redressement, votre banquier aura toujours un retard d'information. Prévoyez donc de le rencontrer régulièrement et mettez-vous d'accord sur le format d'un reporting que vous lui adresserez à une fréquence adaptée : tous les mois au départ, puis trimestriellement, jusqu'au moment où l'entreprise sera en vitesse de croisière. "

Gardez également à l'esprit que la relation bancaire se joue à plusieurs niveaux : votre chargé de clientèle rapporte en interne à la direction des risques, qui prend le pas en cas de dérapage. " Anticipez donc les besoins d'information de votre banquier, tout en veillant à ce que la relation ne verse pas dans le registre de la surveillance ; son côté chronophage risque également de vous détourner de vos objectifs de terrain, prioritaires. "

Aussi, Hervé Garabedian recommande-t-il de savoir faire contrepoids face à la banque : " Vous lui confiez des flux et la sollicitez sur de nombreux aspects de financement à court terme. En phase de rétablissement, peut-être lui demanderez-vous un crédit important. Vous devez donc veiller à vous présenter non pas comme un demandeur de crédit, mais comme un apporteur d'affaires. "


Vanessa Bernard et Florence Klein

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