Entreprise commerciale de l'ESS - Faut-il choisir un cadre juridique ?
Face à la croissante prise en compte des convictions humaines au coeur des activités commerciales, le monde de l'économie sociale et solidaire (ESS) se construit. Les entreprises se retrouvent confrontées à plusieurs labels ou distinctions sans savoir pourquoi et comment choisir un cadre juridique.
La société se transforme et l'on observe des salariés, dans la vague de la grande démission, chercher un emploi en adéquation avec leurs valeurs et ayant un impact social(1), même si cela peut impliquer une baisse de rémunération. On constate également que 82% des dirigeants considère qu'une entreprise doit avant tout prendre en compte les aspects humains et le respect de l'environnement tout autant que les résultats financiers. Ils s'engagent, alors, pleinement dans la société civile en contribuant à son amélioration.
Depuis quelques années, émerge donc le besoin d'une partie grandissante de la population de placer leurs convictions sociales et solidaires au coeur de leurs activités quotidiennes.
De ce fait, on voit apparaitre une multiplication de chartes, certifications, labels, agréments ou autres mentions permettant aux sociétés d'être publiquement reconnues comme "Entreprises sociales et solidaires"(ESS). Ces différentes « distinctions » sont françaises, internationales, privées ou publiques et recouvrent des engagements différents, mais concrètement qu'est-ce qu'une ESS ?
Une définition précise de l'entreprise sociale et solidaire pour une diversité de "distinctions"
La loi les définit comme des structures poursuivant un autre but que le seul partage de bénéfices, ayant une gouvernance démocratique intégrant les parties prenantes et respectant des principes de gestion précis(2). Elles étaient classiquement constituées sous la forme d'association, coopérative ou mutuelle mais apparaissent désormais également sous des formes commerciales (telles que SA, SAS ou SARL).
Ces dernières doivent alors impérativement mettre en place, dans le cadre de leurs activités principales ou de manière accessoire, des actions permettant de contribuer à la lutte contre les exclusions et inégalités et/ou au développement durable et/ou au soutien des populations fragilisées.
Ces seules conditions suffisent pour faire partie de l'économie sociale et solidaire. Néanmoins, pour prouver la réalité de leurs engagements vis-à-vis des tiers, les chefs d'entreprise sont souvent amenés à opter pour une distinction reconnue par la société civile tels que B-CORP, Zei, entreprise à mission, mention ESS, agrément ESUS, label ou certification sur des thématiques spécifiques.
Lire aussi : Agrément ESUS : quel intérêt et comment l'obtenir ?
Les étapes pour choisir son cadre juridique
Face à la diversité de possibilités, il n'est pas toujours aisé de s'y retrouver et de faire un choix éclairé. Il est alors, essentiel, dans un premier temps d'identifier les finalités recherchées. Elles peuvent être multiples, allant du souhait de se rendre plus attractif auprès de certains profils de salariés clés au besoin de se structurer afin de devenir pleinement social et solidaire ou encore d'approfondir des relations avec les collectivités publiques. Cette étape permettra de déterminer les bonnes options.
La seconde étape consistera à comprendre les prérequis exigés qui portent principalement sur les aspects suivants :
- Opérationnel (par ex : engagement de réaliser tout ou partie des activités dans le domaine social et/ou solidaire),
- Financier (par ex : limitation des distributions de dividende ou plafonnement des niveaux de salaire),
- Ressource humaine (par ex : participation des salariés dans la prise de décisions ou promotion des emplois stables),
- Gouvernance (par ex : mise en place de comités intégrant les parties prenantes, d'organes de contrôle interne ou intervention d'auditeurs externes).
Des moyens humains et financiers à anticiper
Il conviendra également de mesurer l'investissement humain et financier nécessaire. Se lancer dans un tel processus n'est pas anodin et demande une implication non négligeable de la part du dirigeant et de ses équipes.
En effet, cela commence dès la phase d'audit qui permet à l'entreprise de prouver qu'elle remplit les valeurs louées mais surtout qu'elle se conforme aux engagements requis. Cet examen peut aussi bien prendre la forme d'un audit documentaire que d'un audit physique avec de nombreux entretiens.
Par la suite, il sera nécessaire de consacrer du temps au suivi de ces nouvelles obligations, aux échanges avec les parties prenantes, l'organisme certifiant et, le cas échéant, avec les personnes chargées du contrôle. Au-delà de ces aspects, des réflexions devront être menées sur un plan d'amélioration.
Une réflexion nécessaire qui mérite d'être mûrie
Avant de se lancer, il apparait, donc, important de bien analyser les apports de chaque démarche et de les confronter aux exigences requises ainsi qu'aux moyens à mettre en place.
Cette réflexion permettra, par ailleurs, de ne pas entreprendre une collection frénétique de certifications et renvoyer l'image d'une entreprise confuse qui ne saurait pas exactement quelles sont ses valeurs ou qui chercherait uniquement à redorer son image en lui donnant une apparence sociale et solidaire.
Enfin, pour les dirigeants qui ne savent pas encore quels sont leurs objectifs ou ceux qui estiment que la procédure à réaliser est trop contraignante, il n'est pas obligatoire de faire un choix. En effet, il est possible, dans un premier temps, de se structurer en interne et de mettre en avant des valeurs sans pour autant le formaliser officiellement. Ils pourront ensuite se lancer lorsqu'ils y trouveront un intérêt plus significatif et auront l'avantage d'avoir anticipé beaucoup de sujets.
Pour en savoir plus
Lucille Boyer est avocate au sein du département droit des sociétés, Fusions et Acquisition de DS Avocats. Elle accompagne notamment les entreprises dans le cadre de levées de fonds, d'opérations de restructuration, de cession et acquisition de sociétés ou de groupes de sociétés et a développé une expertise particulière dans le secteur des « entreprises sociales et solidaires ».
[1] https://www.ess-france.org/chiffre-de-la-semaine-d-aesio-mutuelle-et-d-ess-france-91
(2) https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/la-grande-demission-comment-expliquer-les-difficultes-actuelles-de-recrutement-en-france-898416.html
[2] Article 1 de la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire
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