Recherche

Procédures : Entreprises en difficulté : quelles solutions judiciaires ?

La législation française propose plusieurs procédures, certaines amiables, pour aider une entreprise à sortir de difficultés structurelles ou conjoncturelles. Leur point commun : plus tôt les mesures sont prises, plus grandes sont les chances de réussite. Avec, évidemment, le Daf en première ligne.

Publié par le - mis à jour à
Lecture
6 min
  • Imprimer
Procédures : Entreprises en difficulté : quelles solutions judiciaires ?
© kantver - Fotolia

"Deux tiers des entreprises arrivant devant le tribunal de commerce sont déjà mortes !" Pierre-Michel Le Corre tire la sonnette d'alarme. Professeur à l'Université Côte d'Azur et consultant en droit des entreprises en difficulté, il affiche une vision bien tranchée sur la question. "La législation française est probablement une des meilleures au monde en matière de prévention et gestion des difficultés. Encore faut-il s'en servir au bon moment !"

Dans cette démarche, le rôle du Daf est primordial, car c'est lui qui dispose en général de la meilleure vision d'ensemble, et surtout c'est lui qui collecte les premières alertes. Souvent, le plus difficile n'est pas d'imaginer les bonnes solutions mais plutôt de convaincre le dirigeant qu'il est temps de réagir. Pour Pierre-Michel Le Corre, si moins d'un tiers des redressements judiciaires a une issue positive, c'est uniquement parce que les mesures sont enclenchées beaucoup trop tardivement. La faute à un héritage culturel français encore trop marqué par la hantise de l'échec, la faute au manque d'outils d'anticipation dans les petites entreprises, la faute à une méconnaissance du système. "Pourtant, l­'entreprise en difficulté est comme un malade. Plus tôt est administré le médicament, plus sûre est la guérison", poursuit le spécialiste. Pour sauver ­l'entreprise, le Daf a donc tout intérêt à sortir dès que possible l'artillerie lourde.

Quelles procédures amiables ?

Dominique Jabouley, président du tribunal de commerce de Saint-Etienne, conseille : "Si les conseillers (Daf, experts-comptables, etc.) estiment que la cessation de paiement se profile à horizon de moins d'un an, l'entreprise a tout à gagner à saisir le tribunal de commerce immédiatement pour mettre en place une procédure préventive." Laurent Chekly, Daf de transition installé en région parisienne, confirme : "Cette démarche est gagnante à tous les coups car elle permettra, si besoin, de prouver par la suite sa bonne foi et sa clairvoyance."

Deux procédures amiables existent, complètement confidentielles. 60 % d'entre elles aboutissent positivement. Le chef d'entreprise et son équipe restent maîtres des décisions.

- Le mandat ad'hoc

Un mandataire, une personne indépendante, est nommé par le tribunal de commerce pour aider l'entreprise. Le mandat ad'hoc a un coût certain mais les résultats sont souvent payants. "Certaines négociations, notamment celles touchant aux dettes sociales avec l'Urssaf, sont assez simples et peuvent être menées par le directeur financier de l'entreprise. Mais dès lors que plusieurs banques sont dans la danse, l'intervention d'un mandataire permet d'obtenir de vrais résultats", insiste Xavier Neyrand, Daf de transition. Le choix du mandataire est donc primordial, car c'est sa légitimité et son expérience qui apportent une solution, il n'a aucun pouvoir coercitif.

- La conciliation

Si l'entreprise est déjà dans une situation proche de la cessation de paiement ou si elle est en cessation de paiement depuis moins de 45 jours, elle peut solliciter l'ouverture d'une procédure de conciliation. La mission du conciliateur est sensiblement identique à celle du mandataire ad'hoc, mais plus brève.

Les procédures collectives, l'étape d'après

Lorsque les difficultés ne sont pas traitées assez tôt, les procédures amiables ne sont souvent pas suffisantes. Il faut donc passer à l'étape suivante, beaucoup plus contraignante, des procédures collectives. Sauvegarde ou redressement judiciaire, selon que l'on se trouve avant ou après la cessation de paiement. Dans les deux cas, cela signifie la perte de confidentialité. Un paramètre qui fait hésiter de nombreux Daf car il entraîne dans son sillon des conséquences potentiellement négatives vis-à-vis des partenaires de l'entreprise.

- La sauvegarde

Elle ne peut être mise en oeuvre qu'avant cessation de paiement. Une période d'observation de six mois, renouvelable une fois, est mise en place. Trois intervenants sont nommés : un juge-commissaire, un administrateur judiciaire et un mandataire. La sauvegarde doit mener à un plan de remboursement des dettes. Pendant cette période, le passif est gelé. Si elle est proche du redressement judiciaire en termes de procédure, la sauvegarde présente néanmoins deux avantages majeurs : "Le chef d'entreprise n'est pas appelé en caution pendant la durée du plan et l'entreprise conserve la possibilité d'être retenue aux appels d'offres publics", souligne Christophe Callet, responsable du pôle Redressement d'entreprises d'In Extenso.

- Le redressement judiciaire

Dès lors que la ligne rouge de la cessation de paiement est franchie, l'entreprise a 45 jours pour "déposer son bilan". Rien n'est perdu néanmoins, puisque le but du redressement est bien de se redresser, comme son nom l'indique de façon limpide !

Dans ces difficultés et quelle que soit la procédure judiciaire retenue (amiable ou collective), le Daf est ultra-sollicité. Il est en contact permanent avec les intervenants extérieurs et doit leur fournir le plus régulièrement possible tous les éléments de reporting demandés (très nombreux en général...). Il est aussi souvent en première ligne pour éteindre les feux avec les fournisseurs ou banquiers mécontents. La période n'est donc pas de tout repos...

3 Questions à Laurent Chekly, Daf de transition

"Il faut savoir travailler avec les administrations"

>> Pourquoi êtes-vous intervenu si souvent dans des entreprises en difficulté?

J'ai une prédisposition à supporter la pression, mais il faut reconnaître qu'elle est parfois débordante! Dans les entreprises en difficulté, le stress est là en permanence. Il faut être capable de gérer cela et avoir une capacité à manager les hommes : savoir rassurer tout en maîtrisant l'ensemble des aspects du fonctionnement de l'entreprise.

>> Quelles sont les contraintes pour le Daf?

Cela dépend de sa personnalité et de son appréciation du dirigeant, mais le plus pesant réside souvent dans la relation avec les administrateurs et mandataires judiciaires. Chaque paiement et chaque décision doivent leur être soumis. Il faut savoir garder votre avis pour vous mais aussi parfois tenir tête à des interlocuteurs trop zélés. La meilleure situation étant de savoir être apprécié de l'administrateur en travaillant avec transparence.

>> Quelle relations avec le dirigeant?

Dans ces moments de difficulté, le Daf a une relation particulière avec le dirigeant. Il est un peu sa lumière pour avancer. Nous comprenons sa détresse et savons mesurer l'incidence d'une procédure collective sur sa vie professionnelle et privée. Mais attention à ne pas le suivre dans des dérives borderline. Notre crédibilité et notre intégrité pourraient être détériorées dans le cas contraire et nous exposer à des risques judiciaires. Notre rôle n'est pas la justice mais plutôt la justesse.

Daf depuis 25 ans, Laurent Chekly est dirigeant du cabinet de consulting LCEC et intervient régulièrement dans des entreprises en difficulté.



Thématiques associées :

S'abonner
au magazine
Retour haut de page