Clause Molière : peut-elle être imposée pour protéger les ouvriers ?
Légale ou pas la clause Molière ? Alors qu'on croyait le chapitre clos après la décision du gouvernement en avril dernier de l'interdire sur les chantiers publics, le département des Bouches-du-Rhône a décidé d'imposer la mesure. Les explications de deux avocates spécialistes en droit public.
Peut-on décider d'imposer le français sur un chantier ? Cette question, qui a agité pendant des mois la classe politique, est revenue récemment sur le devant de la scène. Le samedi 2 juillet 2017 précisément, lorsque Martine Vassal, présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, a annoncé son intention d'introduire la clause Molière dans tous les appels d'offre du département. Une décision prise pour préserver la sécurité des travailleurs.
Alors qu'on croyait le chapitre presque clos suite à la publication le 27 avril 2017 d'une instruction interministérielle qui appelle les préfets à juger la clause "illégale", car contraire au droit européen relatif au détachement de travailleurs, comment interpréter cette décision du département des Bouches-du-Rhône?
Une discrimination indirecte
"Si les termes exacts n'en sont pas encore connus, cette clause pourrait soulever une difficulté si elle a pour objet d'énoncer, de façon générale et absolue, que les travailleurs doivent parler le français, estime Sophie Pignon, avocat associée du cabinet Bird & Bird en charge du département Droit public. Si le but recherché est uniquement d'imposer l'usage du français et de limiter le travail détaché, cette clause est contraire au droit national et au droit européen".
L'experte rappelle en effet que l'ordonnance relative aux marchés publics du 23 juillet 2015 interdit les clauses discriminatoires ainsi que les critères de sélection qui ne sont pas en lien avec le marché concerné. Le droit européen de la commande publique interdit, quant à lui, toute discrimination dans l'accès à la commande publique, directe mais aussi indirecte.
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"Si la clause Molière - entendue comme celle qui impose l'usage du français par les salariés des candidats aux marches publics - ne constitue pas une discrimination directe car elle s'applique indifféremment aux entreprises françaises comme étrangères, elle peut néanmoins constituer une discrimination indirecte fondée sur la nationalité, s'appliquant principalement aux entreprises étrangères moins susceptibles de disposer de main d'oeuvre francophone", analyse Louise-Marie Nicolas, avocate au sein du cabinet Bird & Bird.
Une clause qui doit être aménagée
Pour ne pas être jugée discriminatoire et portant atteinte au principe d'égal accès à la commande publique, la clause doit donc être rédigée avec beaucoup de précautions.
Le tribunal administratif de Nantes a donné raison en juillet dernier à la Région Pays de la Loire, considérant que la clause Molière introduite dans les marchés publics n'était pas contraire au droit. "Toutefois, la précaution rédactionnelle de la clause de la région des Pays de la Loire a pu convaincre le juge des référés car cette clause prévoyait, d'une part, la présence sur le chantier d'un interprète pour permettre à tous les salariés, dont ceux qui ne maîtrisent pas la langue française, de comprendre la réglementation sociale en application du code du travail et, d'autre part, que pour garantir la sécurité des travailleurs et des visiteurs lors de la réalisation de certaines tâches signalées comme présentant un risque pour la sécurité des personnes et des biens, les personnels affectés soient en mesure de comprendre et échanger en français", commente Louise-Marie Nicolas.
C'est dans ces conditions que le juge des référés a notamment considéré que les clauses introduites dans l'appel d'offres de la région "n'apparaissent pas disproportionnées", en raison "de leur double objectif de protection sociale des salariés et de sécurité des travailleurs et visiteurs sur le chantier", et qu'il ne résulte pas de l'examen du dossier "qu'elles s'appliqueraient de manière discriminatoire".
Une clause "aménagée", à la portée limitée, qui pourrait fleurir dans de nombreuses collectivités, malgré l'interdiction édictée par l'ancien gouvernement.
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