DossierRetournement : comment mener la barque !
Toujours en alerte, le Daf n'a d'autre obsession que de veiller sur ses indicateurs comme du lait sur le feu, afin d'anticiper et de prévenir toute situation de crise. Mais lorsque celle-ci se déclare malgré tout et que la situation devient si préoccupante qu'elle ne peut plus être niée par le dirigeant, c'est au Daf que revient de mettre en place le processus de sauvetage et de conduire le retournement en vue d'un nouveau départ.

Sommaire
- La vigie de l'entreprise
- La trésorerie comme symptôme
- Se montrer convaincant
- Quel Daf pour tenir la barre ?
- Sang-froid et rapidité
- Un Daf tourné vers les opérationnels
- Redessiner la carte selon les objectifs
- De l'avantage de la conciliation
- S'ouvrir à de nouveaux financements
- Montrer le cap !
- Faire preuve de réalisme
- Ne pas oublier l'interne
- [Témoignage] " On ne peut pas arriver avec une recette toute faite "
- Signaux forts et faibles
- Embarquer les équipes
- Phases défensives et offensives
- Le podcast du dossier
1 La vigie de l'entreprise
" Cachez cette crise que je ne saurais voir ! " Voici comment nous pourrions résumer le comportement des dirigeants lorsque leur entreprise fait face à des difficultés. La première réaction est en effet bien souvent le déni : " Ce n'est pas facile d'accepter le fait que l'on est en sous-performance ou même en très grande tension. Cela veut dire que les décisions qui ont été prises n'étaient pas les bonnes, et se remettre en question est difficile ", analyse Stéphane Nenez, associé en charge des Cash Services de Eight Advisory.
Guillaume Cornu, associé EY responsable du marché entrepreneurs, constate que les signes pour permettre d'anticiper une restructuration sont bien souvent là, mais qu'ils ne sont pas assez considérés par les dirigeants. " Quand une entreprise fait appel à notre équipe, cela fait déjà de nombreux mois que ces signes avant-coureurs sont présents ", rapporte-t-il.
Lire aussi : Tensions commerciales : les DAF en première ligne
Or, anticiper permet d'éviter la situation de crise ou au moins d'en atténuer la gravité : obtenir de meilleures conditions auprès de ses partenaires, réorienter sa stratégie, etc. " Le retournement est une course contre le temps ", pointe Florent Berckmans, associé retournement chez Eight Advisory. Or, comme chaque crise a inexorablement des répercussions financières, quelles qu'en soient les causes, c'est au Daf d'anticiper les troubles à venir. Il se doit d'être vigilant et d'entendre les signaux faibles. Et c'est aussi à lui de convaincre le reste de l'entreprise qu'il y a bel et bien un problème et qu'il s'agit de se retrousser les manches pour l'affronter.
2 La trésorerie comme symptôme
Il n'y a pas que le déni qui explique que les difficultés sont déjà bien installées lorsque les dirigeants réalisent qu'ils traversent une crise. Les outils de pilotage financiers sont également bien souvent inadéquats. Comme l'observe Olivier Marion, associé PwC, responsable Deals, et président de l'association pour le retournement des entreprises (ARE), " il ne suffit pas de suivre le compte d'exploitation, il faut aussi surveiller le BFR et la trésorerie, par activité, clients, etc. Or, les entreprises sont souvent mal équipées en la matière." Pour Thierry Grimaux, associé en charge des sujets restructuring chez Valtus, " le seul symptôme d'une crise est le manque de trésorerie : le Daf doit donc mesurer l'évolution de la trésorerie et faire en sorte qu'elle ne se dégrade pas ", conseille-t-il. Il invite à être moins dans l'analyse et plus dans la prospective.
Pour réaliser des prospections, les outils de pilotage et de prévision doivent être suffisamment bien calibrés afin d'anticiper les difficultés. " Il faut savoir exactement où l'entreprise gagne de l'argent, où elle en consomme, quelles sont les perspectives en termes de rentabilité et de génération de trésorerie, etc. ", énumère Olivier Marion. Il donne l'exemple du gain d'un grand client très séduisant sur le papier, mais qui exige différentes contraintes à l'entreprise (livraisons multi-sites par exemple), ce qui génère de la perte d'énergie, de temps et donc d'argent. Et ce grand client peut de plus payer très tard... Autant d'éléments qui impactent négativement la trésorerie de l'entreprise et la mette en difficulté.
3 Se montrer convaincant
Le Daf doit donc anticiper l'impact sur la trésorerie de toutes les décisions prises au sein d'une entreprise. " Une acquisition, par exemple, génère des besoins en trésorerie, par l'opération d'acquisition en elle-même, mais aussi par les investissements qui seront réalisés au sein de cette nouvelle entité ", indique Frédéric Cossais, directeur général finance chez VFB Lingerie et consultant indépendant chez One Man Support.
Les prévisions du Daf doivent donc être les plus fiables possible à travers des outils adaptés, mais aussi à travers une organisation qui le place en amont des décisions prises au sein de l'entreprise. " Le Daf ne doit pas juste être un réceptacle des impacts financiers. Il doit être impliqué le plus tôt possible, sur les contrats notamment où il peut aider à définir les termes en matière de paiement par exemple. Les bonnes directions financières sont impliquées auprès des opérationnels afin de s'assurer que les décisions prises ne mettent pas en péril la pérennité de l'entreprise ", recommande Olivier Marion (PwC). Il milite également pour l'instauration d'une culture cash au sein de l'entreprise : "Tous les acteurs doivent comprendre l'impact de leurs décisions et de leurs actions sur la trésorerie."
Si le Daf a un rôle majeur dans sa capacité à anticiper les crises, il fait face à un autre enjeu de taille : réussir à convaincre le reste de l'entreprise que l'on va au-devant de difficultés. " Ce n'est pas facile car il doit parfois tirer la sonnette d'alarme quand tout le reste de l'entreprise est tourné vers le développement. C'est un vrai enjeu de se faire entendre ", constate Olivier Marion (PwC). Bien souvent, le Daf n'est écouté que lorsqu'un conseil extérieur vient rejoindre l'entreprise (et qu'il dit ce que le Daf s'efforçait de communiquer depuis des mois). Ou lorsque l'entreprise a déjà connu des difficultés et qu'elle a compris l'importance de l'anticipation. Il serait dommage de devoir en passer par là...
Olivier Marion conseille donc de s'appuyer sur des outils performants qui délivrent une bonne analyse. " Cela permet de démontrer de façon concrète qu'il y a des difficultés, en s'appuyant sur des éléments tangibles. Un message étayé est toujours mieux compris ", note-t-il. D'où l'importance d'outils bien calibrés pour anticiper les problèmes et les rendre visibles aux autres dirigeants. Qui devront à leur tour être dans l'anticipation.
La crise est souvent déjà installée quand les dirigeants réalisent qu'ils font face à des difficultés financières. Pourtant, détecter une crise tôt permet de corriger le tir en réorientant sa stratégie ; et l'entreprise est encore en position de force pour négocier avec ses financeurs.
4 Quel Daf pour tenir la barre ?
Lorsqu'une entreprise fait face à des difficultés financières, le rôle du Daf est évidemment primordial afin de redresser l'entreprise. Mais les décisions à prendre et les actions à mener sont bien éloignées de celles qu'il est amené à réaliser en temps normal. Ce qui explique en partie que le Daf soit souvent remplacé dans ces situations, ou tout du moins accompagné par un Daf de transition ou un conseil spécialisé en retournement. Et vous, feriez-vous un bon Daf de retournement ?
5 Sang-froid et rapidité
Première qualité d'un Daf dans une situation de crise : son sang-froid. " Le Daf doit savoir rester calme, ne pas s'affoler afin de trouver les solutions adéquates ", souligne Frédéric Cossais, directeur général finance chez VFB Lingerie et consultant indépendant chez One Man Support. Il rapporte une situation dans laquelle il n'était pas sûr de pouvoir verser les salaires à la fin du mois, qui s'est soldée grâce à une négociation avec les banques. Un épisode stressant qu'il s'agit de gérer avec aplomb !
La situation est d'autant plus stressante que les réflexes ne sont pas les mêmes qu'en période normale. " On ne recherche pas la rentabilité, mais à augmenter la trésorerie. Ce ne sont pas les mêmes habitudes de pilotage et cela peut créer une certaine angoisse pour les Daf qui ne sont pas habitués à ces zones de trouble ", pointe Guilhem Bremond, avocat associé au sein de Bremond & Associés. Le pilotage, le plus fin possible, doit donc se focaliser sur la trésorerie afin de repérer à quels moments du mois elle sera au plus bas pour réagir en conséquence.
Attention cependant à ne pas sacrifier la pérennité de l'entreprise sur l'autel du cash ! Marc Soryano, consultant indépendant One Man Support, invite à la prudence vis-à-vis des opérations de cost cutting. " Le Daf doit contrôler les dépenses, mais sans pour autant asphyxier l'entreprise : les éléments indispensables à sa croissance et à son développement doivent être préservés ", insiste-t-il.
Autre nouveauté qui peut être déstabilisante : les décisions prises devront l'être rapidement. Aller vite est nécessaire, quitte à ne pas avoir tout revérifié avant d'agir. " Il faut accepter d'être désorganisé, ce qui n'est pas facile lorsque l'on est habitués à toujours faire les choses au carré ", constate Stéphane Nenez, associé en charge des Cash Services chez Eight Advisory.
Attention, cela ne veut pas pour autant dire qu'il faut se transformer en franc-tireur et mener des actions sans réfléchir. Au contraire : les imprévus doivent être envisagés bien en amont, pour y faire face le plus sereinement possible. " Plein de choses ne vont pas se passer comme prévu : il s'agit de prévoir des marges de manoeuvre en quantifiant bien les difficultés ", prévient Olivier Marion, associé PwC, responsable Deals, et président de l'association pour le retournement des entreprises (ARE).
6 Un Daf tourné vers les opérationnels
Si le rôle du Daf est essentiel pour un retournement réussi, ce n'est pas seul qu'il réussira à remettre l'entreprise sur les bons rails. D'autant plus que le Daf devra gérer cette situation exceptionnelle de crise tout en continuant à s'occuper des affaires courantes. La collaboration avec toutes les parties prenantes de l'entreprise, aussi bien en interne qu'en externe, est donc nécessaire.
À commencer par le directeur général : pour Frédéric Cossais, un des éléments incontournables d'un retournement réussi est la bonne entente du Daf avec son DG : cela permet de constituer un binôme fort qui prend des décisions en symbiose. Les autres composantes du Comex et/ou du Codir ne sont pas non plus à négliger : Frédéric Cossais, par exemple, a travaillé main dans la main avec la direction des achats pour réussir le retournement de la société DPAM en 2013, dont il était alors le Daf. Les deux directions se sont en effet mises d'accord pour favoriser les fournisseurs clés en les payant en temps et en heure mais, parallèlement, refuser toute livraison des autres fournisseurs qui présentait la moindre irrégularité (retard, problèmes qualité...). Une économie de 20 millions d'euros a ainsi été réalisée sur les achats, ce qui n'aurait pas été possible sans une entente forte.
La collaboration doit aussi se faire avec les opérationnels. " Le capital humain est clé : le Daf ne doit pas se contenter de suivre des tableaux, mais doit aussi rencontrer les gens en interne pour obtenir des informations supplémentaires ", pointe Florent Berckmans, associé retournement chez Eight Advisory. Rencontrer les gens sert aussi à communiquer sur la situation et les bons réflexes à adopter.
La solution à la crise se trouve en effet souvent du côté des opérationnels : certaines activités doivent être stoppées, d'autres au contraire lancées, les achats doivent être contrôlés ainsi que les contrats avec les clients, etc. " Le Daf doit accompagner les opérationnels dans la mise en oeuvre d'un plan de retour à la performance, s'assurer que l'argent est investi à bon escient. Il doit surtout suivre la mise en oeuvre du plan et vérifier qu'il fonctionne, que les effets escomptés ont bien lieu et donc savoir dire de manière précise ce que chaque action a apporté ", précise Olivier Marion (PwC).
Bien sûr, cette collaboration ne doit pas s'arrêter aux portes de l'entreprise : des négociations s'engagent avec les actionnaires, les banquiers, les fournisseurs, les clients, l'État, etc. En bref, avec l'ensemble des parties prenantes, auxquelles le Daf doit servir un discours à la fois rassurant et transparent. L'occasion pour le Daf de révéler ses qualités de communication et de négociation. Des qualités nécessaires, même lorsque la crise sera passée.
Check List : Les treize actions à mener
pour réussir son retournement
--Définir un plan de retour à la performance
et suivre son bon déroulement
--Instaurer une culture cash
au sein de l'entreprise
--Piloter finement la trésorerie
--Se mettre sous la protection
de l'administration judiciaire
--Stopper les dépenses inutiles
--Recouvrir les créances en retard
--Mettre en place de l'affacturage, du financement sur stocks
et du lease-back sur les locaux
--Échelonner les dettes auprès des pouvoirs publics
--Négocier un peu de patience
de la part des banques
--Convaincre l'actionnaire de remettre au pot
--Obtenir des conditions favorables auprès
de ses fournisseurs et de ses clients
--Se séparer des activités non rentables
ou trop consommatrices de cash
--Se faire épauler par une société spécialiste du retournement
Gérer une entreprise en crise n'est pas du tout la même chose qu'accompagner une entreprise en croissance ! Le Daf doit adopter une nouvelle manière de piloter, davantage collaborer avec l'ensemble des parties prenantes, faire preuve d'ouverture et de communication... Tout en gardant son sang froid.
7 Redessiner la carte selon les objectifs
Dans les situations de retournement, il est souvent nécessaire de restructurer sa dette pour redonner du souffle à l'entreprise. Et, là encore, le plus tôt est le mieux afin de ne pas totalement se laisser dicter les conditions par les financeurs : anticiper les problèmes de financement permet de les résoudre avant même de se lancer dans un plan de restructuration.
C'est ce qu'a fait Baptiste Janiaud, Daf de Séché Environnement : dès son arrivée en octobre 2017, il s'aperçoit que la dette est trop courte pour répondre aux ambitions du groupe (en plein développement à l'étranger), et rencontre des investisseurs pour allonger sa maturité. Cette anticipation lui a permis d'obtenir auprès d'une dizaine d'investisseurs une dette obligataire de 150M€ avec une maturité moyenne de 7 ans, et deux nouvelles lignes de liquidités d'un montant total de 200 millions d'euros. Surtout, ce double refinancement est assorti d'un covenant unique de levier financier de 3,95 pouvant aller jusqu'à 4,25 en cas d'acquisition. Des conditions qui n'auraient pas été obtenues si l'entreprise avait attendu et avait été dans l'obligation de restructurer sa dette.
8 De l'avantage de la conciliation
Mais même quand ça va mal, que les difficultés de remboursement ont commencé à poindre, pas question d'accepter tout et n'importe quoi ! " Il faut à tout prix éviter les mesures trop court-termistes qui viendront pénaliser le plan de redressement à long terme ", souligne Guillaume Cornu, associé EY responsable du marché entrepreneurs.
Premier réflexe à avoir : se mettre sous la protection de l'administration judiciaire. Et ce le plus tôt possible pour éviter le redressement ou la sauvegarde, mais mener une conciliation avec ses créanciers. " Le droit français est novateur en matière de pré-redressement judiciaire : des sessions de conciliation sont organisées avec les principaux créanciers avant même de lancer une procédure de redressement judiciaire. Cela permet de prendre le sujet en amont, avant que la situation ne soit trop dégradée, mais aussi d'éviter que les créanciers se précipitent pour se faire payer et dégradent encore plus la situation de l'entreprise ", explique Didier Bruère-Dawson, associé au sein du cabinet Brown Rudnick, responsable de la practice Restructuring. Bien sûr, il est possible d'aller voir ses créanciers sans passer par la case judiciaire, mais le risque est de se faire rouler dans la farine sans retour possible (ou difficilement). En revanche, cette procédure de conciliation aboutit à un accord qui devient une conciliation définitive et opposable aux tiers.
Attention, cependant : la conciliation doit aboutir à un accord en cinq mois, les entreprises ne doivent donc pas hésiter à se faire aider par un conseil. Un conseil pourra en effet aider à réfléchir en amont aux besoins de l'entreprise et aux solutions à proposer aux créanciers. Ces réflexions devront aboutir à l'élaboration d'un plan stratégique afin de vendre de nouveau l'histoire de la société aux financeurs, pour que ceux-ci aient envie de parier de nouveau sur son avenir. Le premier argument étant bien entendu la survie de l'entreprise : une société en faillite ne paye plus ses créanciers. Mais il ne doit pas être le seul : il s'agit de faire rêver de nouveau avec un plan ambitieux, mais faisant cependant face aux difficultés avec lucidité et transparence. " Il faut expliquer les détériorations et les perspectives pour faire comprendre la situation, mais présenter un avenir séduisant ", résume Julien Trélhu, associé BDO spécialisé en restructuring.
Le gros avantage des sessions de conciliation réside dans leur caractère confidentiel : elles se déroulent sous le sceau de la confidentialité et les discussions et les accords ne sont pas tenus d'être publiés, à l'inverse d'un redressement ou d'une sauvegarde. Cela permet de ne pas affoler ses clients et fournisseurs, et surtout que l'information ne remonte pas aux oreilles des assureurs crédit qui pourraient dégrader la note de la société.
9 S'ouvrir à de nouveaux financements
Restructurer sa dette peut aussi être l'occasion de s'ouvrir à de nouvelles formes de financement. "Les ETI ont tendance à contracter de la dette classique auprès de partenaires bancaires alors qu'il existe d'autres solutions parfois plus efficaces, ou en tout cas plus flexibles", pointe Olivier Vermeulen, associé gérant de Paul Hastings et responsable de la practice finance, donnant l'exemple des fonds de dette. "Cela permet, par exemple, de passer d'une dette bancaire amortissable à une dette qui ne l'est pas, ce qui peut être intéressant lorsque l'on a besoin de conserver ses cash flow", décrit-il.
Baptiste Janiaud (Séché Environnement) a lui profité du refinancement de la dette de son entreprise pour l'ouvrir à un financement " green " : en fonction des performances RSE du groupe (politique d'efficience énergétique, biodiversité et notation de l'agence EthiFinance), le financement est assorti d'un bonus ou d'un malus. De quoi positionner l'entreprise comme un acteur du développement durable.
Si s'ouvrir à de nouveaux financeurs est intéressant à plusieurs titres, attention à bien les choisir, à s'assurer de leur solidité et surtout de leurs bonnes intentions. Julien Trélhu (BDO) met en garde contre les faux amis : "Un financeur trop gentil, qui accepte toutes les conditions sans négocier, a de grandes chances de vouloir uniquement prendre connaissance de l'entreprise dans l'objectif de la reprendre ensuite à la barre du tribunal." Au lieu d'être une solution, le refinancement deviendrait alors un problème supplémentaire
Refinancer sa dette quand tout va bien
" Dans le contexte actuel de fortes liquidités, il peut être intéressant de renégocier les termes de sa dette aux fins d'en améliorer les conditions, notamment financière, et/ou pour pouvoir se " releverager " ", estime Olivier Vermeulen, associé gérant de Paul Hastings et responsable de la practice finance. Les entreprises en sont bien conscientes et elles sont nombreuses à avoir profité des taux bas pour diminuer leurs intérêts ou pour augmenter la durée de leur endettement. Bien sûr, ces renégociations se font rarement sans contrepartie : " Outre les commissions, les banquiers peuvent demander du business supplémentaire ", observe Mohamed Benlaribi, associé Deloitte au sein du département Risk Advisory. Mais des leviers de négociations existent : "Quand tout va bien, l'entreprise n'a aucune nécessité à restructurer sa dette. Elle a donc le temps et le pouvoir de jouer sur les commissions des banquiers", avance Mohamed Benlaribi. Ces renégociations touchaient essentiellement les dettes obligataires. Mais avec la norme IFRS9, l'impact des renégociations doit immédiatement apparaître sur le compte de résultat, alors qu'il était possible de l'étaler sur toute la durée de la nouvelle dette auparavant. " On assiste à un ralentissement des renégociations avec ce changement des normes comptables", rapporte Mohamed Benlaribi.
La dette est parfois mal calibrée, créant des difficultés actuelles ou à venir. Ne pas hésiter, donc, à se lancer dans une opération de restructuration de sa dette pour obtenir de meilleures conditions des financeurs, ou même s'ouvrir à de nouveaux créanciers, en vendant à nouveau son entreprise
10 Montrer le cap !
Une entreprise en retournement peut inspirer la défiance. Celle de ses financeurs, de ses fournisseurs, de ses clients... et même de ses employés. Ainsi, au coeur des difficultés, et même quand l'entreprise va mieux, il faut réussir à conserver du crédit auprès de ses différentes parties prenantes pour que la crise financière ne soit pas aggravée par une crise de confiance.
Le rôle du Daf est central dans cette nécessité de conserver et de rétablir la confiance. " Le Daf représente la fiabilité des informations communiquées. Il doit projeter une image de maîtrise de la situation et donc expliquer les problèmes avec transparence, les perspectives et les besoins nécessaires pour les mettre en oeuvre ", explique Olivier Marion, associé PwC, responsable Deals, et président de l'association pour le retournement des entreprises (ARE). C'est en effet cette transparence sur la situation, mais aussi sur les moyens mis en oeuvre et la stratégie future de l'entreprise qui rassurera l'ensemble des partenaires.
11 Faire preuve de réalisme
La confiance passe avant tout par la transparence : en effet, comment faire confiance à quelqu'un si l'on sent qu'il nous dissimule quelque chose ? " Pour ne pas perdre la confiance, il faut dire la vérité. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut dévoiler tous les dessous. Mais il ne faut pas se faire prendre à défaut et s'assurer de la solidité des déclarations que l'on avance ", précise Guilhem Bremond, avocat associé au sein de Bremond & Associés.
En effet, pour ne pas mentir aux autres, il faut commencer par ne pas se mentir à soi-même : Thierry Grimaux, associé en charge des sujets restructuring chez Valtus, conseille de réaliser une introspection afin de déterminer les raisons pour lesquelles l'entreprise s'est retrouvée en difficulté. Une étape nécessaire dans laquelle le Daf peut-être très utile, aussi bien au niveau de la compréhension que de l'analyse.
Et seulement après, une nouvelle stratégie peut être établie. Là encore, le Daf doit être sincère dans le plan qu'il établit. " Pour conserver la confiance, on fait ce qu'on dit, et on dit ce qu'on fait. Ce qui veut dire qu'il faut être réaliste et ne pas se tromper dans ses prévisions : un banquier arrêtera de financer s'il a le sentiment que l'entreprise est mal pilotée ", met en garde Thierry Grimaux.
Ce sont ces analyses, sur la situation et sur l'avenir de l'entreprise qu'il faut présenter aux différentes parties prenantes, et en particulier aux créanciers pour qu'ils ne se retirent pas, et aux fournisseurs pour qu'ils n'aggravent pas leurs conditions. Frédéric Cossais, directeur général finance chez VFB Lingerie et consultant indépendant chez One Man Support, invite aussi à rassurer, avec ce discours de transparence, les assureurs crédit. " Ces derniers sont importants, car ce sont eux qui délivrent une note sur l'entreprise auprès des fournisseurs ", indique-t-il. En effet, si le Daf arrive à les convaincre de ne pas dégrader la note, cela fera un argument supplémentaire à servir à ses partenaires.
Autre interlocuteur important auquel on ne pense pas toujours : la Banque de France. " Rencontrer son conseiller Banque de France pour lui présenter des indicateurs qui montrent que la situation va mieux peut permettre de le convaincre de réajuster la note à la hausse ", explique Frédéric Cossais. La cotation de la Banque de France est une appréciation sur la capacité d'une entreprise à honorer ses engagements financiers à un horizon de un à trois ans, et peut avoir une incidence sur l'accès au financement.
Cette action de communication auprès des différents partenaires de l'entreprise devra se faire de manière régulière afin de les informer de la mise en oeuvre du plan de restructuration, rapporter si tout fonctionne comme attendu, rassurer sur les actions correctrices établies si ce n'est pas le cas, etc. L'idéal est de rencontrer fréquemment les différentes parties prenantes de l'entreprise, hors de tout contexte positif ou négatif : ces contacts réguliers permettront de tisser des liens de confiance qui auront moins de chance de se distendre si l'entreprise fait face à une crise.
12 Ne pas oublier l'interne
Nous avons parlé des créanciers et des fournisseurs. Mais une autre population peut être inquiète des difficultés rencontrées : les employés. Il ne faudrait pas que la société, en plus de sa situation de crise, ait à faire face à de nombreux départs. Et encore moins à la perte de personnel clé et/ou compétent. " Les salariés doivent être persuadés qu'il y a un futur. Ce qui rassure c'est avant tout un vrai projet d'entreprise qui se montre ambitieux, pointe Olivier Marion (PwC). Ce doit être tangible : il ne s'agit pas de faire rêver avec un projet utopique, mais de montrer qu'on avance ". Il recommande de communiquer en interne très régulièrement afin de mettre fin aux rumeurs qui peuvent naître. " En interne, la transparence paye : il faut communiquer sur les actions menées et qui vont être menées ", ajoute Frédéric Cossais.
Sa solution pour éviter les départs de collaborateurs : recevoir individuellement chaque personne qui a émis le souhait de partir. "Je leur montre le plan de restructuration et surtout je leur dis à quel point surmonter une telle situation va leur apprendre de choses. Après avoir traversé des difficultés, il est plus facile de savoir comment réagir face à des situations problématiques ", raconte-t-il. Olivier Marion conseille quant à lui de ne pas négliger les aspects sociaux. "Ne pas hésiter à mettre à plat les accords salariaux pour les repositionner en cohérence avec la relance envisagée", précise-t-il.
Pour Frédéric Cossais, le plus important est de maintenir une bonne cohésion interne, essentielle au vu des efforts qui vont être exigés de chacun. " Il ne faut surtout pas chercher de coupables ", insiste-t-il. Il incite avant tout les dirigeants à montrer l'exemple, à travailler en équipe avec les autres directions, sans apporter aucune critique sur les décisions de gestion de leurs collègues. Conserver une bonne ambiance en interne permettra de traverser plus sereinement la crise, mais aussi d'en sortir grandi. " Après une crise, une solidarité se crée. De plus, les relations internes sont plus franches, on se dit plus naturellement les choses ", observe Thierry Grimaux (Valtus). Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort.
5 actions qui inspirent la défiance :
Dissimuler des difficultés aux différentes parties prenantes
Revenir régulièrement sur ses prévisions de croissance
Allonger ses délais de paiement fournisseurs
Licencier des personnes pour l'exemple
Communiquer sur ses difficultés trop tard (ou trop tôt)
Une entreprise qui traverse une crise financière peut aussi connaître une crise de défiance. Pour éviter d'ajouter des difficultés aux problèmes existants, mieux vaut veiller à conserver la confiance de l'ensemble des parties prenantes en jouant la carte de la transparence et de la communication.
13 [Témoignage] " On ne peut pas arriver avec une recette toute faite "
Cela fait plus de vingt ans que Sibylle Blumenfeld officie en tant que Daf au sein de différentes organisations. Une longue vie professionnelle au cours de laquelle il lui est arrivé à plusieurs reprises d'être confrontée à des difficultés financières. Pour réussir son retournement, elle a noté qu'il existe trois phases invariantes : faire le bon diagnostic, fédérer les équipes et se positionner comme grand argentier.
14 Signaux forts et faibles
La phase de diagnostic est essentielle pour comprendre les difficultés. " En ces périodes d'incertitude économique, il se passe des choses qu'on ne veut ou qu'on ne peut pas voir ", souligne-t-elle, indiquant qu'il est parfois nécessaire de changer de directeur financier afin qu'il ait moins la tête dans le guidon ou qu'il soit mieux entendu. " Un nouveau joueur, plus frais, bénéficie d'un nouveau regard et d'une nouvelle écoute ", pense-t-elle. Que ce soit un nouveau Daf ou celui déjà en place, le diagnostic doit être mené en libérant la parole des différents acteurs de l'entreprise. " On ne peut pas arriver avec une recette toute faite. On peut apporter des ingrédients faits de lectures et de son expérience passée, mais il va falloir inventer une recette inédite ", insiste Sibylle Blumenfeld. Elle invite à s'entretenir avec chacune des parties prenantes, pour écouter leur point de vue et recueillir leur ressenti.
Pour faire ce diagnostic, le Daf doit également se pencher sur les chiffres de l'entreprise. Ceux-ci révèlent des signaux forts (baisse du volume des ventes, baisse de l'EBITDA, etc.), mais aussi des signaux faibles (hausse du BFR, des litiges clients, des délais de paiement, immobilisations incorporelles plus importantes, augmentation de l'absentéisme, du turnover...). " S'intéresser aux signaux faibles permet de prendre le problème le plus en amont possible, ce qui rendra l'opération de retournement plus efficace ", prévient Sibylle Blumenfeld.
15 Embarquer les équipes
Une dimension essentielle à la réussite d'un retournement est la dimension humaine. " Le Daf ne doit pas être un exécutant froid qui applique des règles et exige de la rigueur. Il faut penser aux gens et embarquer les équipes ", conseille Sibylle Blumenfeld. Ce sont les équipes qui mèneront les changements nécessaires au retournement. Pour les mobiliser, il faut avant tout faire preuve de pédagogie pour diffuser une culture financière. " Le Daf explique les difficultés, ne cache pas les choses ", maintient-elle.
Une des difficultés est de réussir à aligner les intérêts des actionnaires et ceux des salariés : pour répondre à cette épineuse question, Sibylle Blumenfeld conseille de recourir à des outils comme l'intéressement, et le management package dans les start-up ou les groupes sous LBO.
16 Phases défensives et offensives
Enfin, dernière phase essentielle, le Daf doit se transformer en grand argentier. " Pour financer le nouveau développement de l'entreprise, du cash doit être réinvesti : le Daf doit incarner le projet et la vision stratégique de l'entreprise, afin de rétablir la confiance et que les actionnaires soient d'accord pour suivre financièrement ", explique Sibylle Blumenfeld. Il doit également rassurer les banquiers en cas de baisse d'activité et de rupture des covenants. " Les banquiers peuvent être déçus pour le présent, mais ils ne doivent pas être inquiets pour l'avenir ", décrit Sibylle Blumenfeld. Le Daf doit donc alterner des phases défensives et offensives qui lui permettront de passer cette période difficile. L'objectif est de créer des relations gagnant/gagnant avec l'écosystème de l'entreprise.
Animatrice d'un groupe de travail au sein de la DFCG sur les entreprises en retournement, Sibylle Blumenfeld a plusieurs fois au cours de sa carrière de Daf été confrontée à des périodes d'incertitudes économiques. Elle nous livre ses conseils pour réussir son retournement.
17 Le podcast du dossier
Pour écouter cliquez ici :
Retrouvez la synthèse audio de notre dossier sur la détection des situations de crise et la conduite d'un retournement.
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