[Tribune] Achats - finance : collaborer pour anticiper les défaillances de fournisseurs
Les acheteurs sont bien formés et outillés pour anticiper et gérer les défaillances opérationnelles, mais ils sont peu préparés aux défaillances financières. Là, ils ont tout intérêt à faire équipe avec la finance.
Lors de la crise de 2008, les entreprises se sont sérieusement souciées de la viabilité de leurs fournisseurs. En 2016, le nombre de défaillances régresse (Euler Hermes) mais les résultats sont hétérogènes : en Espagne, il est six fois supérieur à la moyenne de 2003-2007. Dans le contexte de récession aiguë, clients et fournisseurs ont géré l'urgence, mais que reste-t-il de la mobilisation déployée au plus fort de la crise ? Notre enquête sur l'interface achats / finance (menée fin décembre 2015) confirme que peu de sociétés ont transformé leurs efforts en une véritable surveillance continue, capable de détecter le risque avant la défaillance, mais aussi avant leur concurrence. Les acheteurs sont bien formés et outillés pour anticiper et gérer les défaillances opérationnelles, mais ils sont peu préparés aux défaillances financières, et là, ils ont tout intérêt à faire équipe avec la finance.
Quel est le besoin ?
- -Un tri judicieux permet de limiter à quelques centaines le nombre de fournisseurs pouvant nuire de façon significative aux résultats de l'entreprise.
- -Un régime à deux vitesses : une routine trimestrielle et des analyses ponctuelles déclenchées sur des événements majeurs, géopolitiques ou catastrophes naturelles, pour piloter le risque en temps réel et réagir vite.
- Une mesure prospective plutôt qu'un rétroviseur.
Lire aussi : Hausse des délais de paiement : la trésorerie des entreprises se maintient mais reste fragile
- Enfin, une intensité du risque pour définir des seuils d'alerte et hiérarchiser les priorités.
Quels signes avant-coureurs traquer ?
Là, il convient de faire appel à son DAF, c'est lui qui a mis en place une analyse de fiabilité des clients. Il va sûrement recommander une focalisation sur les défauts de cash : une absence de liquidités qui bloque les dépenses et les investissements, une dette qui vient à échéance, une difficulté à emprunter à un taux compétitif...
Que mesurer ?
Nous n'examinerons ici que le cas des fournisseurs qui publient leurs résultats. On peut créer son propre indicateur, combinaison linéaire de ratios habilement pondérés, mais il est plus simple d'adopter des indices publiés par Moody's, D & B, Credit Sight ou autres. Certains sont basés sur un historique de performance alors que c'est le futur qui nous préoccupe. Deux d'entre eux intègrent bien cette dimension : l'Expected Default Frequency (EDF) et le Z-score. Ils évaluent la probabilité de défaillance sur les 12 ou 24 mois à venir. L'indice le plus adapté à son secteur sera choisi avec le DAF, qui soutiendra et crédibilisera l'option choisie.
La mise en oeuvre
Des seuils de risques sont établis avec le DAF. Les acheteurs, formés à l'analyse (par les financiers), vont interpréter les indices des fournisseurs à risque dans leur contexte business, pondérer et extraire une liste noire d'entreprises. Ces dernières feront l'objet de plan d'actions et de revues périodiques en Comex. Les commandes passées à ces sociétés doivent faire l'objet d'une approbation spécifique associée à un verrou informatique. Enfin, n'oublions pas le cycle d'apprentissage : a-t-on effectivement traqué toutes les défaillances, doit-on ajuster le processus ?
Dans l'enquête de Synapscore, nous avons constaté une appétence réelle des achats pour collaborer avec la finance sur la gestion des risques fournisseurs. Nous n'avons pas perçu la réciproque chez les financiers. Nous sommes convaincus que c'est dans ces décalages que se trouvent les nouveaux grands gisements de création de valeur pour l'entreprise.
L'auteur
Patrick Scholler, associé chez Synapscore, est intervenant dans des Masters Achats. Il a travaillé à la direction des achats chez HP et Alstom Power.
Sur le même thème
Voir tous les articles Risques