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DossierQuand le Daf prend la parole

Publié par Camille George le

1 - Com'externe, l'art de compter

Le Daf ne peut plus rester dans sa tour d'ivoire à manier des chiffres. Il est désormais un maillon de la communication de l'entreprise, vis à vis des partenaires financiers. Un rôle qui exige non plus seulement de présenter les résultats mais de vendre son entreprise aussi bien sur des éléments fin

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Il y a un an et demi, l'entreprise de semences Deleplanque et cie a fait l'acquisition d'un groupe allemand deux fois plus gros qu'elle. Une opération pour laquelle il a fallu faire appel à des partenaires financiers : les partenaires bancaires historiques, Bpifrance mais aussi un fonds d'investissement, Unigrains, qui a augmenté sa part au capital, passant de 5 à 25%. " Nous les avons convaincus grâce à notre gestion à la fois prudente et dynamique et nos différents projets à moyen et long terme : l'international, les enjeux économiques et environnementaux du secteur agricole, etc... Beaucoup d'éléments étaient de nature à les intéresser à nous ", raconte François de Romémont, le Daf de Deleplanque et cie.

Un exemple qui montre la nécessité pour le Daf de n'être plus seulement un " business partner " mais un " story teller " : il ne doit plus uniquement apporter la bonne information financière, les bons chiffres, mais leur faire raconter une histoire, celle de l'entreprise, de façon à intéresser les éventuels partenaires financiers. " La communication financière, c'est avant tout de la communication. Cela ne peut donc pas se limiter à un compte de résultat ", souligne Jean-Yves Léger, qui distille des conseils en communication financière au sein de sa structure Lekou. Une tendance qui, selon lui va s'accélérer avec l'obligation de traiter des sujets extra-financiers. " Il s'agit de vendre l'entreprise dans sa globalité, c'est-à-dire ses résultats mais aussi ses dirigeants, ses performances financières mais aussi extra-financières, sa stratégie, ses fondements, etc... ", décrit-il. " Les chiffres doivent être reliés à une histoire, à une stratégie ", ajoute Mathieu Calleux, directeur général de l'agence Calyptus.

Raconter une histoire sans mentir

Un nouveau rôle qui n'est pas forcément évident pour le Daf, plus habitué des tableaux Excel que du story telling. " Le discours sur les chiffres est naturel pour moi. J'ai en revanche dû gagner en expérience pour vendre nos projets en présentant non seulement les chiffres mais aussi notre activité, nos problématiques de marché, etc. Les banques ne sont plus seulement des prêteurs, elles sont également attachées à d'autres sujets, comme le respect des normes environnementales et la démarche de responsabilité sociétale des entreprises. Il faut aussi leur présenter, au-delà de la rentabilité, ce que notre entreprise apporte d'un point de vue technique, environnemental et comment nous répondons aux enjeux de société de notre secteur... ", rapporte François de Romémont (Deleplanque et cie).

En effet, les partenaires financiers veulent rêver. Il s'agit donc de mettre en avant l'entreprise sous son meilleur jour. " Si les résultats ne sont pas au rendez vous, il faut parler de l'avenir, qui sera meilleur et montrer comment l'entreprise est agile dans cette direction ", conseille Nicolas Zanelli, Daf du joaillier de luxe Messika. Il met en garde, cependant, contre tout mensonge : " En travestissant la réalité, on est forcément rattrapé par le marché : le Daf est quand même garant d'une information financière, et soumis selon l'entreprise à une contrainte de rigueur de marché. On peut présupposer un futur sans mentir, mettre en lumière une activité qui marche bien et passer plus vite sur celle qui ne fonctionne pas..."

La transparence est en effet le maître mot en matière de communication financière. " On peut certes travestir la réalité mais cela ne dure jamais bien longtemps. Même lorsqu'on vit des moments difficiles à expliquer, il faut montrer que les problèmes sont parfaitement cernés et expliquer les solutions que l'on va apporter ", recommande Patrice Lambert-de Diesbach, directeur de la communication financière et des relations investisseurs d'Orange et administrateur du Cliff (association française des professionnels de la communication financière).

Etre transparent permet aussi de gagner la confiance de ses partenaires financiers. Pour prouver que l'histoire racontée ne consiste pas uniquement en de belles paroles, il faut apporter des éléments concrets, indiscutables. " Il faut des engagements, des projets, des éléments probants afin de confirmer ses démonstrations. Les marchés sont capables de tout entendre à condition que ce soit étayé et pas juste affirmé sans être démontré ", observe Patrice Lambert-de Diesbach.

Par ailleurs, il est indispensable d'adapter son discours à son interlocuteur afin de réellement lui apporter l'information qui l'intéresse. Par exemple, des fonds peuvent être plus dans l'attente de résultats courts termes tandis que d'autres souhaitent obtenir des informations sur le plan de développement. " Il y a différentes manières de présenter l'histoire de la société, les éléments apportés doivent également l'être fonction du style de l'investisseur. Ce qui exige une connaissance fine de ses investisseurs, leur approche et donc de leur style de gestion ", remarque Patrice Lambert-de Diesbach. Jean-Yves Léger (Lekou) conseille de réaliser un TPI (titre au porteur identifiable), qui permet de mieux connaître son actionnariat. " Ainsi, si on voit que la majorité des actionnaires sont dans le Sud, on fait plus de réunions dans le Sud ", explique-t-il.

Quelle communication de crise ?

Et en cas de crise comme actuellement quelle communication le Daf doit-il adopter ? Jean-Yves Léger, qui distille des conseils en communication financière au sein de sa structure Lekou, conseille aux Daf de travailler sur des scénarios de crise. " En cas de crise, le Daf devra au moins appeler rapidement ses interlocuteurs comme les banquiers, les analystes, etc... ", anticipe-t-il. Une liste doit donc être dressée préalablement pour ne pas être pris au dépourvu. Et c'est évidemment un discours rassurant, de maîtrise de la situation qui devra être délivré. Cette préparation est d'autant plus importante qu'aucune entreprise n'est aujourd'hui à l'abri d'un scandale de type metoo ou d'une fake news qui déstabiliserait les marchés. " Le risque de détournement d'une information auquel les marchés peuvent réagir de manière hyper réactive va devenir un vrai sujet, comme l'a montré l'affaire Vinci en novembre 2016. Une veille est nécessaire ", pense Jean-Yves Léger.

De l'importance de la forme

Autre élément d'importance : il ne s'agit pas de communiquer avec ses partenaires financiers uniquement au moment de l'entrée en relation pour ensuite mettre fin à tout échange. " Nous essayons d'instaurer un cercle vertueux en communiquant régulièrement auprès de nos investisseurs. Cela nous permet de les embarquer sur d'autres sujets ", indique François de Romémont (Deleplanque et cie). En effet, communiquer régulièrement permet d'instaurer une relation de confiance et d'aller plus loin ensemble, de co-construire des projets.

Bien que ne travaillant à présent plus dans une société cotée, Bruno Monte, Daf de Grap'Sud, spécialiste des produits dérivés du raisin et de l'olive, essaye de garder les bons réflexes qu'il y a acquis, notamment en termes de communication. La communication externe est donc assez structurée. " Envers nos financeurs et les assureurs crédits, nous diffusons une communication quadrimestrielle commentée suivie d'entretiens téléphoniques ou physiques pour expliquer nos projets, nos résultats, ainsi que nos objectifs ", décrit-il. Instaurer des rendez-vous avec ses partenaires financiers est en effet un bon moyen de rendre la société attractive.

Car si le fond est important en matière de communication financière, la forme l'est tout autant. Les reportings et les communiqués doivent être soignés, mettant en avant les informations les plus importantes. Par ailleurs, il ne faut pas négliger les nouveaux supports, c'est-à-dire Internet et les réseaux sociaux. " On peut publier sur son site Internet des indicateurs, pas forcément purement financiers : ce peut être le volume ou le nombre de produits vendus, le nombre de clients, etc... Il faut choisir des indicateurs qui illustrent la pertinence de la stratégie ", avance Mathieu Calleux (Calyptus).

Surtout, il est primordial de ne pas se limiter à l'écrit mais prévoir également des réunions, au moins téléphonique. " En communication financière, il faut avoir en tête que l'on est en concurrence avec les autres sociétés, notamment sur la place boursière, qui compte pas moins de 55 5000 sociétés cotées. Il faut donc se présenter, se vendre, convaincre ", pointe Jean-Yves Léger (Lekou). Selon lui, pour convaincre, rien de tel que le contact direct, c'est-à-dire des road shows, des conférences téléphoniques, etc... " Il faut beaucoup de présence sur le terrain car plus ça va mal, plus il faut être sur le terrain au contact des investisseurs. C'est beaucoup plus efficace que d'envoyer de simples documents : les investisseurs jouent en effet leur argent et la relation humaine est incomparable pour les aider à se forger une opinion ", intime Patrice Lambert-de Diesbach (Orange). Un discours transparent et étayé d'exemples concrets, qui met en avant la stratégie de l'entreprise, en fonction des attentes du partenaire financier. Et le tout présenté lors d'une réunion physique. Voilà ce qu'attendent les partenaires financiers du Daf qui ne doit plus avoir peur d'endosser son costume de communicant.

Les 8 commandements de la communication financière

- Une belle histoire tu raconteras

- Honnête et transparent tu resteras

- La stratégie de l'entreprise tu expliqueras

- Des données extra-financières tu fourniras

- Des exemples concrets tu utiliseras

- Ton discours à ton interlocuteur tu adapteras

- Des communications régulières tu feras

- A l'écrit, des réunions physiques tu préfèreras

Journaliste économique depuis 2005, avec une forte appétence pour les sujets environnement/climat, j'ai fondé un Repair Café et suis [...]...

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