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Entreprise étendue : le point sur la maturité de la fonction achats

En octobre dernier, Logica Business Consulting (aujourd'hui CGI Business Consulting), organisait un think tank sur le thème de l'entreprise étendue à l'échelle de la fonction achats, qui a débouché sur une enquête1. Le point sur les résultats avec les principaux auteurs de cette enquête.

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Entreprise étendue : le point sur la maturité de la fonction achats
Entreprise étendue : le point sur la maturité de la fonction achats

Décision Achats : Aujourd'hui, quelles sont les limites effectives des concepts de maturité et d'entreprise étendue ? De quoi parle-t-on ?

Bruno Cracco : Je pense que, du point de vue du concept, l'adhésion est totale. Cependant, il faut bien reconnaître qu'il y a une réelle distorsion entre le management de la fonction achats et les opérationnels. La principale limite est vraiment culturelle car, sur le terrain, on considère toujours qu'un bon acheteur est celui qui est capable de mener une bonne négociation. Mais, pour atteindre une réelle maturité, il faut pouvoir dépasser ce cadre un peu trop restreint. D'autre part, les directions générales des entreprises, de leur côté, n'ont pas toutes accepté le changement de relation entre client et fournisseur, qui doit présider à la notion d'entreprise étendue. L'optimisation des coûts ponctuelle n'a pas de sens pour l'entreprise étendue, il faut chercher à optimiser les coûts globaux, ce qui n'est pas toujours simple à faire comprendre...

Quels critères d'évaluation proposez-vous d'appliquer à la maturité de la fonction achats dans le pilotage de l'entreprise ?

B.C. : Il est essentiel de transposer des principes qui ont été mis à mal par les stratégies de recentrage sur le coeur de métier de l'entreprise. 70 % de la valeur est créée aujourd'hui à l'extérieur de l'organisation. Les entreprises sont désormais toutes interconnectées. La solution n'est plus "fais-moi un bon prix", mais "comment pouvons-nous être plus compétitifs ensemble ?". Dans ce cadre, la valeur peut vraiment venir de la fonction achats, mais les acheteurs eux-mêmes ont du mal à imposer une vision plus stratégique. Il faut donc faire vraiment évoluer les mentalités, faire en sorte que la fonction achats sorte de ses prérogatives habituelles pour occuper le terrain dans la manière de produire.

Leïla Cardot-Fahas : C'est un véritable défi pour la fonction achats qui n'est pas formée pour cela, ce qui nous incite à penser que les profils d'acheteurs doivent évoluer.

Cela implique-t-il que les fondamentaux de la formation soient à revoir ?

L.C.-F. : Je pense que c'est une certitude. Les règles de base pour former un acheteur reposent sur la mise en concurrence des fournisseurs, la négociation d'opportunités, etc. Si l'on brise le fournisseur, si on l'empêche par la négociation de créer pour lui-même de la valeur, il ne peut inscrire sa relation avec l'acheteur dans la durée. La remise en question perpétuelle des accords et des marchés nuit à l'entreprise étendue. C'est un premier principe de formation à -repenser. Mais j'irai plus loin. Il faut rééquilibrer la relation avec les fournisseurs. Pour cela, une connaissance technique de ce que l'on achète est primordiale. Il faut donc créer des passerelles entre les services et la fonction achats pour que les acheteurs comprennent les enjeux métier. La connaissance technique lui permet alors de mieux acheter non pas en termes de négociation, mais d'adaptation du produit ou du service acheté au besoin connu de l'entreprise...

B.C. : Briser les silos est une nécessité, impliquer la fonction achats dans les décisions stratégiques de l'entreprise est nécessaire. Mais il faut aussi que la fonction achats ose prendre la parole, réclamer sa part dans la stratégie de l'entreprise et c'est maintenant qu'elle doit s'imposer !

"61 % des PME passent encore des contrats ou commandes n'ayant pas fait l'objet d'un cahier des charges." Comment expliquez-vous cela ?

B.C. : Concernant ce chiffre, il convient de bien faire la distinction entre les grands comptes et les PME. C'est un point important. Les PME qui ont une forte culture achats sont assez rares. Ce chiffre n'est donc pas une vraie surprise. Je ne considère pas, par ailleurs, que cela soit un mal.

L.C.-F. : En effet, si l'on se place dans l'optique de l'entreprise étendue, le cahier des charges n'est finalement pas un problème. Si la relation nouée avec le fournisseur s'inscrit dans la confiance, la réciprocité et l'équilibre, on peut supposer qu'il saura s'adapter aux besoins de l'acheteur. Un cahier des charges trop technique et trop strict limite la souplesse que l'on peut attendre de l'entreprise étendue.


"Seulement 12 % des répondants sélectionnent leurs fournisseurs pour leur volonté de travailler ensemble sur le long terme." Quels leviers demain pour sortir d'un rapport master / servant ?

B.C.: Lorsque les acheteurs définissent leurs critères, la sélection ne tient que rarement compte de la durée de la relation, sauf dans le cas de prestations très précises. C'est effectivement un problème pour permettre l'émergence de la notion d'entreprise étendue.

L.C.-F. : Les acheteurs sont malheureusement trop "incentivés" sur la réduction des coûts en règle générale. Ce n'est ni la qualité de la relation ni sa pérennité qui priment. C'est regrettable. Pour sortir de cette ornière, le principal levier à actionner vient des directions générales qui doivent, elles aussi, chercher à entretenir des relations avec les fournisseurs pour tisser des relations de confiance, en créant des clubs de fournisseurs privilégiés par exemple.

Lorsqu'une entreprise parvient au sixième stade de maturité tel que vous l'avez défini, quels sont les leviers, pour pérenniser l'entreprise étendue et éviter qu'elle ne régresse ou s'éteigne ?

L.C.-F. : La volonté de pérenniser l'entreprise étendue ne doit pas non plus être un objectif absolu. Il faut, par de bonnes pratiques, favoriser l'émergence d'un écosystème qui doit vivre par lui-même, un peu à la manière des réseaux sociaux. Chacun doit garder son individualité et y trouver son compte dans un climat de confiance et de réciprocité. Vouloir absolument inscrire cet écosystème dans la durée, c'est à nouveau créer de la rigidité, soit l'inverse de ce que l'on recherche dans le concept d'entreprise étendue.

En résumé, il faudrait que la fonction achats soit peut-être un peu moins technicienne et un peu plus humaine ?

B.C. : C'est absolument le message que nous adressons à la profession. Il faut remettre de l'humain dans ces relations. Confiance, compréhension, écoute. Ce sont des êtres humains qui produisent et conçoivent ce que l'on achète. On veut tout appuyer sur des processus et non sur des personnes. C'est là qu'est l'erreur !

1/ Enquête annuelle 2012-Maturité des fonctions achats dans le pilotage de l'entreprise étendue.

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