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DossierFintech française, la mue est en cours

Les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni sont les trois grands pôles fintech mondiaux. En France, le secteur est encore jeune mais plein de potentiel. Panorama à la mi 2017 (ça bouge tellement vite!) du marché tricolore, de ses handicaps et de son avenir.

Publié par Florence Leandri le
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Fintech française, la mue est en cours

1 Investissements dans la fintech française et mise en contexte mondiale

L es investissements mondiaux de capital-risque dans la fintech ont presque quintuplé au cours des trois dernières années, avec 13,6 Md$ en 2016, selon l'étude "Fintech, anything but alternative" de GP Bullhound, banque d'affaires technologique. Néanmoins, le cabinet de conseil KPMG, dans son baromètre trimestriel "Pulse of fintech Q1 2017", constate un ralentissement des levées de fonds en nombre et en valeur. Une information à nuancer : " En France, les 14 deals bouclés au premier trimestre 2017 constituent un record jamais atteint, et leur valeur est en hausse, indique Fabrice Odent, responsable des activités financières chez KPMG. La période a enregistré deux levées de fonds de plus de 100 M$ en Europe : iZettle en Suède et Funding Circle en Angleterre. Ensuite, le premier trimestre 2016 a été tiré vers le haut par la Chine. "

En effet, 2016 a été marquée par l'explosion des investissements dans la fintech, en Asie et notamment en Chine. Cette émergence se traduit aussi par un nombre croissant de licornes, alias ces start-up valorisées à plus de 1 Md$. Les cinq nouvelles licornes dans la fintech en 2016 sont toutes asiatiques dont quatre en Chine, selon l'étude GP Bullhound. L'empire du Milieu compte 13 fintechs pesant 112,3 Md$. En comparaison, les États-Unis en disposent de 18 dont la valeur totale n'est que de 50,6 Md$. Puis suit le Royaume-Uni avec quatre licornes estimées à 18,5 Md$.

En France, l'espèce n'est toujours pas en voie d'apparition ! " L'absence de licornes n'est pas représentative du dynamisme de la fintech française ", dénonce Maximilien Nayaradou, directeur des projets R & D de Finance Innovation, pôle de compétitivité mondial dédié au secteur financier. " Nous n'avons peut-être pas encore de licornes, mais de belles scale-up et réussites entrepreneuriales ", signale Olivier Goy, fondateur de Lendix, plateforme de crowdlending.


D'autant qu'un faible niveau de valorisation n'est pas si handicapant. Au contraire, avec une valorisation moyenne estimée de 2 M€ et leurs bons niveaux de performance, les fintechs européennes ont de sacrés atouts pour séduire les investisseurs, selon le récent rapport d'Invest Europe.


L'absence de licornes (start up valorisées à plus de 1md de dollars) dans la fintech française ne reflète pas son dynamisme ni ne constitue un vrai handicap.

2 Le vrai souci de la fintech française? Un déficit de notoriété et de confiance


De fait dans notre pays, le secteur est récent, notamment comparé au marché américain. " Une start-up a besoin d'au moins une dizaine d'années pour atteindre le stade de licorne, résume Cédric Teissier, cofondateur de Finexkap, solution d'affacturage 2.0. Or les fintechs françaises sont encore jeunes. "

Plus de quatre Français sur cinq ne savent pas ce que signifie le terme "fintech"

En parallèle, le marché reste à éduquer. Ainsi, selon le Fintech Adoption Index 2017 d'EY, c'est en Chine, avec 69 %, que les services financiers innovants sont les plus utilisés, suivie de l'Inde (52 %) et du Brésil (40 %). En France, cette proportion chute à 27 %.

Plus de quatre Français sur cinq ne savent pas ce que signifie le terme "fintech" et 4 % le confondent avec le fitness, selon l'étude "Les Français et les fintechs", publiée par Deloitte. Seuls 4 % des sondés en ont une perception correcte. C'est dire si le secteur a une belle marge de progression en termes de notoriété !

" En France, le rôle des banques est central - ce qui n'est pas le cas en Chine, par exemple - et l'alternative est souvent vue avec crainte par le grand public ", complète Cédric Teissier, qui est aussi vice-président de France Fintech, dont l'une des missions consiste à "évangéliser" le marché.

Mais quid des professionnels ? Ce n'est guère mieux. Avec sa plateforme de prêts en ligne Lendix, Olivier Goy avoue avoir plus de difficultés à séduire les entreprises que les particuliers. Il est vrai que le crowdfunding est l'activité fintech la plus connue du grand public.

L'adoption massive des services fintechs viendra en son temps. Toujours selon l'étude Deloitte, un quart des Français se disent prêts à quitter leur banque ou leur assureur pour la fintech, sous réserve que ces acteurs inspirent confiance : la sécurité constitue un frein pour près d'un tiers des sondés.

Face à des particuliers profanes et frileux, certains acteurs revoient leur business model : ils se tournent vers le B to B en proposant notamment leur solution en marque blanche. " C'est le cas des robo-advisors qui, faute d'avoir ubérisé le secteur, se mettent à proposer leurs services aux professionnels, indique Maximilien Nayaradou (Finance Innovation). En B to C, l'acquisition d'une clientèle coûte très cher. "


L'absence de licorne française dans la fintech interpelle. Premier facteur explicatif, le secteur est récent, notamment comparé au marché américain.

3 Le marché se "concentre": de nombreux groupes bancaires font main basse sur les start-up


Le groupe BPCE a, en quelques mois, fait l'acquisition de Lepotcommun.fr, d'E-cotiz, de Depopass, de Fidor Bank, de PayPlug, et dernièrement de Dalenys.

De même en juin 2017, la Banque Postale s'est offert la plateforme de crowdfunding KissKissBankBank & Co.

Quant au Crédit Mutuel Arkéa, il a pris, en juillet, une participation majoritaire dans Pumpkin, start-up spécialiste du transfert d'argent entre particuliers.

" Ces rachats ne sont pas choquants, commente Guillaume Bonneton, partner du bureau parisien de GP Bullhound. Il y a toujours des start-up qui arrivent à passer entre les mailles du filet et qui trouvent les ressources nécessaires pour préserver leur indépendance et garantir leur croissance. En revanche, face à la multiplication des acteurs, une concentration va nécessairement s'opérer, via des rachats mais aussi des fermetures. "

Cédric Teissier (Finexkap/France Fintech), pour sa part, dénonce " l'approche dominatrice des banques. C'est un frein à la création de valeur capitalistique, à l'émergence d'innovations et de licornes. D'autant que cette stratégie de M&A proactive n'est pas près de s'arrêter. En parallèle, même si l'investissement dans la fintech française n'est pas en soi problématique, les montants levés sont insuffisants pour atteindre une taille critique ".

Si le marché est loin d'être mûr, les mastodontes du secteur, eux, ne s'y trompent pas et rachètent des start up du secteur fintech.

4 Quel avenir pour la fintech française au regard des freins et barrières réglementaires?

Dernier obstacle pour les fintechs tricolores : " L'imbroglio administratif en Europe, répond Guillaume Bonneton (GP Bullhound). Le secteur des paiements est le mieux harmonisé. Les freins réglementaires et les barrières entre pays tendent à s'estomper peu à peu. Mais, pour se développer, la fintech a besoin de visibilité et d'une harmonisation européenne. "

Focus: "regulatory sandbox".

Ce dispositif, mis en place en mai 2016, permet aux start-up de tester leurs innovations dans un cadre normatif allégé. " Au Royaume-Uni, c'est le régulateur qui s'adapte à la fintech ! ", s'enthousiasme Maximilien Nayaradou (Finance Innovation), qui reconnaît que la situation en France tend à s'améliorer avec notamment la création, en mai 2016, du pôle fintech de l'AMF et de l'ACPR.

" L'ouverture du monopole bancaire engendre des effets secondaires sur des lois qui ne sont pas prévues pour, reconnaît Olivier Goy (Lendix). On peut toujours mieux faire en termes de réglementation, mais on n'a pas à se plaindre, les régulateurs français sont proactifs. " Avis partagé par Cédric Teissier (Finexkap/France Fintech), qui ajoute : " Via leurs commissions dédiées, l'AMF et l'ACPR associent les fintechs aux réflexions pour envisager des ajustements législatifs ". En revanche, il attend " plus de soutien et une prise de position engageante de la part des pouvoirs publics ".


5 Et demain ?


" La fintech va exploser en France ", prédit Guillaume Bonneton (GP Bullhound). Maximilien Nayaradou, de Finance Innovation, entrevoit une belle opportunité pour les fintechs avec l'entrée en vigueur de la DSP2 . " En revanche, les agrégateurs vont ainsi probablement absorber les robo-advisors et entraîner une concentration du marché ", pressent-il. Croissance et concentration seront donc au programme de la fintech française ces prochaines années. Tout comme l'expansion en dehors de nos frontières. " Tous les secteurs profiteront de la dynamique des investissements, pour peu que les acteurs misent sur l'hybridation de leur modèle et se développent en Europe, appuie Mikaël Ptachek, spécialiste fintech chez KPMG. Car les investisseurs recherchent des entreprises avec des débouchés diversifiés. Le Brexit et la dépréciation de la livre sterling pourraient jouer en faveur de la fintech française en détournant les investissements vers l'Europe continentale. "

L'exemple de Lendix: fondée en 2014 et présente en Italie et en Espagne, Lendix a déjà pris le chemin de l'Europe. Mais son activité étant très encadrée, l'expansion à l'étranger s'en trouve complexifiée. " Il faut bénéficier d'agréments locaux et de sociétés immatriculées sur place ; c'est un véritable challenge ", reconnaît Olivier Goy (Lendix). Mais pas de quoi refréner les ambitions de l'entrepreneur, qui souhaite devenir le leader du crowdlending en Europe. Une scale-up en passe de se transformer en licorne ? C'est tout le mal qu'on lui souhaite. -


Parmi les obstacles au développement de la fintech française: l'administratif et la rigidité réglementaire! On peut être nouveau et rencontrer les mêmes obstacles que des plus anciens.

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