DossierDélais de paiement fournisseurs : pourquoi s'en soucier ?
Appliquer les délais de règlement prévus par la loi, seule une petite majorité d'entreprises françaises y parvient. Pourtant, payer ses fournisseurs en temps et en heure est une preuve de respect qui constitue la base d'un réel partenariat avec eux. [Mis à jour le 26/05/14]

Sommaire
- Le respect des délais de paiement, base d'une bonne relation client-fournisseur
- Une amélioration de courte durée
- Des clients qui cherchent la petite bête
- Un bon payeur bénéficie de ristournes
- Un seul mot d'ordre : organisation
- Les nouvelles conditions de règlement définies par la LME
- Que risque-t-on en cas de retard ?
- Des pratiques abusives pointées du doigt
1 Le respect des délais de paiement, base d'une bonne relation client-fournisseur
Accordant un entretien au mensuel Chef d'entreprise en janvier 2013, Pierre Pelouzet, le médiateur des relations interentreprises, disait regretter que les entreprises doivent passer plus de temps à courir après leurs règlements qu'à chercher des clients. " La LME (loi de modernisation de l'économie, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, NDLR) est claire sur les délais de paiement, et pourtant elle n'est pas respectée. Aujourd'hui, les délais de paiement restent le problème n°1, c'est le motif de saisine le plus courant que nous rencontrons ", déclarait-il. En effet, si la LME prévoit un plafonnement des délais de paiement, dans la réalité, des arrangements sont toujours trouvés pour flirter avec ces limites. Or, le respect des délais de paiement est la base d'une bonne relation client-fournisseur, sans laquelle aucun business durable n'est possible. Il est donc important de s'organiser en interne pour s'assurer de payer ses fournisseurs en temps et en heure.
2 Une amélioration de courte durée
La loi prévoit que les délais de paiement conventionnels ne doivent pas excéder 60 jours à compter de la date d'émission de la facture, ou 45 jours fin de mois, à l'exception de quelques accords dérogatoires. Le rapport 2012 de l'Observatoire des délais de paiement évaluait une moyenne de délais de règlement en 2011 à 44 jours de chiffre d'affaires pour le crédit clients contre 45 en 2010 et à 53 jours d'achat pour le crédit fournisseurs contre 56 en 2010. Une amélioration des délais de paiement qui a été de courte durée : la Confédération française du commerce interentreprises (CGI) note en 2012 un allongement des délais de paiement, associé à une augmentation des incidents de paiement.
Trois entreprises sur quatre indiquent rencontrer des difficultés pour faire respecter la LME et 60% se disent confrontées à des pratiques induisant des délais cachés. Du côté des PME, 79% des chefs d'entreprise ayant répondu à l'enquête de la CGPME (Confédération générale des petites et moyennes entreprises) menée en septembre 2012 déclaraient encore subir des retards de paiement. " Les clients retardataires ont été bien identifiés par 40% d'entre elles. Il s'agit principalement de grandes entreprises et d'entreprises publiques " précise Frédéric Grivot, vice-président de la CGPME.
Pourtant, l'État a réalisé de gros efforts quant à l'amélioration des délais de paiement : l'appropriation du logiciel Chorus a permis d'abaisser le délai global de paiement à 23 jours contre 38 en 2011. Les chiffres sont, en revanche, moins bons du côté des collectivités locales qui affichent un délai global de paiement en hausse, passant de 26 à 27 jours entre 2011 et 2012. Le vrai problème se situe du côté des entreprises dont l'activité est saisonnière (jouets, jardinage, équipements de ski...) ou de TPE qui se situent "en bout de chaîne", dont les clients finaux ne sont pas soumis à la LME.
Étienne Djelloul, directeur général de la société d'habillement masculin Indigo, témoigne : " La loi nous impose un règlement entre 30 et 35 jours après la livraison, alors que les ventes se font deux mois après. " La CGPME confirme : " L'évolution de la législation sur les délais de paiement a davantage profité aux entreprises industrielles. A contrario, certaines PME se situant au bout de la chaîne de distribution peuvent se retrouver doublement pénalisées, par la vente aux consommateurs et/ou par le fait que leurs clients étant à l'étranger ne sont pas soumis à la législation française sur les délais de paiement. " En effet, les sociétés qui travaillent à l'international s'estiment les grandes oubliées de cette loi sur les délais de paiement.
Afin d'aider ces différents types d'entreprises, plusieurs dispositions ont été prises. Les entreprises dont les produits ou prestations présentent un caractère saisonnier peuvent bénéficier d'accords dérogatoires pendant encore trois ans afin de les aider à adopter progressivement les délais légaux. Quant aux sociétés traitant avec l'étranger, elles bénéficient d'une nouvelle directive européenne sur les délais de paiement (2011/7/EU du 16 février 2011) applicable à compter de mars 2013 dans tous les États de l'Union. Cette directive prévoit notamment la création d'une indemnité forfaitaire due en cas de retard de paiement et la limitation de la durée des procédures de vérification et d'acceptation des marchandises. Mais, pour l'instant, rien n'est prévu concernant les relations commerciales avec les pays hors communauté, notamment la Chine.
3 Des clients qui cherchent la petite bête
Mais même dans l'Hexagone, les pratiques visant à retarder les échéances se sont renforcées, jouant sur une habile interprétation de la loi. Ainsi, Nicolas Foussier, Daf de la société de packaging Posson, qui constate que les trésoreries de ses clients sont de plus en plus tendues, parle de sociétés qui cherchent "la petite bête", afin de trouver le moindre défaut dans la livraison pour retarder le paiement. D'autres demandent davantage de gestes commerciaux ou reportent le point de départ du délai de paiement. Des demandes difficiles à refuser lorsqu'elles émanent d'un compte stratégique...
Certains donneurs d'ordres n'hésitent pas à recourir à des pratiques manifestement abusives pour contourner la loi. Pourtant, de multiples raisons devraient inciter à respecter ces délais de paiement fournisseurs. Au-delà des pénalités de retard et des sanctions prévues par la loi, c'est la responsabilité sociale de l'entreprise qui est en jeu. Et par là même, son image. " La responsabilité sociale et environnementale (RSE) vient au deuxième rang des questions posées lors des conseils d'administration ", constate Jacques Schramm, vice-président de l'observatoire des achats responsables (Obsar). Il rappelle à ce sujet qu'à l'horizon 2016, les entreprises de plus de 500 personnes devront présenter un reporting extra-financier mettant en exergue ces questions de RSE.
Ne pas respecter les délais de paiement fournisseurs, c'est surtout mettre en danger l'image de l'entreprise auprès de ses clients. " Le bouche à oreille est très rapide. On a très vite une réputation de mauvais payeur ", avertit Jean-Michel Erault, coauteur avec Jean-Christophe Pic de l'ouvrage "Optimiser sa trésorerie par le crédit client" (éditions Vuibert). Si, la plupart du temps, les renseignements pris sur les clients et les fournisseurs se font de manière informelle, lors de rencontres interprofessionnelles, Jacques Schramm (Obsar) note çà et là des initiatives de notation des clients par les fournisseurs. " Certains envisagent que la révision de la norme ISO 9000 relative à la qualité intègre des critères de notation des clients par les fournisseurs, comme les clients le font de plus en plus pour les fournisseurs", observe-t-il. On peut citer, par exemple, les fournisseurs télécoms qui notent leurs clients par le biais du groupement d'intérêt économique (GIE) Preventel.
Aujourd'hui, les délais de paiement restent le problème n°1 des entreprises. Allongement des délais, pratiques induisant des délais cachés, difficultés à faire respecter la LME... Pourtant, respecter les délais de paiement constitue le socle d'une bonne relation entre client et fournisseurs.
4 Un bon payeur bénéficie de ristournes
Il est impératif de garder en tête que tout se sait et que sa façon de payer ses fournisseurs en dit long sur son entreprise. Nicolas Foussier, Daf de la société de packaging Posson, classe ses clients selon quatre catégories : ceux qui paient toujours à l'heure, ceux qui ont quelques jours de retard, ceux qui présentent des délais aléatoires et ceux qui cherchent toujours la petite bête pour ne pas payer. S'il a un avis très positif sur ses clients toujours à l'heure - " cela indique qu'ils ont une bonne gestion de leur trésorerie " -, il ne se soucie pas de ceux qui ont deux jours de retard - " ils envoient le paiement à la bonne date, c'est le jeu " -; en revanche, il reste vigilant envers ceux qui n'ont jamais les mêmes délais de paiement, car cela représente un problème de trésorerie ; et cesse de travailler avec ceux qui sont toujours en non-conformité. " Et nous savons que nos fournisseurs pensent la même chose : quand on a les moyens, il faut payer à l'heure ", conseille-t-il, soulignant qu'être un bon payeur permet également de bénéficier de ristournes.
Car, au-delà de l'image, respecter les délais de paiement présente de nombreux avantages économiques. Effectivement, des faveurs commerciales sont souvent accordées aux bons payeurs. Et un fournisseur bien traité sera davantage prêt à se démener pour son client. Jacques Schramm, vice-président de l'observatoire des achats responsables (Obsar), parle de "coperformance". Enfin, Jean-Michel Erault, coauteur avec Jean-Christophe Pic de l'ouvrage "Optimiser sa trésorerie par le crédit client" (éditions Vuibert), attire l'attention sur le fait que le respect des délais de paiement est également important pour le climat interne : " Le personnel constamment relancé pour des questions d'impayés finit par être déstabilisé, ne connaissant pas la situation exacte de l'entreprise ", observe-t-il.
5 Un seul mot d'ordre : organisation
Organisation : c'est le mot d'ordre d'un règlement des fournisseurs en temps et en heure. " Le non-respect des délais de paiement résulte souvent d'un problème d'organisation plutôt que d'une réelle volonté de nuire. C'est un processus à l'intersection de trois fonctions au sein de l'entreprise : le métier qui demande, l'acheteur qui négocie et la finance qui règle. Il faut donc mettre en place des projets de transformation pour optimiser les processus et piloter les paiements ", estime Jacques Schramm (Obsar). Ce qui veut dire des processus fiables et adaptés à son secteur d'activité, soutenus par un système d'information performant.
La direction générale doit être impliquée et faire partager l'importance de ce sujet à l'ensemble de ses collaborateurs. Chez Posson, il existe une campagne de règlement tous les 15 et 30 de chaque mois, permettant à la société de régler l'intégralité de ses fournisseurs à temps. Le système d'information trace le traitement de la commande depuis le bon de commande jusqu'au règlement, en passant par la réception des marchandises ou des services et la celle de la facture.
La dématérialisation des factures peut être une voie pour régler ses fournisseurs dans les délais impartis. Selon Itesoft, société de logiciels de dématérialisation de factures, plus de 64% des entreprises équipées d'une solution de dématérialisation considèrent que cette dernière leur permet de respecter les délais de paiement imposés par la LME (édition 2012 du Baromètre dématérialisation - finance). De leur côté, les fournisseurs doivent faire attention à la qualité des factures qu'ils envoient, pour ne pas retarder leur traitement.
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Pour aller plus loin
La dématérialisation peut faciliter le respect des délais de paiement. Vous pouvez consulter l'article "Les e-factures impactent peu le SI et beaucoup le BFR".
À lire aussi : Réduction des délais de paiement : des gains pour le donneur d'ordre.
Les paiements en retard résultent souvent d'un problème d'organisation. Aussi est-il impératif pour la direction générale de faire partager l'importance du sujet aux collaborateurs. Avec deux effets vertueux : des faveurs commerciales et une bonne image.
7 Les nouvelles conditions de règlement définies par la LME
La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME) a défini les nouvelles conditions de règlement des entreprises, appliquées depuis le 1er janvier 2009. Cette loi concerne l'ensemble du territoire français, avec des dispositions particulières pour les DOM-TOM.
Les sanctions en cas de retard de paiement sont devenues plus sévères dans le cadre de la nouvelle directive européenne (2011/7/EU du 16 février 2011). Le taux des intérêts moratoires auxquels a droit le créancier a pris un point, s'établissant désormais à taux BCE + 8 points. À cela, s'ajoute une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement fixée à 40 euros.
La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME) a défini les nouvelles conditions de règlement des entreprises. Les délais paiement conventionnels ne peuvent ainsi excéder 60 jours. La LME prévoit également des dispositions particulières pour certains secteurs.
8 Que risque-t-on en cas de retard ?
Le non-respect des délais de paiement conventionnels entraînait auparavant une sanction civile qui peut atteindre 2 millions d'euros (art. L.442-6 du Code du commerce). " Mais le projet de loi Hamon relatif à la consommation, dans la version qui a été adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 3 juillet 2013, prévoit que les sanctions civiles qui sont actuellement prévues par le code de commerce pour dépassement du délai plafond seront remplacées par des sanctions administratives ", rapporte Me Nathalie Pétrignet, associée chez CMS Bureau Francis Lefebvre.
Sera alors passible d'une sanction administrative (dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale) le fait de ne pas respecter les délais de paiement mais aussi celui de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions ou encore le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes aux dispositions du même alinéa. " Les sanctions administratives peuvent être mises en oeuvre dès le constat d'un manquement sans recours au juge ", souligne Me Nathalie Pétrignet.
Au niveau international, les inspecteurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) traquent les abus. " Ils sont vigilants quant aux délais anormalement longs appliqués à des créanciers français et au montage de centrales d'achats dans l'idée de contourner la loi sur les délais de paiement ", explique Me Guillaume Pezzali, avocat associé à la direction internationale du cabinet Fidal, qui précise que la DGCCRF vérifie lorsque les clients français règlent leurs fournisseurs étrangers que cela ne crée pas de distorsions de concurrence vis-à-vis des fournisseurs français qui sont tenus de respecter les délais de paiement applicables en France.
La LME demande également d'inclure les délais de paiement dans le rapport de gestion. " Le commissaire aux comptes doit dénoncer à la DGCCRF les cas de non-respect manifestes de la loi par les entreprises auditées ", rapporte Me Thierry Titone, avocat associé du cabinet Fidal. Un aspect subjectif qui n'a, à ce jour, conduit à aucune dénonciation. D'autant plus que la loi Warsmann du 22 mars 2012 n'exige plus des commissaires aux comptes qu'ils transmettent à l'administration leurs rapports sur le non-respect des délais de paiement pour les TPE ou PME.
Le non-respect des délais de paiement conventionnels entraînait auparavant une sanction civile, qui a été remplacée par une sanction administrative par la loi Hamon, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 3 juillet 2013.
9 Des pratiques abusives pointées du doigt
La Médiation des relations interentreprises a recensé 36 pratiques abusives exercées par les donneurs d'ordres, parmi lesquelles celles qui consistent à contourner la LME. La Médiation dénonce la vente en consignation, qui consiste à demander la livraison de la commande dans un entrepôt extérieur, où le client se sert au fur et à mesure de ses besoins, faisant supporter la gestion du stock au fournisseur et retardant également les délais de paiement.
Par ailleurs, certains donneurs d'ordres délocalisent leur service d'achats hors de l'Hexagone, pour éviter d'être sous le coup de la LME. De cette manière, de grosses entreprises passent leurs commandes depuis une filiale étrangère pour des relations commerciales France-France. La facture, éditée à l'étranger, n'est alors plus soumise à la LME.
Au-delà de son rôle de ponctuel dans la résolution des conflits, la Médiation inter-entreprises a pour ambition de changer durablement les mauvaises pratiques qui dégradent les relations entre clients et fournisseurs. Cette vocation se concrétise via une charte et un label des relations fournisseurs-clients. Cette charte, conçue en 2010 par la Cdaf (Compagnie des acheteurs de France) et la Médiation inter-entreprises, incite les entreprises à adopter des pratiques responsables vis-à-vis de leurs fournisseurs via 10 engagements. L'intérêt de la charte est double :
- elle permet aux donneurs d'ordres signataires de faire savoir et d'officialiser leur volonté de s'inscrire dans une relation partenariale "gagnant-gagnant" avec leurs fournisseurs ;
- elle exige la nomination d'un "Correspondant PME" au sein de l'entreprise signataire, qui interviendra en tant que médiateur interne pour faciliter le règlement des éventuels litiges fournisseurs.
Aujourd'hui, le volume d'achats des entreprises signataires de la charte est de l'ordre de 400 milliards d'euros.
La Médiation des relations interentreprises a recensé 36 pratiques abusives exercées par les donneurs d'ordres. Parmi les pratiques dénoncées : la vente en consignation ou la délocalisation des services d'achats hors de l'Hexagone.
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