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Avec la crise les méthodes d'élaboration budgétaire évoluent

Face à la rigidité de l'exercice budgétaire et aux incertitudes de la crise, les entreprises ont recours à des méthodes alternatives d'élaboration budgétaire : budget base zéro, rolling forecasts, scénarisation, et prévisions basées sur l'intelligence artificielle. Zoom sur chacune de ces méthodes.

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Avec la crise les méthodes d'élaboration budgétaire évoluent

Prenant les entreprises au dépourvu, la crise sanitaire de 2020 a eu l'effet d'un Black Swan, autrement dit un phénomène inattendu et imprévu aux conséquences encore inconnues. Pour les directions financières des entreprises, quelles que soit leur taille et leur structuration, l'une des conséquences directes a été de devoir repenser totalement leurs budgets mais aussi et surtout leurs pratiques d'élaborations budgétaires. Le tout dans l'urgence tant cette crise inédite a rendu obsolète tous les schémas connus jusqu'alors.

C'est donc poussées par un besoin vital de rapidité de réaction et de flexibilité que les directions financières se sont orientées vers des méthodes d'élaboration plus agiles et plus adaptées au manque de visibilité absolu d'alors. "Cette année, nous avons construit le budget en moins de quatre semaines, raconte Susanne Liepmann, CFO chez HTL Biotechnology. Nous avons opté pour une approche très ramassée afin d'avoir des inputs opérationnels. Nous n'avions pas de temps à consacrer à la reconstruction d'un budget complet dans toute sa complexité."

Selon Charles Gambey, senior manager chez Accenture, "la crise du Covid a entraîné un besoin de pilotage de la performance plus prégnant, mais surtout, elle a remis en cause les anciennes pratiques budgétaires, et a été un révélateur des sociétés qui ont mis en place les bonnes pratiques". Zoom sur trois de ces bonnes pratiques : les rolling forecast, la méthode de budget base zéro et les techniques de scénarisation.

Les rolling forecast

Avec les "rolling forecast", ou prévisions glissantes, les prévisions budgétaires posées en début d'année sont révisées régulièrement, pour prendre en compte les nouveaux éléments conjoncturels et structurels depuis le dernier exercice. Les entreprises peuvent ainsi ajuster leurs objectifs financiers et plan d'action en fonction des derniers évènements, et être plus dynamiques dans leurs prévisions. "Les entreprises qui ont mis en place des rolling forecast étaient bien plus agiles que celles qui avaient des structures prévisionnelles plus rigides", estime Charles Gambey d'Accenture.

Marion Balestic, Lead FP&A chez Nell'Armonia, attire pour sa part l'attention sur la temporalité et les horizons, deux aspects à ne pas négliger quand il s'agit des rolling forecasts. Selon elle, bien que les rolling forecast trimestriels ou mensuels soient la pratique la plus courante, il convient d'ajuster la fréquence des prévisions suivant l'activité : "les entreprises qui ont des structures de P&L relativement fixes avec des contrats annuels, comme dans le secteur du B2B par exemple, n'ont pas besoin de surveiller leur top-line très souvent. Celles dans le retail, en revanche, le font à minima toutes les semaines pour avoir une visibilité fréquente sur l'évolution de leur chiffre d'affaires". Par ailleurs, les horizons varient également : "ils peuvent être d'un an pour les entreprises qui ont des contrats annuels, ce qui leur permet d'avoir une visibilité à long-terme, alors que pour d'autres secteurs, il est plus judicieux de partir sur des horizons plus courts afin d'avoir une certitude de réalisation," précise Marion Balestic.

Attention toutefois à ne pas transformer un processus qui doit apporter plus d'agilité en usine à gaz ! "Pour pouvoir accélérer la cadence des prévisions, attention à ne pas faire un exercice trop lourd ou à reproduire l'année précédente, prévient l'experte de Nell'Armonia. Reproduire ce qui existe ne va pas plus vite et n'est pas toujours le plus bénéfique !" Autre point d'attention : les prévisions glissantes avec des horizons qui s'arrêtent à la fin de l'année en cours. "Le but du rolling forecast est de faire glisser les prévisions, mais il faut veiller à faire glisser l'horizon également !"

Par ailleurs, pour que la méthode d'élaboration soit efficace il faut qu'elle soit adaptée à la réalité opérationnelle de l'entreprise. Une question de bon sens donc que Susanne Liepmann tient à rappeler : "La technique de budgétisation dépend de la maturité des outils à la disposition de l'entreprise. Celles qui ont des outils de gestion assez élaborés peuvent faire du rolling forecast. Pour les autres, il faut se diriger vers des techniques de budget base zéro".

Le Budget Base Zéro, ou "BBZ"

Justement, sur le Budget base zéro communément appelé BBZ, Daf et consultants sont unanimes : c'est une méthode tout à fait adaptée en temps de crise et complémentaire au budget classique. En effet, en période de crise comme celle que nous vivons actuellement, la structure d'un budget classique perd tout son sens et devient totalement obsolète. En plus de mobiliser entièrement les équipes de contrôle de gestion pendant plusieurs mois, cette pratique est inutile quand une situation imprévue remet en cause toutes les hypothèses budgétaires prises trois mois auparavant.

La solution ? Repartir de zéro. Certaines entreprises ont ainsi complètement supprimé leur budget pour le reconstruire de zéro en utilisant le BBZ et en faisant abstraction du N-1. Le but, en repartant d'une feuille blanche, est de permettre aux entreprises de repenser leur activité et de remettre en question chaque poste du budget pour trouver les moyens de satisfaire l'objectif fixé pour le prochain exercice. Cet exercice est traditionnellement effectué sur les coûts plus difficiles à attaquer, comme les dépenses relatives aux coûts de vente, de marketing et coûts RH. Pour Yann Nahmias, expert de l'élaboration budgétaire chez Neonn, "le BBZ est une pratique pour laquelle il faut bien connaître son business. Ce n'est pas la crise qui a amené cette pratique, mais elle l'a accéléré, en obligeant davantage d'entreprises à se poser les bonnes questions sur leur activité. Au lieu de reconduire le budget tel quel comme l'année précédente en le faisant évoluer de façon marginale avec quelques variations sur certains postes". Suzanne Liepmann va même plus loin : "de toute façon, un budget est faux parce qu'il est statique. Dans sa construction classique bottom-up, le plan général construit à partir d'une prévision de chiffre d'affaires est souvent re-taillé par la direction et les actionnaires avec des coupures de coûts. Dans une crise pareille, comme il est difficile de prévoir l'avenir, la meilleure approche est celle de la couverture des coûts fixes pour savoir ce qu'il faut financer à minima, et après, faire de la scénarisation".

Scénarisation et prévisions algorithmiques

La scénarisation, donc, permet aux entreprises d'évaluer les effets de projection de différentes variables externes, comme les ventes attendues par exemple, sur un scénario de base. En construisant plusieurs scenarii, les directions financières peuvent ainsi avoir des prévisions plus fiables et surtout se mettent en capacité de pouvoir activer tel ou tel plan d'actions en fonction du scenario. "Dans la scénarisation, il est important de bien connaître ses conducteurs de profits et de coûts," souligne Suzanne Liepmann, fervente adepte de cette technique. Prévoir le meilleur, le pire et le médian (autrement dit best/worst/middle) est toujours un bon moyen pour ne pas se laisser déborder par une situation imprévue.

Pour établir ces scénarios, Charles Gambey met, lui, l'accent sur l'efficacité des solutions de simulations budgétaires et de forecast basées sur l'intelligence artificielle. Ces solutions, qui permettent de faire des prévisions en temps réel, amènent plus de prédictibilité. Selon lui, "les entreprises qui n'avaient pas ces outils bien structurés n'avaient pas la possibilité de réaliser ces simulations et se sont retrouvées moins bien armées face à cette crise en termes d'évolution de leur hypothèses budgétaires." Un avis partagé par Olivier Beugnet, associé chez BearingPoint : "il y a souvent une déconnexion entre les prévisions que l'on fait à l'instant T et le cours de l'activité qui évolue à une vitesse grand V. L'enjeu aujourd'hui au niveau de la fonction finance est de tirer parti des innovations et des technologies, pour construire un processus de prévision plus automatisé pour mieux coller à la réalité opérationnelle."

Reste qu'une dose de vision humaine est toujours nécessaire. Malgré l'efficacité des solutions prédictives basées sur l'intelligence artificielle, l'outil, s'il est un accélérateur, ne se substitue pas à l'humain : "les solutions d'intelligence artificielle permettent de gagner du temps sur la compilation et la validation de la donnée, précise Charles Gambey d'Accenture. Il y a donc d'abord le prérequis de disposer de données structurées évidemment, et c'est ensuite aux financiers de se consacrer à sa modélisation et son interprétation".

Qui plus est, en général les outils de prévisions dits intelligents basent leur analyse sur des schémas et données déjà existants, or par définition l'imprévu ne s'est encore jamais produit. "Les systèmes prédictifs qui font de l'extrapolation à partir de données passées ne peuvent pas prédire les évènements hors du commun. Actuellement, nous vivons un phénomène de black swan, pas très réaliste qu'un algorithme ne saurait interpréter. Pour cela, la vision humaine demeure absolument nécessaire pour déterminer le degré de risques à prendre", conclut Susanne Liepmann.


De ces nouvelles méthodes émergent de nouvelles compétences

Ces nouvelles méthodes d'élaboration budgétaires et de prévisions, qui impliquent l'utilisation du digital, induisent d'avoir des compétences spécifiques et variées au sein des équipes finance. Des financiers se retrouvent aux côtés de data scientists et d'autres profils opérationnels. "Ce mix de différents profils et la combinaison de ces différentes compétences permet d'ajouter de la valeur sur les projets de suivi des plans de performance, souligne Charles Gambey d'Accenture. Il encourage aussi les entreprises à faire évoluer leurs financiers, via du up-skilling et du re-skilling, vers des compétences numériques très spécialisées."

De même, utiliser ces nouveaux process implique plus de transversalité et une collaboration accrue entre les différentes fonctions support de l'entreprise. En cela, la crise a agit comme un accélérateur de changement en contribuant à augmenter les interactions entre les différents départements des entreprises, particulièrement entre les directions des ressources humaines et les directions financières.




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