[INTERVIEW] Agnès Bricard: "En matière fiscale, les entreprises attendent stabilité, harmonisation et simplification"
PLF 2013 et plus particulièrement l'article 6, Banque publique d'investissement... Agnès Bricard, présidente du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, nous livre son point de vue et les projets qu'elle aimerait mener à bien pour les chefs d'entreprise, les TPE et PME.
Le projet de loi de finances 2013 a été froidement accueilli par certains entrepreneurs et investisseurs. Quelle est votre opinion sur ces dispositions ?
Ce que je retiens, c'est la philosophie générale du texte qui, malgré l'impact de la crise sur le niveau des contraintes budgétaires, tend à préserver les TPE. Un certain nombre d'articles alourdissent la fiscalité des grandes entreprises. Je pense ici aux dispositions relatives au report des déficits, au plafonnement de la déductibilité des charges financières supérieures à trois millions d'euros et à l'aménagement des plus-values de cession de titres de participation. D'ailleurs, il est à noter que beaucoup de mesures proposées ne sont pas nouvelles, elles sont aujourd'hui renforcées (durcissement des règles de report des déficits, extension du régime du dernier acompte d'IS, reconduction de la contribution exceptionnelle sur l'IS de 5 %).
L'attention s'est focalisée sur l'article 6 et la taxation des plus-values de cession. Proposition qui a généré un véritable tollé chez les entrepreneurs et les organisations patronales. Le mouvement des Pigeons en est la parfaite illustration. Qu'en pensez-vous ?
Je peux comprendre que les créateurs d'entreprise et de richesse s'insurgent de ne pas pouvoir se rémunérer à la hauteur de leur prise de risque lors de la cession de leurs parts. D'autant que la première version de cet article mettait sur un même un pied d'égalité l'entrepreneur qui vit de ce travail et l'"entrepreneur investisseur". Aujourd'hui le nouveau texte adopté par l'Assemblée nationale le 23 octobre fait ce distinguo : dès lors que les titres sont détenus à titre professionnel*, la fiscalité va rester "raisonnable". Il y a eu un problème de message et de communication avec la version initiale de cet article 6. Je pense qu'il faut savoir poser son crayon et remettre à plat la fiscalité dans un souci de stabilité, d'harmonisation et de simplification ! Ce raté est d'autant plus regrettable qu'il y a de bonnes dispositions dans ce PLF 2013 comme la prorogation du dispositif d'exonération des plus-values des dirigeants partant à la retraite, le maintien de tous les régimes d'exonération des plus-values des TPE, l'extension du crédit impôt recherche aux dépenses d'innovation en faveur des PME.
Les contours de la Banque publique d'investissement (BPI) ont été présentés mi-octobre. De quel œil voyez-vous l'arrivée de cette nouvelle instance destinée à faciliter l'accès au financement des PME et ETI ?
Ce qui est pertinent c'est de créer un point d'entrée unique, surtout en région. C'est indispensable. En général, tout ce qui est fait en faveur de la simplification est une bonne nouvelle. Et puis, cela va donner une plus grande visibilité et lisibilité aux dispositifs publics de financement. Cela va donc dans le bon sens, tant du côté des chefs d'entreprise que de leurs accompagnants.
L'Ordre des experts-comptables a initié récemment deux dispositifs : l'un à destination des TPE pour financer le "bas de bilan", l'autre pour financer l'accompagnement d'entités en difficultés dans la mise en place des mesures de prévention. Qu'avez-vous d'autres dans vos cartons ?
Nous avons initié une démarche avec CDC Entreprises pour flécher les PME, qui ont besoin de renforcer leurs fonds propres, vers les fonds de la Caisse des dépôts. Puis la Banque publique d'investissement (BPI) s'est profilée. Nous attendons maintenant que la BPI soit finalisée pour reprendre les discussions.
Un autre point me tient à cœur : travailler sur le rebond des dirigeants qui déposent le bilan. Leur donner une seconde chance. Aux États-Unis, on considère que l'échec fait grandir, que l'on est meilleur après un premier échec... En France, on agite la cloche des lépreux autour des entrepreneurs qui ont échoué. Aujourd'hui, un chef d'entreprise qui dépose le bilan subit une décote de la part de la Banque de France. En 2005, nous avons envisagé de proposer une formation obligatoire devant se substituer à la cotation négative de la Banque de France, dès lors qu'il ne s'agit pas de liquidations frauduleuses. Cette formation, inscrite dans le décret de décembre 2005 sur la sauvegarde des entreprises, permet une véritable réhabilitation du chef d'entreprise. Le financement de cette formation pourrait être proposé dans le cadre de l'assurance chômage du dirigeant, qui offre aujourd'hui 24 mois de revenus et pourrait offrir en plus une possibilité de rebond au dirigeant. Cette solution serait également créatrice de valeur grâce à la réhabilitation des compétences de ces dirigeants qui aujourd'hui disparaissent alors que nous manquons de chefs d'entreprise dans certains secteurs d'activité. Cette deuxième chance constituerait pour ces dirigeants une véritable revanche garantissant leur investissement dans le succès du rebond et de leur nouveau projet. Dans la mesure où la difficulté de rebondir après un dépôt de bilan est un frein à la création d'entreprise, il est important de mener une réflexion sur le sujet.
Enfin, je pense qu'une réflexion doit également être conduite sur le financement des investissements. Dans un quart des cas, la dégradation de la trésorerie est imputable à l'absence de financement à moyen terme des petits investissements effectués au fil de l'eau, qui à la fin de l'année peuvent représenter une somme rondelette... Le dirigeant n'a en effet pas pensé à anticiper en effectuant une demande de crédit à moyen terme auprès de son banquier et comme ce dernier ne finance pas les investissements a posteriori... C'est la trésorerie qui se dégrade . Ce n'est pas un dossier urgent mais s'il était mené à bien il permettrait d'empêcher la dégradation de la trésorerie dans un certain nombre de cas.
* Conditions à respecter pour bénéficier du taux d'imposition de 19 %, sur option, sur les plus-values imposables : la société doit avoir une activité opérationnelle (ou holding animatrice); les titres doivent être détenus de manière continue au cours des cinq années précédant la cession; les titres doivent représenter au moins 10 % des droits de vote ou droits dans les bénéfices pendant au moins deux ans ; les titres doivent représenter au moins 2 % des droits de vote ou droits dans les bénéfices à la date de la cession.
Agnès Bricard, présidente du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables et présidente du cabinet d'expertise comptable Bricard, Lacroix et Associés. |
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