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DossierVolet social d'une fusion-acquisition : les différents rôles du Daf

Publié par Morgane Coquais le

2 - Sécuriser le transfert des salariés

Lors d'une opération de fusion-acquisition, ou lorsqu'une entreprise transfère la totalité ou une partie d'une activité à une autre, il peut être envisagé que les salariés "attachés" à cette activité relèvent de ce transfert. S'impose-t-il aux salariés? Dans quel cas? Comment obtenir leur adhésion?

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Souvent mal anticipé, lourd de conséquences en termes d'image et financiers, le transfert de salariés nécessite, pour une pleine réussite, un diagnostic juste, analytique et partagé. Juste, parce que le transfert imposé étant des plus contrôlés, tout transfert requiert, de fait, l'adhésion des salariés. Analytique, afin de permettre à l'entreprise cédante de bien négocier le prix avec la cessionnaire et de choisir le véhicule juridique approprié. Partagé, parce que cédante et cessionnaire doivent impérativement piloter le projet, bien communiquer et accompagner les salariés.

1. Transfert imposé : un dispositif protecteur de l'emploi dévoyé...

Historiquement, dans le souci de préserver l'emploi des salariés, le législateur a prévu un dispositif imposant le transfert des salariés attachés à l'activité transférée, à la condition qu'il s'agisse d'une entité économique autonome au départ, à l'arrivée et dans la durée. Ce dispositif, qui figurait à l'article L. 122-12 du code du travail, devenu l'article L. 1224-1 du même code, est d'ordre public : son application s'impose à toutes les parties (entreprise cédante, entreprise cessionnaire et salariés). En complément de ce dispositif, qui s'applique aux contrats de travail, le législateur a prévu que le statut social d'origine continuera à bénéficier aux salariés transférés pendant un préavis de trois mois et un délai de survie de 12 mois, soit au total 15 mois. À l'issue de ce délai, si aucun accord de substitution n'a pu être conclu, le statut collectif d'origine tombe, mais les avantages individuels acquis et les usages non dénoncés demeurent applicables aux salariés transférés.

La sanction des dispositions de l'article L. 1224-1 est très sévère pour les salariés qui ne veulent pas suivre l'activité transférée : ils sont considérés comme démissionnaires. Les grandes entreprises ont rapidement compris qu'en utilisant les dispositions de cet article, elles contraignaient les salariés à accepter le transfert.

2. L'article L. 1224-1 du Code du travail inutilisable ?

Les inspecteurs du travail ont été saisis de réclamations de plus en plus nombreuses par des salariés mécontents. Les juges ont réagi et décidé que les transferts d'activité ne devaient pas être organisés pour priver les salariés du bénéfice d'un statut social favorable (Cass. soc., 18 juil. 2000, n° 98-18.037, Sté Perrier-Vittel France). Par ailleurs, les moeurs ont évolué. Les salariés admettent de moins en moins de se voir imposer un changement d'employeur, voire de lieu de travail. Les syndicats savent agir pour bloquer les consultations puis faire annuler les transferts. Les salariés eux-mêmes n'hésitent plus à engager des contentieux pour faire annuler leur transfert.

En définitive, le mouvement s'est inversé. Le dispositif conçu à l'origine pour protéger l'emploi est maintenant devenu l'objet d'un contrôle étroit pour vérifier qu'il n'est pas abusivement employé : est-on en présence d'une entité économique autonome au départ ? À l'arrivée ? Dans la durée ? Il est devenu pratiquement impossible d'organiser un transfert en application de l'article L. 1224-1 du code du travail si la collectivité des salariés et les syndicats ne sont pas convaincus de son applicabilité. En d'autres termes, les entreprises se trouvent dans une grande insécurité juridique.

3. Faire adhérer les salariés au transfert

Lorsqu'il n'est pas évident pour tous que les conditions d'application des dispositions de l'article L. 1224-1 sont réunies et que, de ce fait, son application risque d'être contestée, la conduite du projet de transfert repose sur l'implication en amont de l'entreprise cédante puis sa collaboration avec la cessionnaire. Avec un objectif : obtenir l'accord des salariés de l'activité cédée.

Dans ce cadre, le transfert va devenir plus compliqué pour l'entreprise cédante (entreprise A), puisqu'elle va devoir obtenir l'accord des salariés qu'elle souhaite transférer à la société cessionnaire de l'activité (entreprise B). En revanche, le transfert va devenir plus facile pour l'entreprise B sur le plan individuel : au lieu de devoir maintenir les attributions du salarié en l'état, elle va pouvoir immédiatement les adapter à son organisation et à son projet. Elle pourra accompagner cette adaptation d'un ajustement du système de rémunération du salarié, notamment si les salaires de l'entreprise A sont plus élevés que ceux de l'entreprise B et négocier avec l'ancien salarié de A un plan d'ajustement qui permettra de répondre aux critiques sur l'inégalité de traitement. Enfin, elle n'aura pas à ouvrir de négociations en vue de la conclusion d'un accord de substitution : le salarié se verra immédiatement appliquer le statut collectif de l'entreprise B. En d'autres termes, l'entreprise B bénéficiera d'une dynamique opérationnelle immédiate.

4. Le rôle de l'entreprise cédante

Le premier devoir de l'entreprise A est de déterminer quels sont les salariés "clés" sans lesquels le transfert serait privé d'effet et de valeur, puis quels sont les "leaders d'opinion" qui entraînent les autres et, ensuite, de vérifier si ces salariés seront ou non favorables au transfert. Afin de vérifier, de façon plus générale, si les salariés vont être avantagés ou désavantagés par le transfert, l'entreprise doit répondre aux questions suivantes : leur temps de transport va-t-il augmenter ou diminuer ? Leur rémunération globale va-t-elle croître ou décroître ? Leur couverture sociale et, plus globalement, leurs avantages sociaux vont-ils se renforcer ou s'affaiblir ? Leurs perspectives d'évolution de carrière vont-elles être meilleures ? L'entreprise A devra également vérifier si, en raison de leur spécialité, les salariés sont en mesure de retrouver facilement un emploi s'ils ne souhaitent pas suivre ou, au contraire, s'ils sont prêts à "faire un effort" pour conserver leur emploi chez B.

C'est à ce stade aussi que doit être examinée la question des salariés protégés.

5. Une realpolitik à mener à deux

Pour que le transfert fonctionne, les salariés doivent pouvoir vérifier que leurs intérêts sont respectés. A et B devront donc travailler en commun en vue d'établir un état de comparaison clair de la situation des salariés avant/après le transfert sur tous les aspects qui les intéressent, sans hésiter à montrer les avantages et les inconvénients de B par rapport à A.

Si les inconvénients sont plus importants que les avantages, A et B devront trouver le moyen de les "gommer", par exemple en acceptant une modification des horaires de travail, ou de les indemniser financièrement, étant ici précisé qu'il est plus dynamique que l'indemnisation prenne la forme d'un welcome bonus payé par B, même si cela n'est que facial. A et B devront également trouver le moyen de rassurer les salariés si, par exemple, l'entreprise A est en difficulté ou que le repre­neur B n'est pas un grand nom. Dans ce cas, les syndicats et les salariés ­demandent souvent des clauses de garantie d'emploi d'un à deux ans au repreneur B ou un droit de retour chez A de la même durée.

C'est à ce prix que les salariés, éclairés et rassurés, accepteront de signer une convention tripartite avec les entreprises A et B qui mettra fin à leur contrat chez A et vaudra contrat de travail avec B.

Les deux entreprises devront être réalistes et accepter de traiter à part le cas des salariés dont les contraintes (par exemple la durée de transport) augmenteront objectivement de façon trop importante pour qu'ils puissent aller travailler chez la cessionnaire.

Si l'analyse de la situation conduit à la conclusion que les salariés nécessaires à l'entreprise B ne se déplaceront pas volontairement et que leur transfert est essentiel à l'avenir du projet économique des deux sociétés, il deviendra nécessaire de repenser la situation et, par exemple, d'envisager la filialisation par A de l'activité puis, après un certain délai, d'en céder le contrôle à B...

Vous pouvez consulter l'intégralité de l'article.

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