Création du compte personnel de formation : oasis ou mirage ?
Le Dif avait fait son entrée dans les dispositifs de formation professionnelle en 2004 ; il visait à "rendre l'individu acteur de sa formation professionnelle" en lui octroyant un "droit" à la formation. Malheureusement pour lui, son droit était opposable par l'employeur, sans aucune motivation. L'employeur fondait souvent son refus sur le fait qu'il ne disposait pas de budget dédié à ce nouveau dispositif...budget que la Loi avait omis, sous la pression des syndicats patronaux.
Si le Dif était enterré de facto dans les petites et moyennes organisations, malgré les efforts de co-financement des Opca (un temps généreux puis réduits d'année en année jusqu'à ne représenter plus que 9,15 euros / heure de formation), il représentait, dans les plus grandes, une opportunité de créer de nouveaux circuits de formation d'une part (création de catalogues Dif à destination des salariés par exemple) et d'amorcer un dialogue social autour de la formation d'autre part. Il fallait dans ce dernier cas motiver les salariés à consommer leur Dif. On a donc assisté à la mise à disposition de formations sur tous les sujets, parfois des plus exotiques, et par conséquent un peu perdu de vue les objectifs d'employabilité et de maintien dans l'emploi de la formation professionnelle. Mais charge à chaque entreprise de piloter sa politique RH et d'employer aussi la formation au bien-être et à la motivation des salariés.
Vive le CPF !
A l'instar de la monarchie française, les droits "souverains", chez nous, ne meurent pas mais renaissent : bienvenue au CPF, le Compte Personnel de Formation. A la volonté de rendre le salarié acteur de son parcours de formation professionnelle et d'alimenter son compteur formation chaque année (jusqu'à 120 heures sur 5 ans) se joignent trois nouvelles volontés : recentrer ce droit à la formation sur les formations "utiles" au sens politique du terme, celles qui permettraient de ne pas trop grossir les rangs des demandeurs d'emploi, créer un budget pour financer le dispositif (0,2% de la masse salariale de l'entreprise), rendre ce droit à la formation opposable à l'employeur. La formation devient une obligation de moins en moins fiscale et de plus en plus sociale.
On peut se dire à ce stade que la nouvelle loi comble les déficits de la précédente : le salarié dispose d'un droit, il est financé et opposable. Nous sommes donc presque entrés dans l'Oasis...
Le CPF, un dispositif de négociation lent au démarrage
Mais voilà que l'étau se resserre devant tant de générosité, au fur et à mesure des décrets d'application. Au plan du budget d'abord : on parlait de montants attractifs... ce sera 13 euros par heure de formation (pour les temps partiels), à peine plus que les 9,15 euros du DIF, pas de quoi former réellement sauf si l'employeur met la main à la patte dans le cadre d'abondements dits "correctifs" et négociés par les accords d'entreprises, mais il a déjà contribué au financement du CPF par les 0,2% dédiés de sa masse salariale.
Au plan du périmètre ensuite : nous attendons que soient publiées les "listes" des formations éligibles au CPF, ça traîne un peu. Quoiqu'il en soit, ces formations entreront dans l'une de ces trois catégories définies par la loi: formation faisant partie du "socle de compétences" défini par la branche professionnelle, formation certifiante ou diplômante, formation suivie dans le cadre d'une VAE (Validation des Acquis de l'Expérience).
Au plan, enfin, de la complexité administrative de gestion du dispositif : déclaration annuelle à l'Opca des listes des salariés, crédit d'heures supplémentaires, pour les temps partiels, financé à 13 euros de l'heure minimum sauf accord d'entreprise précisant un montant supérieur, abondements correctifs à 30 euros de l'heure, délais de prévenance du salarié variant en fonction des durées des formations, prise en charge des frais annexes de la formation par critères, plafond, type de formation, etc... Une nouvelle usine à gaz risquant bien de paralyser jusqu'aux meilleures volontés.
Lire aussi : Transparence salariale : il va falloir s'y mettre !
La notion de droit opposable problématique
Reste un sujet sensible qui attise les oppositions habituelles entre syndicats d'employeurs et de salariés : la notion de droit opposable assorti d'aucune condition. On peut comprendre la réticence de l'employeur à financer une formation à un coup élevé, sur simple décision du salarié. En l'état, le salarié suivrait hors temps de travail une formation éligible aux listes qu'il choisirait puis... il enverrait la facture à son employeur qui serait dans l'obligation de la régler, sans condition ou garantie et sans aucune concertation. Une notion du dialogue social quelque peu restrictive mais qui surtout risque de créer un phénomène de rejet du CPF par les patrons.
On le voit, l'oasis prend de plus en plus allure de mirage : aux bonnes volontés de départ, louables car bénéfiques pour l'individu, se greffe un système de gestion administrative extrêmement peu lisible et complexe, source de négociations permanentes elles-mêmes productrices de nouvelles règles souvent contradictoires. Le CPF démarrera donc... mais lentement, malgré toutes ses qualités affichées.
L'auteur
Âgé de 40 ans et diplômé de Sup de co Tours, Jérôme Lesage a créé Place de la Formation en 2006. Huit ans après sa création, cet acteur s'impose sur le marché de l'externalisation de la formation et propose une solution informatisée de gestion de la formation qui s'articule autour de trois métiers complémentaires : les achats de formations, leur gestion administrative et l'optimisation des processus. Interlocuteur privilégié des commanditaires et des prestataires de formations, Jérôme Lesage est un expert et dispose d'une réelle position d'acteur/observateur.
Sur le même thème
Voir tous les articles RH