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CSRD : l'opportunité pour (re)définir sa stratégie RSE

Dès 2024, la directive CSRD va obliger les entreprises à communiquer annuellement sur leurs informations extra-financières. L'occasion d'adopter une vraie stratégie RSE.

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CSRD : l'opportunité pour (re)définir sa stratégie RSE

Bilan carbone, DPEF (déclaration de performance extra-finan­cière), taxonomie verte... Si les obligations des entreprises en matière de RSE ne sont pas nouvelles, celles-ci vont connaître une accélération. En effet, la CSRD (corporate sustainability reporting directive), directive européenne publiée le 16 décembre 2022, va obliger les entreprises à communiquer annuellement sur leurs informations relatives aux problématiques RSE dès 2024. « La CSRD est une obligation pour les entreprises de publier des informations sur la durabilité dans un rapport de gestion unique, à parité avec les informations financières, dans un format partagé avec l'obligation d'être audité par un auditeur externe à l'entreprise » a décrit Abrial Gilbert-d'Halluin, conseiller politique de l'eurodéputé français Pascal Durand, rapporteur de la CSRD au Parlement européen, à l'occasion d'un webinaire sur la CSRD organisé par Sami, spécialisé dans la stratégie climat.

Cette directive s'inscrit pleinement dans le « green deal » européen. « Un des objectifs est de réorienter les capitaux vers des activités plus durables. C'est aussi une façon de faire évoluer le rôle de l'entreprise et de la rendre plus actrice des enjeux sociaux et environnementaux » a précisé Abrial Gilbert-d'Halluin. Et cela est d'autant plus vrai qu'un grand nombre d'entreprises est concerné par la CSRD : le nouveau dispositif ne se limite plus aux seules entreprises de plus de 500 salariés, comme c'était le cas pour la NFRD (non financial reporting directive, qui a instauré la DPEF), mais s'étend aux entreprises de plus de 250 salariés qui ont 20 millions d'euros de bilan ou 40 millions d'euros de chiffre d'affaires, à toutes les sociétés cotées (dont les PME) et aux entreprises non européennes ayant un chiffre d'affaires annuel supérieur à 150 millions d'euros sur le marché de l'UE. De très nombreuses entreprises vont donc devoir se convertir au rapport durable. « Chez nous, 30 à 40 % des rendez-vous clients sont orientés CSRD » rapporte Laurent Luce, spécialiste des sujets conformité chez Altares.

Données normées et double matérialité

Car la CSRD ne fait pas qu'étendre le rapport extra-financier à davantage de sociétés. Ces dernières vont devoir publier des informations extra-financières normées. En effet, cette directive se décline en normes d'appli­cation, les ESRS (pour euro­pean sustainability reporting standards), qui exigent des informations plus précises, plus quantitatives et plus qualitatives que ce que demandait la DPEF. L'objectif est notamment de permettre la comparaison entre les différentes sociétés européennes sur ce sujet. « Cette directive va permettre d'apporter de la transparence, mais aussi de la comparabilité. Ainsi, la CSRD demande plus d'informations également que la DPEF, et de manière plus contrainte » rapporte Amandine Duquesne, directrice audit et conseil sustainability chez RSM. À noter aussi que les données disponibles dans ce nouveau rapport devront être publiées sous format européen HTML, toujours dans un souci de comparabilité.

Autre nouveauté : la double matérialité. « Il ne s'agit pas seulement de décrire la manière dont les activités externes viennent impacter le bilan de l'entreprise, mais également de la façon dont l'entreprise vient impacter les écosystèmes, les ressources... indépendamment de l'impact sur le bilan » explique Abrial Gilbert-d'Halluin. Ce qui fait dire à Véronique Bruneau Bayard, avocat counsel chez CMS Francis Lefebvre Avocats, qu'« avec la CSRD, l'extra-financier devient plus actif ». Et d'indiquer : « Il ne s'agit pas uniquement d'établir un reporting, comme la DPEF, mais de publier des informations sur les risques et les impacts de ces risques. On passe de quelque chose de déclaratif à une publication prospective. » Elle est rejointe sur ce point par Amandine Duquesne : « La double matérialité oblige à croiser les impacts RSE avec les impacts financiers. La RSE est désormais au centre de la stratégie globale. »

Comment anticiper et réussir à publier un rapport dès 2024 ? Véronique Bruneau Bayard se veut rassurante : « Pour les sociétés déjà soumises à la DPEF, le plus gros est fait. Même si elles doivent modifier leur manière de faire leur reporting, ce n'est pas une nouveauté. Et pour les sociétés qui vont devoir se mettre en ordre de marche avec la CSRD, même si ce sera plus compliqué, elles ne partent pas de zéro puis­qu'elles doivent déjà communiquer sur un certain nombre de sujets liés à la RSE comme la parité, les conditions de travail, la santé/sécurité, la lutte contre le harcèlement, la politique de diversité, etc. Et d'un point de vue environnemental, un certain nombre d'obligations existent aussi, comme les mesures mises en place pour améliorer le bilan carbone ou la protection des ressources naturelles. »

Prioriser et collaborer

Mais bien sûr, si cela peut constituer une première étape, c'est loin d'être suffisant. D'autant que la CSRD exige un rapport normé qui fait apparaître la double matérialité. À l'occasion du webinaire Sami, Pauline Roulleau, cofondatrice du cabinet de conseil en durabilité Ici & Demain, a proposé une préparation en 4 étapes : sensibiliser la direction aux nouvelles règles et former un réseau ESG (d'une vingtaine de contributeurs pour les PME/ETI), analyser la double matérialité, dresser un état des lieux de l'existant et enfin concevoir et déployer les feuilles de route ESG et reporting.

Avec l'objectif de hiérarchiser les sujets en fonction des risques, des opportunités, mais également des données manquantes ou mal collectées par rapport aux exigences des ESRS. Comme le souligne Caroline Allouët, partner chez BM&A, « en mettant tout bout à bout, les entreprises auront 1 000 indicateurs à produire parmi lesquels les investissements verts, les écarts de salaire hommes/femmes ou encore le bilan carbone. »

Autre nouveauté : la collaboration. « Il y a des sujets de toute nature, qui intéresseront tous les services de l'entreprise. C'est un sujet complètement transverse » décrit Caroline Allouët. Toutes les parties prenantes vont donc devoir être impliquées. « Si jusqu'à présent, une personne prenait en charge le sujet RSE et allait chercher chaque information, il y aura désormais davantage d'informations à préparer et collecter en amont et en aval de la chaîne de valeur de l'entreprise, souligne Audrey Leroy, commissaire aux comptes, associée au pôle audit & assurance chez BDO France. Il y a un vrai mode projet à mettre en place pour impliquer toutes les fonctions de l'entreprise et toutes les parties prenantes. »

Un comité de pilotage réunissant toutes les directions (financière, juridique, RSE, ressources humaines, communication, achats, supply chain, relation client, système d'infor­mation, etc.) devra être mis en place pour marteler que ces sujets sont désormais l'affaire de tous. Même si « ce sont souvent les directions financières qui prennent le lead sur ce sujet, car elles sont habituées à produire des reportings » observe Audrey Leroy. Si le Daf prend le lead, c'est aussi parce que ces sujets ont besoin de la culture financière. « Cela permet d'assurer la cohérence et la connectivité entre l'infor­mation de durabilité et l'information financière, ajoute Audrey Leroy. Par ailleurs, une usine qui risque de disparaître demain pour des raisons climatiques pèse sur la valeur de l'entreprise. Enfin, lors de négociations sur la dette, il peut être exigé le respect de baisse de l'impact GES de x %, l'amélioration de l'index d'égalité hommes/femmes, etc. Les sujets financiers et extra-financiers sont extrêmement liés. »

Outils et formation

Concernant la double matérialité, Audrey Leroy conseille de définir des processus d'analyse, d'identifier les parties prenantes à interroger et de définir des grilles d'évaluation pour les risques, les impacts et les opportunités, mais aussi dire si les éléments sont matériels ou non. « Ces nouveaux process seront audités par des commissaires aux comptes ou des entreprises habilitées. Ils vérifieront les informations en matière de durabilité fournies par l'entreprise, mais aussi la conformité du processus pour déterminer les informations à publier selon les normes EFRS » souligne la commissaire aux comptes. Pauline Roulleau met quant à elle en garde sur les évolutions qu'il y aura constamment à apporter à cette analyse. « Il faut penser amélioration continue : la double matérialité ne va pas cesser de se nourrir. »

Le chantier semble gigantesque. Heureusement, là encore, les entreprises peuvent compter sur les outils digitaux. Pour Audrey Leroy, s'équiper est même incontournable pour collecter toute l'information demandée, mais aussi construire des données qui n'existent pas toujours. Mais les outils ne feront pas tout : les équipes vont devoir être mobilisées, formées à ces nouveaux enjeux. « Il y a une problématique d'accompagnement des équipes, car ce sujet n'est pas intuitif, surtout au niveau de la direction financière » pointe Emmanuel Millard, président de la DFCG et secrétaire général du groupe Endrix.

Se reposer la question de son modèle d'affaires

Outils, formations... Tout ceci a un coût. « Le premier risque que je perçois dans la mise en oeuvre de cette réglementation, c'est la capacité réelle des entreprises à mettre en place tout ce qu'elle exige. Cela représente des moyens humains et financiers considérables. Il y a un coût de formation et d'expertise pour être bien accompagné, mais aussi un coût d'audit puisque tout va devoir être vérifié » s'alarme Emmanuel Millard. Pourtant, il va falloir s'y plier. Pour des raisons réglementaires et parce que l'extra-financier va entrer en compte dans la valorisation des entreprises. « Pour l'instant, les entreprises abordent la CSRD sous la forme d'une nouvelle contrainte. Il faut reconnaître que ce qui est demandé en matière d'informations est très lourd et va demander du temps et des ressources. Mais cela permettra de rester dans le jeu avec des produits et des activités plus durables, et donc de se différencier » avance Amandine Duquesne.

Aucune amende ni sanction administrative n'est prévue pour le moment, mais, si la réglementation est mal appliquée, la sanction pourrait venir du marché. « Les parties ­prenantes étant de plus en plus sensibles au sujet, il existe un risque de passer à côté d'un marché, de financements, de recrutements... » énumère Audrey Leroy. Pour Amandine Duquesne, il existe aussi un risque de passer à côté de défis liés à la survie même de l'entreprise. « La CSRD est en lien avec la résilience puisqu'elle permet un travail d'introspection pour anticiper des risques futurs. » Mieux, le rapport durable imposé par la CSRD a des visées stratégiques. « Cette réglementation permet de communiquer sa raison d'être au marché, de valoriser son activité... En donnant du sens à la démarche, on mobilise les collaborateurs qui savent pourquoi ils suivent des indicateurs » explique-t-elle. Donner du sens, c'est se donner l'occasion de reposer la question de son modèle d'affaires, d'établir les activités à abandonner, les sources d'approvisionnement à privilégier, les investissements à prioriser, les produits/services à développer, afin de se recentrer sur un business moins risqué et à l'impact plus positif, etc.


BON À SAVOIR

Sapin 2, une réglementation RSE ?

Bien que publiée le 10 décembre 2016, la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, n'est toujours pas en vigueur au sein des entreprises. Laurent Luce estime que seuls 40 % des entreprises ont fini de la mettre en place, même si 80 % ont entamé des démarches. Or, la CSRD, éventuel levier pour « l'évaluation des tiers peut très bien figurer dans le rapport durable et ce dernier aurait davantage de valeur s'il faisait apparaître une photographie du tiers fournisseur mêlant l'honorabilité (Sapin 2) et la responsabilité (CSRD) » juge Laurent Luce. Mener les deux sujets de front permettra d'éviter des risques de conformité, de saisir l'opportunité de détecter des dysfonctionnements internes et de se préparer au devoir de vigilance européen.

Astuce

A RETENIR

- Les risques de conformité résident moins dans les amendes et les sanctions que dans le fait de mettre son business en péril.

- Voir les opportunités derrière les obligations permet de ­mobiliser ses équipes, mais aussi de gagner des marchés et de préparer les réglementations futures.

- Si les outils peuvent aider, il s'agit de bien les choisir en analysant ses process et ses besoins, mais aussi de ne pas oublier la formation de ses équipes.


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