Prise de risque : ce que les DAF doivent vraiment piloter
À l'occasion des Journées DAF qui se tenaient le 12 juin, Carole Gauthier Longeard (Bonpoint), Alexis de Galembert (La Fabrique Cookies) et Serge Trigano (Casa Barbara) ont partagé leurs retours d'expérience sur la gestion du risque. Entre intuition, trésorerie et gouvernance : récit de convictions assumées.

« Le pire risque, c'est de ne pas en prendre ». Cette formule signée Serge Trigano, fondateur du Mama Shelter et de Casa Barbara, donne le ton d'une table ronde vivante et sans langue de bois sur la gestion du risque, organisée le 12 juin 2025 lors des Journées DAF au Parc des Princes. À ses côtés : Carole Gauthier Longeard, DAF et secrétaire générale de Bonpoint, maison emblématique du luxe enfantin, et Alexis de Galembert, fondateur de La Fabrique Cookies, une PME artisanale française qui tente l'aventure américaine. Tous trois ont confronté leurs expériences face à un public de financiers d'entreprise, en quête d'équilibre entre ambition et maîtrise.
L'entreprise face à la multiplication des chocs
« Depuis quatre ou cinq ans, on est particulièrement bien servis en matière de risques », sourit Carole Gauthier Longeard. « Risques sanitaires, géopolitiques, de change, d'inflation... et bien sûr, financiers. » La DAF évoque la fermeture brutale du marché russe, le conflit au Moyen-Orient qui impacte les ventes dans la région, mais aussi l'inflation logistique et le retournement de certains marchés : autant de signaux faibles et forts à gérer de front. « Quand nous avons dû arrêter nos opérations en Russie, nous nous sommes retrouvés avec une montagne de stocks. On a décidé de transformer cette contrainte en opportunité : réalimenter nos boutiques, renforcer notre site e-commerce, et cela a réellement boosté nos ventes. »
Alexis de Galembert, à la tête d'une entreprise de taille bien plus modeste (7 M€ de chiffre d'affaires), partage ce même sentiment d'accélération des aléas : « Depuis les Gilets jaunes, j'ai l'impression qu'on traverse une crise par an. On s'adapte, on se renforce, mais on est toujours sous tension. » À l'international, sa PME fait face aux défis logistiques, réglementaires et financiers d'un marché aussi exigeant que celui des États-Unis. Et pourtant, c'est là qu'il choisit de concentrer ses efforts : « On a signé un gros contrat de distribution qui représente déjà 20 % de notre chiffre d'affaires. Il fallait y aller. »
Trésorerie et réactivité
Face à l'incertitude, le nerf de la guerre reste la trésorerie. « C'est le coeur du réacteur, insiste Alexis de Galembert. Une entreprise peut mourir non pas par manque de rentabilité, mais par défaut de cash. » Avec des délais de paiement parfois très longs, notamment outre-Atlantique, le pilotage fin du besoin en fonds de roulement devient stratégique. « Sur le papier, nos clients américains ont 30 jours pour nous payer à partir du moment où la marchandise quitte le Havre. Dans les faits, ils attendent de la réceptionner et de la contrôler avant de déclencher le paiement. Sans une gestion rigoureuse, c'est ingérable. »
Même exigence chez Bonpoint, où la croissance asiatique s'accompagne d'une gestion prudente du financement : « Le cash est notre meilleur indicateur d'alerte. C'est lui qui nous dit si l'entreprise est capable de faire face aux à-coups. » La DAF rappelle qu'un bon outil de suivi de trésorerie peut éviter de « se prendre un mur en pleine ligne droite ».
Pour Serge Trigano, l'intuition reste une composante essentielle de la prise de décision. « La data vous parle du passé. Ce qui compte, c'est ce qui va se passer demain. » Celui qui a lancé Mama Shelter avec peu de soutien, à une époque où aucun investisseur ne voulait y croire, insiste sur la nécessité d'avoir « un peu d'audace et beaucoup d'énergie ». Mais l'intuition ne suffit pas : « Il faut aussi pouvoir convaincre les financiers. Il y en a toujours un, quelque part, qui finit par dire oui. »
Chez Casa Barbara, la gouvernance du risque passe aussi par le duo père-fils. « Mon fils est mille fois plus prudent que moi. On avance en se complétant. » Une approche familiale du risque, basée autant sur l'expérience que sur le dialogue constant.
Et le business plan dans tout ça ? « Je n'y crois pas du tout à long terme », tranche Alexis de Galembert. « Je suis incapable de vous dire si mes madeleines ou mes sablés se vendront mieux dans deux ans. Ce que je sais, c'est combien coûte une hausse du cours du beurre. » Un pragmatisme partagé par Serge Trigano : « Les fonds ont besoin de business plans pour respirer. Mais si on les maltraite trop, tout le modèle s'écroule. »
Carole Gauthier Longeard nuance : « Le business plan donne une trajectoire. Ce n'est pas une vérité absolue, mais c'est utile pour cadrer les investissements et sécuriser les financements. »
Quels conseils transmettre à un DAF ?
Invités à livrer leur réflexe-clé pour aider un DAF à mieux anticiper les risques, les trois intervenants convergent sur la posture.
« Être curieux, être sur le terrain, ne pas se contenter des tableaux Excel, résume Carole Gauthier Longeard. Un DAF doit s'imprégner de la réalité pour évaluer correctement les risques. » Alexis de Galembert insiste sur la rigueur : « Bien gérer sa trésorerie, c'est la base. Sans cash, même une boîte en croissance peut mourir. »
Et Serge Trigano, fidèle à lui-même, conclut avec humour : « Dans la finance, j'aime tout le monde... sauf les auditeurs. » Un mot de la fin à l'image de la table ronde : décalé, mais percutant. Entre prise de recul, retour d'expérience et visions complémentaires, les échanges auront surtout rappelé que derrière chaque risque maîtrisé, il y a des convictions, une gouvernance agile... et une bonne dose d'humanité.
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