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DossierRisques, crise, menace, rupture... Quand l'incertitude domine !

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1 - Quand le Covid-19 exacerbe les risques

La crise du Covid-19 est une crise sanitaire, certes, mais les entreprises ne sont pas seulement confrontées à des risques sanitaires, loin de là ! Du risque cyber au risque juridique en passant par les risques psycho-sociaux et juridiques, de nombreux risques sont apparu ou se sont renforcés. L'occ

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La crise sanitaire que nous traversons est inédite. Par son ampleur : le virus a touché des millions d'individus, causé des centaines de milliers de morts et obligé près de 4 milliards de personnes à se confiner. Par ses répercussions sur l'économie mondiale (le FMI prévoit une contraction de 3% du PIB de la planète en 2020) et sur la vie des nations (plus d'un milliard d'élèves privés d'établissements scolaires selon l'UNESCO, plus de 50 pays et territoires ont reporté leurs élections selon la Fondation Kofi-Annan). Inédite, enfin, à travers les risques qu'elle a fait émergés ou accentués au sein des entreprises : financiers, informatiques, psycho-sociaux, juridiques, sanitaires... Les chefs d'entreprise - et leurs bras-droits les Daf - font face aux multiples facettes de cette crise qui ne s'est pas contentée d'être seulement sanitaire.

Explosion du phishing

Pour les entreprises françaises, la crise a réellement débuté le 17 mars 2020, jour 1 du confinement. Première conséquence : un recours massif au télétravail. D'après la Dares, un salarié sur 4 était en télétravail fin mars. Cela ne s'est pas fait sans risque. A commencer par le risque cyber. « Avant la crise la fragilité des entreprises en termes de cybersécurité était réelle. Avec le télétravail, les failles sur les portables et les réseaux personnels sont plus importantes et la frontière plus fine entre vie personnelle et professionnelle aggrave le risque », pointe Benoît Ranini, président de TNP Consultants. De fait, les hackeurs ont saisi cette formidable opportunité. « De nombreux e-mails frauduleux qui informaient sur les dernières tendances en termes de propagation du virus ou qui parlaient des aides financières de l'Etat ont été envoyés, incitant à cliquer sur un lien ou à télécharger une pièce jointe », informe Philippe Rondel, cyber-évangéliste chez CheckPoint, précisant que les e-mails représentent désormais 78% des vecteurs de menaces en France, contre 50% auparavant.

Le recours massif au télétravail, de plus dans l'urgence, a aussi renforcé les risques psychosociaux. Si 65% des personnes qui travaillent à distance se déclarent satisfaites (étude WorkaAnyWhere réalisée en avril 2020 auprès de 6500 salariés), certains salariés se sont sentis isolés et d'autres ont eu du mal à s'organiser. « D'un côté, le télétravail est une réussite mais l'autre face de la médaille est bien noire : surcharge, manque de reconnaissance, baisse de l'engagement dans l'entreprise. Particulièrement pour les jeunes qui se trouvent mal accompagnés et les parents qui ont dû organiser la vie familiale et éducative », constate Frédéric Petitbon, associé spécialiste de l'innovation managériale chez PwC Consulting. Giovanni Terrana, associé au cabinet RSM, parle quant à lui de l'estompement de la frontière entre la vie professionnelle et personnelle, des horaires de travail qui s'étendent, de l'explosion des e-mails auxquels on se sent obligés de répondre, de l'immixtion dans la vie privée avec les visioconférences...

Les managers se sont parfois sentis désemparés face aux défis du management à distance. « Les managers du groupe ont été sensibilisés à la gestion du télétravail, à savoir trouver la bonne distance vis-à-vis de leurs équipes pour être présent sans donner l'impression d'un sur-contrôle, s'assurer que les dossiers avancent mais aussi conserver le sentiment d'appartenance à l'entreprise », raconte Eric Palanque, Daf de Paredes, distributeur de produits d'hygiène et de protection. De son côté, il organisait des réunions régulières autant pour délivrer des informations que pour détecter des signaux faibles. Laurence Tort, Daf de Clarke Energy, a de son côté favoriser la proximité et la compréhension. « Je contactais mes équipes au maximum tous les trois jours et j'essayais de prendre en compte les différentes situations. Comme le fait que plusieurs collaborateurs avaient leurs enfants à la maison. »

Zoom

Les principaux risques de cette crise :

- risque sanitaire de contamination au virus

- défaut de trésorerie

- risques psycho-sociaux dus à l'isolement des salariés en chômage partiel, la solitude des télétravailleurs et au stress des salariés sur site

- cyber-attaques et fraudes

- risques juridiques liés au retour des employés sur site et aux abus vis à vis du chômage partiel

- risques d'approvisionnement

Cellules de crise

Outre les télétravailleurs, 12 millions de salariés ont été places en chômage partiel. Parfois de manière abusive : une étude du cabinet Technologia menée auprès de 2600 élus du personnel révèle que 24 % des employés en chômage partiel total auraient été amenés à poursuivre leur activité à la demande de l'employeur. Il faut dire que les entreprises ont tâtonné face à des décisions gouvernementales qui évoluaient quotidiennement. Spécialisé dans la vente de véhicules neufs et d'occasion, le groupe Parot opère sur deux secteurs différents, la vente et l'entretien de véhicules : un flou a longtemps existé sur les activités qui pouvaient se poursuivre. Pour Alexis Bazin, Daf de Precision, groupe mondial spécialiste des valves pour aérosols, la complexité résidait dans la gestion de situations disparates d'un pays à l'autre. « La crise ne touche pas toutes les régions du monde de la même façon ni au même moment, les approches pays sont différentes, même s'il existe parfois des réponses communes », rapporte-t-il. Le "Group Executive Team" s'est alors réuni trois fois par semaine, le transformant ainsi en cellule de crise. « Cela nous permet de réagir vite face à certaines situations inattendues provoquées par la crise ».

Le groupe Terre Comtoise, coopérative agricole, a lui aussi mis sur pied une cellule de crise. « L'objectif était de mesurer l'état d'avancement, d'anticiper les sujets afin d'être réactifs », explique Olivier Debost, Daf du groupe. Chez Clarke Energy, le Codir se réunissait par Skype tous les jours pour faire le point sur les dernières informations du gouvernement notamment. Ces cellules de crise permettent d'être d'équerre avec les réglementations, et donc à l'abri de tout risque juridique. Mais aussi de savoir quels choix opérer quand, soudainement, ferment bureaux et boutiques, clients et fournisseurs.

Rassurer et remotiver les équipes

Pour Julie Vallée, directrice du pôle gestion de crise d'Iremos, il n'est pas trop tard pour mettre en place une cellule de crise, malgré la reprise d'activité. « Regroupant différentes fonctions de l'entreprise, une telle cellule permet de prendre en compte tous les risques, contraintes, interdépendances et d'anticiper des scénarios d'évolution à court, moyen et long terme. » Car la reprise transporte avec elle son lot de risques. Première question : accueillir les salariés en toute sécurité dans la durée ? Ainsi, le télétravail doit se poursuivre tant que cela est possible et l'accueil sur site doit être organisé en mettant en place des actions de prévention avec toujours au dessus de la tête l'épée de Damoclès d'un reconfinement.

Le médecin du travail peut être consulté mais ce sont surtout avec les partenaires sociaux que les chefs d'entreprise se sont longuement entretenus pour mettre en place leurs protocoles de déconfinement. Se basant sur le jugement Amazon, Margaux Durand-Poincloux, avocate associée au cabinet ABPA, souligne que « la mauvaise information du CSE est un délit pénal, le délit d'entrave ». « Il n'y a pas de débat : la reprise d'activité et les modalités de la reprise doivent faire l'objet d'une consultation du CSE,» poursuit Nicolas Chataignier, associé en droit social chez Mazars Société d'Avocats.

Il cite une autre décision, celle du tribunal du Havre quant à la suspension de la production de l'usine Renault de Sandouville qui demande, entre autres, une formation « pratique et appropriée » des salariés notamment pour les « matériels de protection » : « L'employeur doit veiller à informer et former ses salariés quant aux mesures barrière ». Ces actions de communication sont d'autant plus importantes qu'elles servent à rassurer et à remotiver des salariés. « Une communication "spéciale reprise" est clé : l'entreprise a de nouvelles attentes, de nouveaux objectifs ; les salariés se posent des questions sur les pertes engrangées, la pérennité des emplois... Il ne faut pas ajouter du flou à la situation », estime Sifra Schaeffer, psychologue sociale du travail et consultante pour Ayming. Pour Vincent Balouet, dirigeant de maitrisedescrises.com, il faut remotiver les équipes, redonner du sens, afin d'éviter les départs non désirés.

David Luponis, associé cybersécurité chez Mazars, invite quant à lui à être attentif au risque cyber lors de la reprise d'activité sur site : « Davantage d'habilitations ont été données afin de pouvoir travailler à distance, des accès à des outils moins connus ont été autorisés, des sites web temporaires ont été créés... La surface d'attaque est beaucoup plus grande ». Sur ce sujet des cyber-risques, Mélodie Alvaro, manager expertise assurances chez Cristal Décisions (groupe Ayming), invite à mettre en place des "gestes barrière" par des actions de sensibilisation auprès des salariés.

La gestion des risques ne doit pas ce limiter à la gestion des risques sanitaires : au-delà des risques juridiques, RH et cyber évoqués, il faut veiller au risque de défaillance des fournisseurs et d'approvisionnement, mais aussi au risque de trésorerie puisqu'il va falloir réinvestir. Le risk management a de beaux jours devant lui.

Témoignage

Grégoire Chevignard, Daf de Solution Energie : "C'est une des leçons de 2008 : se concentrer sur l'essentiel"

Le groupe Solution Energie, entreprise de photovoltaïque, connaissait une crise de croissance lorsque Grégoire Chevignard l'a rejointe il y a un peu plus d'un an en tant que Daf. Mais, c'est à une autre crise qu'il a dû faire face, celle du Covid 19. Premier défi : mettre les équipes au télétravail. "Comme nous travaillons avec l'Asie, nous nous étions préparés à l'éventualité d'un confinement trois semaines avant qu'il ne soit décrété. Nous avions investi dans des imprimantes, des PC et testé nos logiciels". Malgré cela, un changement de culture doit se faire : "L'entreprise ne recourait pas au télétravail avant la crise. Nous avons dû apprendre à gérer la relation à distance".

Au niveau financier, le groupe a un business model basé sur le pré-financement et a donc encaissé sans investir pendant le confinement. Mais l'activité et les investissements vont reprendre... L'entreprise a contracté un PGE et repousse les investissements jugés non urgents, comme l'implémentation d'un nouvel ERP. "C'est une des leçons de 2008 : se concentrer sur l'essentiel", souligne le Daf. L'autre leçon apprise en 2008 : on ne peut pas sauver tout le monde. "Nous aidons un fournisseur sur deux". Côté activité, le redémarrage se fait avec des évolutions notables : la relation commerciale s'effectue au maximum de manière dématérialisée et le groupe a commandé 70 écrans déportés afin de permettre aux commerciaux de montrer les produits en restant à deux mètres des clients.




Eve Mennesson

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