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DossierLes grands chantiers des directions financières

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1 - Des puces et des hommes

La mère de toutes les transformations, celle qui en a généré beaucoup d'autres dans son sillage est sans conteste la digitalisation. Un chantier encore en cours et indissociable de la mue des métiers et des équipes.

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Au coeur de ce réacteur qu'est l'entreprise, la fonction finance n'est jamais oisive mais au contraire toujours en lien avec les parties prenantes internes, que sont les autres directions support et métiers, autant qu'avec les parties prenantes externes, telles que les banquiers investisseurs actionnaires et autres membres du board. Afin de pouvoir répondre à tous les besoins de ses différents interlocuteurs, qu'ils soient opérationnels ou stratégiques, à effet immédiat ou de plus long terme, la direction financière doit être extrêmement agile et polyvalente. Un état d'adaptation quasi permanent qui pousse la fonction à évoluer et à se transformer.

Si les chantiers sont nombreux, il y en a quatre majeurs et incontournables qui occupent les directions financières quelle que soit la taille et le secteur d'activité de l'entreprise à laquelle elles sont attachées. La digitalisation bien sûr en fait partie et est même sans doute le chantier le plus ancien. La gestion des équipes est également source de transformations profondes pour les directions financières. L'effet de la crise Covid et l'arrivée sur le marché du travail de nouvelles générations de collaborateurs ont d'ailleurs encore accéléré le besoin de faire évoluer la gestion de l'humain. Chantier permanent mais particulièrement remis sur le devant de la scène en raison de la succession de crises apparues depuis 2020, la maîtrise des risques reste une préoccupation majeure des Daf et implique un travail d'équilibriste encore plus périlleux qu'avant. Enfin, un chantier encore en devenir pour beaucoup mais qui émerge de façon certaine depuis 2021-2022 est celui de la finance durable. Ce dernier, s'il est désormais reconnu comme nécessaire et inévitable reste difficile à appréhender pour les directions financières car il suppose d'arriver à conjuguer des notions d'utilité, de valeurs multiples et de durabilité et donc de fait oblige à modifier la pratique de la finance telle qu'elle existe actuellement.

Mais commençons par le commencement. A l'origine de toutes les grandes transformations de la finance d'entreprise se trouve la digitalisation.

Bien qu'à l'oeuvre depuis plusieurs années pour ne pas parler de décennies, la transformation digitale des entreprises n'est toujours pas terminée. Les enjeux à digitaliser la fonction finance sont pourtant plus forts que jamais : avec l'accélération des cycles constatée par l'ensemble des dirigeants financiers, tous secteurs confondus, le besoin d'efficacité opérationnelle, de simplification des process et d'agilité, notamment dans la prise de décision, n'ont jamais été aussi prégnants au sein des organisations.

Un chantier perpétuel

Et pourtant, dans le cadre de l'étude Trends of Finance 2023*, menée par Opinion Way pour Daf Magazine et BDO, les Daf interrogés sur l'état d'avancement de la transformation digitale de leur département ne s'attribuent en moyenne que 6,2 sur 10. Un résultat somme toute plutôt faible qui témoigne d'un sentiment mitigé en ce qui concerne la transformation digitale de leur propre direction financière. Si certains postes et certaines tâches ont déjà été digitalisés, la transformation digitale n'est jamais complète. Des freins persistent, complexifiant l'aboutissement du processus de transformation. Chantier perpétuel dont son architecte n'est jamais totalement satisfait, la digitalisation de la fonction est encore et toujours un sujet pour les Daf. « Souvent perçue comme le graal parce qu'elle est censée conduire à l'excellence opérationnelle tant recherchée, la digitalisation et la structuration digitale de la fonction est en réalité bien souvent un travail de funambule pour le Daf qui doit entre-autres composer avec le legacy, autrement dit l'héritage technologique, de l'organisation dans laquelle il opère », pointe Karine Havas, senior VP et CFO France et Afrique au sein du groupe Bureau Veritas.

Une maturité en demi-teinte

Parmi les points positifs : la dématérialisation des flux et des processus est largement acquise (par 71 % des répondants) et la digitalisation est bien avancée sur toute la partie transactionnelle, qu'il s'agisse de la gestion des factures fournisseurs (73 % de process Purchase to pay déployés ou en cours de déploiement) ou de celle des factures clients (75 % de process Order to cash déployés ou en cours de déploiement). Enfin, la grande gagnante en termes de maturité digitale est la comptabilité générale, digitalisée pour 83 % des répondants de l'étude. Autre point positif, la digitalisation est majoritairement transverse à l'ensemble des services. La sortie des organisations en silos est donc bel et bien amorcée.

En revanche si les directions financières ont assez largement dématérialisé, elles sont encore loin d'avoir toutes eu recours à l'automatisation des tâches et des processus (28 % seulement). Et seulement 8 % des répondants utilisent un outil d'intelligence artificielle tel que le machine learning par exemple. La révolution tant annoncée de la robotique et de l'IA n'a vraisemblablement pas eu lieu puisque ces outils peinent toujours semble-t-il à trouver leur place au sein des directions financières. C'est un autre des enseignements de l'étude Trends of Finance 2023.

Quant à l'enjeu prioritaire pour 2023 c'est très nettement le management de la donnée qui remporte la palme avec près de 70 % des suffrages. Exploiter les données et organiser cette exploitation pour lui donner du sens et de la valeur reste la principale préoccupation des directions financières. Collecter, trier, fiabiliser, bref, structurer le processus de traitement de la donnée sera leur prochain challenge. « La question de la gouvernance de la donnée est clé dans le sens où elle vise à mettre la donnée au service des décisionnaires de l'entreprise. Il s'agit de passer d'une notion de business model à celle de business services », estime un Daf dans le secteur aéronautique.

Des freins identifiés mais bloquants

Pourquoi cela prend-il autant de temps ? Parmi les freins identifiés le manque de temps est souvent le premier cité. En effet, les feuilles de route déjà bien chargées laissent peu de temps pour la veille, la mise en place, la formation et la prise en main. Mais derrière ce manque de temps affiché transparaissent les manquent réels. Et là ce sont les ressources financières et humaines qui sont principalement citées par les répondants : « Le manque de moyens humains au sein des équipe IT qui pâtissent de la pénurie de talents sur certaines connaissances spécifiques créent un manque de compétences qui peuvent ralentir le processus de digitalisation, relève un Daf d'une entreprise de recrutement. De plus si la transformation digitale de la finance n'est pas une top priorité pour l'entreprise l'allocation de budget s'en ressent forcément. »

Pour Laurent Lamoureux, associé et directeur métier expertise comptable chez BDO, le principal risque d'échec d'un projet digital est d'outiller sans faire évoluer les process : « Il n'y a rien de pire que d'implémenter des outils moderne tout en conservant de vieilles méthodes par habitude. Vous passerez alors le plus clair de votre temps à construire de passerelles pour que les flux communiquent. Le danger est qu'au lieu d'obtenir une organisation agile, on obtienne une usine à gaz. Il est important d'essayer d'avoir du recul pour construire le cycle le plus homogène possible dès le début. »

Mais pour cela il faut aussi accepter de faire quelques concessions sur ses habitudes de travail. Car le frein le plus bloquant reste la résistance au changement. La conduite du changement reste un défi pour les Daf qui soulignent « la complexité d'accompagner et d'engager les équipes dans ce changement » et qui jugent « essentiel le sponsorship de la direction générale ». Pour Patricia Moscatelli, director of strategic alliances chez Axway cela met en relief l'écart entre la réalité du monde de l'entreprise et la réalité du quotidien : « Le digital est aussi une question d'état d'esprit. Il faut des objectifs certes, mais portés par une vision qu'il convient de ne jamais perdre de vue. »

BON À SAVOIR

Les bonnes pratiques digitales des Daf du comité d'étude

Outre l'analyse quantitative menée auprès d'un panel de 150 Daf et CFO et la série d'entretiens individuels afin d'affiner l'analyse des résultats, nous nous sommes appuyés sur un comité d'expert composé d'une trentaine de Daf et CFO qui ont accepté de participer à plusieurs matinées de réflexion autour des thématiques de l'étude Trends of Finance 2023. Cela a donné lieu à des échanges riches et fait ressortir quicks wins et bonnes pratiques pour mener à bien un projet de digitalisation.

-Mettre en place un management de l'excellence opérationnelle. En se basant sur la méthode lean c'est assez facile à mettre en place et très impactant car cela permet de mettre la performance au service des collaborateurs.

-Mettre en place des Business Process Owner pour avoir des personnes capables de maîtriser voire d'imposer lorsqu'il le faut les nouveaux processus.

-De la même façon définir un « data model » avec des data owner afin de définir les bonnes règles de gestion et les bons filtres pour ne pas consolider n'importe quoi.

-Construire un catalogue des données financières pour permettre l'essor d'un langage commun (un ETP n'est pas toujours pris en compte de la même façon par la comptabilité et les RH par exemple).

-Raisonner problématiques avant de raisonner solutions.

- Instiller une culture de la donnée.

-Pour les grands groupes, promouvoir la création d'un CSP qui auront un apport réel pour les Business Units.

On le voit bien le processus de transformation digitale est certes bien entamé mais encore loin d'être achevé. Cela implique de nombreux changements dont celui de penser différemment ce qui n'est pas toujours facile à appliquer. Pour certains experts, la digitalisation est la 3e révolution mais c'est aussi la première à supprimer plus de postes qu'elle n'en crée. Pour d'autres au contraire elle peut être un moyen de revaloriser les métiers de la finance et les financiers. Ce qui est sûr c'est qu'elle bouleverse les métiers de la finance et les besoins en compétences. En somme elle est étroitement liée à l'humain.

La gestion du capital humain fait sa mue

« Si on regarde sur 3 ans les sujets de fond n'ont pas changé : le premier enjeu pour les directions financières porte sur la transformation des métiers. Le fait de digitaliser impacte fortement les métiers de la finance. Les besoins en compétences ont énormément évolué, estime Mathilde Mouquet directrice de la pratique RH chez Peregryne. Toute la question est comment identifier les compétences actuelles et les compétences de demain et comment accompagner cette évolution. »

Il s'agit d'une équation à enjeux multiples pour le Daf comme pour ses équipes. « Pour le Daf, il y a un véritable enjeu de leadership aujourd'hui. Les effets du digital sur les métiers ont engendré des enjeux en termes de gestion des carrières fort. Il est important d'avoir des décideurs capables d'organiser ce changements », souligne encore Mathilde Mouquet. Or, rien n'est moins simple car en période de changement la charge de travail est plus que conséquente puisque la réalité opérationnelle demeure. Et quelle entreprise aujourd'hui n'est pas en transformation ? Le changement est devenu permanent. De plus, les différentes crises (sanitaires, géopolitiques, inflationniste) ont généralisé de nouveaux besoins et attentes en termes de conditions de travail. Ce qui était essentiellement porté par les nouvelles générations entrant sur le marché du travail l'est aujourd'hui par une très large majorité de salariés : un environnement de travail positif qui favorise la mobilité et le télétravail mais aussi un meilleur équilibre vie privée-vie professionnelle par exemple.

Majoritairement conscients de ces nouvelles attentes (77%) tout comme des difficultés actuelles du marché de l'emploi, les Daf se concentrent sur la fidélisation (74%) et la formation (59%) de leurs collaborateurs avant d'envisager de recruter. Une stratégie plutôt judicieuse étant donné que des salariés épanouis favorisent le développement d'une culture d'entreprise positive et valorise la marque employeur.

Créer un collectif intergénérationnel

La difficulté pour les directions financières sera d'arriver à créer un collectif qui n'exclut pas les anciens et qui intègre les nouveaux. « La gestion de l'évolution des compétences en interne est hautement stratégique. On parle beaucoup de la transformation digitale mais en parallèle de celle-ci, l'évolution des équipes et l'accompagnement au changement sont tout aussi essentiels. Or il est presque plus long de transformer une organisation humaine que des outils », pointe Franck Angibaud, chief transformation finance officer chez Alten.

D'une manière générale, les Daf ont une analyse assez juste de la situation et sont conscients des enjeux et des problématiques liées au capital humain. Mais s'ils ne se voilent pas la face, ils semblent un peu démunis sur la bonne méthode à mettre en place pour avancer sur ces sujets.

Et ce, principalement parce qu'ils ne sont pas seuls décisionnaires sur ces sujets. La transformation RH ne peut pas être seulement limitée à une fonction, une direction, elle est forcément globale et concerne l'entreprise dans son ensemble. Elle passera nécessairement par une évolution des modes de management. Et si la direction financière peut être force de proposition, l'impulsion du changement devra venir de tout en haut, de la direction générale.

« Si l'impulsion doit être top-down, les bonnes pratiques, elles peuvent être bottom-up, souligne Mathilde Mouquet. C'est en donnant plus de marge de manoeuvre et d'autonomie à leurs équipes que de nouveaux fonctionnements émergeront. »

Bien sûr en fonction du secteur, plus que de la taille de l'entreprise, le Daf partira de plus ou moins loin avec plus ou moins de facilités à faire accepter le changement. Mais quelle que soit la situation initiale, de bonnes pratiques sont à piocher chez les plus avancés en la matière. Chez Fed Finance par exemple, la gestion des carrières est gérée quasiment de façon sur-mesure : « Pilotée par les ressources humaines et soutenue par le management, une learning culture avec un système de mentors internes et la définition de "rôles" pour accompagner la montée en compétence d enos collaborateurs a été mise en place », explique William Naccache, Daf du cabinet de recrutement Fed Finance. Pour Mathilde Mouquet, l'autre levier clé est le lien que le Daf crée avec ses équipes. On oublie souvent que travailler avec des gens ne signifie pas les connaître. « Demandez-vous si vous connaissez vos collaborateurs, leurs projets, leurs centres d'intérêt. Vous trouverez alors plus facilement comment les engager et comment les accompagner dans une évolution qui leur correspondra », conseille-t-elle.

BON À SAVOIR

Les bonnes pratiques RH des Daf du comité d'étude

-Avoir recours à l'alternance ou mettre en place un parcours de formation de 3 ans sur les fonctions comptabilité et gestion pour aider au recrutement et faire rapidement monter les jeunes en compétences.

-Adopter une démarche bottom-up en créant des communautés internes métier par métier afin que les collaborateurs construisent eux-mêmes le futur de leur organisation.

-Ne pas hésiter à détacher un collaborateur sur une mission connexe à ses fonctions habituelles, le détacher géographiquement lorsque c'est possible, pour lui ouvrir de nouvelles perspectives.

-Au niveau RH faire une cartographie des compétences plutôt que des métiers.

Camille George

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