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Hugues Bied-Charreton, Daf du ministère de la Défense: "je vois le back office d'une très grosse entreprise industrielle qui délivre une prestation atypique"

Enarque, passé par Bercy, Hugues Bied-Charreton est depuis 6 ans le directeur des affaires financières du ministère de la Défense. Il exerce cette fonction en milieu sensible avec bien des recettes employées par ses homologues du privé. Mais l'environnement y est sans doute plus...subtil.

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Hugues Bied-Charreton, Daf du ministère de la Défense: 'je vois le back office d'une très grosse entreprise industrielle qui délivre une prestation atypique'

Vous êtes à la tête de la Daf du ministère de la Défense depuis 6 ans; quelles sont les spécificités d'un tel poste?

J'en vois trois majeures : un ministère régalien, à la fois stratégique et très opérationnel, un donneur d'ordre particulier, le chef de l'État et des exigences qui ne sont pas toujours compatibles qu'il nous revient de rendre compatibles. Ces exigences sont : disposer d'un outil militaire efficace, soutenir la base industrielle et technologique de défense dont le tissu économique, 165000 salariés, 15 milliards de chiffre d'affaire, est exportateur net et veiller bien sûr à la soutenabilité financière de l'ensemble des projets et missions. J'ai coutume de dire que de mon poste, je vois le back office d'une très grosse entreprise industrielle. Celle-ci délivre une prestation atypique, essentielle et très exposée: défendre l'intérêt du pays. Et puis évidemment l'administration s'inscrit dans le temps long. Voilà pour les spécificités fortes de mon poste.

En chiffres

Le ministère de la Défense, c'est: 270 000 salariés, 78 milliards d'euros d'immobilisations, 15 milliards d'euros d'actifs immobiliers, 34 milliards d'euros de stocks, un budget 2015 hors pensions de 31,5 milliards (32 milliards en 2016).

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Coté gestion financière, en quoi votre poste se rapproche-t-il de celui d'un Daf en entreprise?

Je me considère comme le directeur financier d'une holding...La holding c'est le ministère, avec trois grosses filiales, la direction générale pour l'armement (DGA), le secrétariat général pour l'administration (SGA) et le chef d'état-major des armées (voir l'organigramme) ! Si mon équipe compte 210 salariés, celles des " filiales " qui me sont rattachées fonctionnellement représentent 6500 personnes. Je me rapproche aussi des directeurs administratifs et financiers du privé sur la gestion prévisionnelle, la consolidation et la fiabilisation de l'information financière et sur l'anticipation, inhérente à notre processus budgétaire. Notre cadre c'est la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et la loi de programmation militaire, laquelle fixe une vision à 6 ans minimum. Nos engagements se font sur le long terme. Autre point commun: le besoin de traiter les aléas de gestion que sont par exemple chez nous les régulations budgétaires demandées par Bercy, le financement de dépenses imprévues ou la couverture des opérations extérieures de la France.

Vite dit

Ce qui vous a le plus surpris à votre prise de poste... en positif?

La vraie compétence financière des équipes au sein du ministère.


Comment définiriez la gestion financière du ministère en 2015?

Très contrainte! Les raisons d'être de mon poste sont : cohérence et soutenabilité. Je dois garantir d'une part, la fiabilité de l'information financière délivrée en m'assurant notamment que les services disposent des outils et des méthodes adéquats pour évaluer et contrôler leurs coûts et d'autre part, veiller à la soutenabilité financière de notre mission militaire, c'est-à-dire notre solvabilité financière à court et à moyen-long terme. De ces deux items, à l'heure actuelle c'est sans doute le second qui a la part la plus importante!

Or, nos coûts fixes, de structure, d'intervention militaire sont très importants et ne nous laissent guère de marge de manoeuvre pour des économies rapides. La flexibilité est difficile au sein d'une administration mais plus encore ici. Certes, nous menons de gros chantiers, notamment sur l'organisation des fonctions support, sur la supply chain avec les services de maintenance du matériel et sur la stratégie achats , cette dernière représentant une économie de 120 millions d'euros par an environ. Mais au regard de nos coûts fixes et des engagements à tenir et souscrits depuis des années en terme de salaires, de maintenance et de dépenses d'armement, les marges d'ajustement sont très limitées à court terme. Couper dans notre budget ne peut se faire qu'en remettant en cause des marchés et donc des équilibres contractuels au risque de toucher au tissu économique environnant et de perdre des compétences très rares. Le futur sous-marin nucléaire d'attaque, le Barracuda ou bien le M 51, missile qui porte la tête nucléaire des sous-marins, ne sont pas des objets produits en série !


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En entreprise, le Daf se revendique business partner, voire maker; et vous comment qualifiez- vous votre fonction?

Partner aussi mais de cette mission de défense nationale. J'accompagne les autres fonctions afin de diffuser et professionnaliser la culture financière. Ainsi, notre démarche de contrôle interne est aujourd'hui bien partagée et appliquée. Il en est de même pour le pilotage par les risques. Au delà de cet accompagnement pédagogique, chaque niveau hiérarchique de la direction des affaires financières siège au sein de différents organes de gouvernance du ministère. Me concernant, je siège notamment au comité exécutif et au comité interministériel d'investissement.


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Chacun des services qui m'est rattaché hiérarchiquement est lui-même représenté dans les comités de gestion du ministère. Partner oui comme dans le privé mais exerçant au sein d'un ministère traversé par un jeu d'acteurs plus complexe. Je dois faciliter le dialogue, faire émerger un consensus ou un compromis pour mieux fédérer, tant en interne que vis à vis de l'externe avec Bercy, la Cour des comptes, les cabinets ministériels ou bien encore les commissions finances et de la défense du Parlement, acteurs dont je suis généralement l'unique interlocuteur en matière financière.



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Quels sont vos trois chantiers prioritaires dans les 2 ans à venir?

Vite dit

Ce qui vous a le plus surpris à votre arrivée en négatif?

L'extrême complexité de l'organisation du ministère et le retard du SI de gestion...


Sachant que mon périmètre d'intervention comprend notamment la programmation et l'exécution budgétaire, les SI finance, le contrôle interne du ministère, je me fixe trois chantiers.

D'abord sécuriser l'exécution de la loi de programmation militaire, en cours de réexamen au Parlement: je devrais m'assurer que les hypothèses physico-financières retenues sont respectées.

Deuxième chantier : la dématérialisation de la chaîne de la dépense pour gagner en efficacité et réduire les délais de paiement vis à vis de nos fournisseurs ; nous les payons à 30 jours, nous devons parvenir à 20 jours en 2017.

Mais le chantier le plus lourd est celui de la maîtrise des coûts et des risques, via la réorganisation du contrôle interne financier avec l'objectif notamment de rapprocher le contrôle interne comptable et le contrôle interne budgétaire, et via le déploiement de la comptabilité analytique.


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