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Daf : la nécessité de devenir un bon pédagogue

Dans un contexte de crises continuelles, le rôle du Daf ne se limite plus à la stratégie financière et à l'établissement de reporting. Il doit aussi rassurer les salariés tout en faisant preuve de pédagogie, quitte à innover dans sa communication, par la mise en place de newsletters. L'actionnariat salarié semble aussi être un atout de taille pour fédérer aussi bien en interne qu'en externe.

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Speaker at the podium. The lecture presentation. Science and education, business school. Retro style pop art
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Speaker at the podium. The lecture presentation. Science and education, business school. Retro style pop art

Dans sa communication financière, le groupe Les Zelles, spécialisé dans la menuiserie extérieure et implanté au coeur du massif vosgien, livre plus qu'il n'en paraît de lui-même. Cette société familiale de 500 salariés fondée en 1946 qui n'avait pas l'habitude de parler stratégie, seuil de rentabilité, croissance avec l'ensemble des salariés a fait évoluer son discours pendant la crise sanitaire, et juste après, reflétant des préoccupations plus profondes. « Nous avons changé notre façon de communiquer pendant la crise sanitaire en adressant des mails chaque semaine à nos collaborateurs. Ceci afin de parler et partager les projets que nous menions pour gérer le confinement et préparer l'entreprise au redémarrage car ils avaient besoin d'être rassurés dans cette situation exceptionnelle », explique Laurent Demasles, qui dirige le groupe depuis 2017. Cette communication, avec une dimension plus économique et sociale, a été prolongée en 2021 lors du passage en entreprise à mission concomitant avec la mise en place d'un FCPE (fonds commun de placement d'entreprise) de reprise. Un rachat inédit où tous les salariés sont devenus le premier actionnaire avec une participation de plus de 36 %. « J'ai rencontré tous les salariés par petits groupes sur une trentaine de réunions afin de leur expliquer le nouveau projet d'entreprise et les enjeux qu'il porte de création de valeur financière et économique mais aussi sociale, sociétaire et environnementale. Il était important de leur présenter les spécificités et les avantages de ce dispositif d'actionnariat salarié et faire en sorte que chacun se sente libre de poser des questions pour, en confiance, investir dans l'entreprise et s'investir dans ce projet », détaille Laurent Demasles.

La diffusion d'un film d'animation et d'une newsletter

Cette entreprise à mission a diffusé en parallèle un film d'animation et une newsletter entre octobre 2020 et mars 2021, date du rachat, avec un objectif principalement pédagogique : pourquoi initier ces projets ? Pourquoi sont-ils bons pour l'entreprise et les salariés ? Cette action de communication a nécessité de créer de nouveaux binômes en interne, de travailler avec la direction financière et la direction des ressources humaines pour valider, tout en les rendant accessibles, les explications et les données financières. « La communication par écrit repose sur des données transmises et validées par la direction financière. On demande aux collaborateurs d'investir. Il faut donc être clair sur le chiffre d'affaires et le résultat du groupe, la dette, le budget et les investissements, le projet de développement et son financement. Mais aussi nos hypothèses sur la conjoncture et les risques qu'elles portent inévitablement, tout en essayant de simplifier les données financières pour faire en sorte qu'elles soient bien comprises », ajoute le dirigeant.

Depuis sa réforme par la loi Pacte de 2019, jamais le véhicule d'investissement du FCPE de reprise n'avait été utilisé. Jusqu'alors, ces véhicules d'investissement avaient déjà été mis en place mais ils n'avaient jamais permis aux salariés de devenir les principaux actionnaires. Les retombées d'une telle démarche ? En mettant en place un système de partage de la création de valeur qui dépend directement des résultats générés dans le temps long de l'entreprise et donc dans la durée de ses plans d'investissement et de développement, le FCPE de reprise permet d'aligner les intérêts long terme des actionnaires, de la direction, des managers et des salariés. « En plus de fidéliser les salariés et d'attirer les talents, cet outil reste fiscalement très avantageux. Pour notre projet, nous avons pu mettre en place un schéma, via l'abondement et la décote, et faire en sorte qu'avec un investissement de 1 000 euros de leur poche, ils détiennent 2 500 euros de valeur d'entreprise », détaille Laurent Demasles.

Rendre les sujets accessibles

Tout l'exercice pour l'employeur et la direction financière consiste donc, non seulement à faire comprendre l'enjeu de l'actionnariat salarié pour l'entreprise et les salariés, à rendre le sujet accessible, mais aussi à le valoriser auprès des partenaires externes. « Les bénéfices de l'actionnariat salarié sont nombreux. Et pourtant la part des sociétés équipées de ce dispositif reste très faible. 1,3 % des entreprises de plus de 10 salariés en sont dotées selon la Dares. 3 millions de salariés sont actionnaires de leur entreprise mais plus de 80 % dans des grands groupes cotés. Ces derniers mettent donc en place plus volontiers ces dispositifs. Certaines entreprises les associent même à des critères RSE, ce qui est plutôt bien vu et apprécié des salariés et des investisseurs. Ces derniers vont d'ailleurs considérer suspect et inédit de ne pas proposer de l'actionnariat salarié lorsqu'on est un groupe coté », estime Nicolas Aubert, professeur à l'université d'Aix Marseille, spécialiste des questions épargne salariale et actionnariat salarié.

La banque indépendante Memo Bank a décidé de placer l'actionnariat salarié au coeur de la culture de son entreprise en attribuant des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BSPCE). L'intérêt est double. Pour l'entreprise, il s'agit d'intéresser les salariés de la société, les fédérer autour d'un projet commun et les motiver. Les salariés ont de leur côté la possibilité d'avoir un gain significatif qui soit en rapport avec l'effort qu'ils ont fourni et l'innovation qu'ils avaient mis dans le projet. « Cet outil permet de fidéliser les meilleurs talents. Les investisseurs le voient également d'un bon oeil, rapporte Ferdinand Brunet, directeur administratif et financier de cette société de 65 salariés. Les collaborateurs attendent aujourd'hui qu'on communique sur l'atteinte du seuil de rentabilité, les résultats financiers. Ce sont les salariés qui portent la croissance du groupe, ils doivent donc garder confiance dans les choix stratégiques de l'entreprise. »

Faire preuve de pédagogie

Dans un contexte de crise continuelle, le Daf quitte les coulisses pour évoluer sur scène et rassurer les salariés. Selon la seconde édition du baromètre Whistcom-OpinionWay publié en novembre 2023, les collaborateurs se sentent de moins en moins concernés par la parole de leurs dirigeants. Un jugement qui se dégrade de cinq points par rapport à la même enquête de 2021. 55 % des personnes sondées ne connaissent pas la stratégie de leur entreprise ou n'y adhèrent pas, 57 % déplorent une parole trop descendante et enfin 50 % jugent les dirigeants distants et déconnectés de la réalité, pas à leur écoute, pas empathiques et pas proches d'eux. « Les compétences des Daf évoluent en même temps que leurs attributions. Ils doivent élargir leurs champs d'action et désormais communiquer aussi sur leur stratégie de financement, vendre l'histoire dans laquelle ils sont embarqués et faire preuve de pédagogie pour que leurs interlocuteurs puissent appréhender le langage financier qui est le leur », estime Charles Bédier, associé au sein de Deloitte Finance, en charge de l'activité conseil en fusions et acquisitions.

Autrement dit, un directeur administratif et financier doit transformer les cellules des tableaux Excel en graphiques explicites pour communiquer sur des indicateurs d'efficacité opérationnelle. Il peut également utiliser des outils de communication pour partager des données et s'efforcer le plus possible de simplifier les rapports annuels pour conforter l'équipe dirigeante, les investisseurs et leur apporter un gage de qualité supplémentaire.

Brice Fournet, directeur administratif et financier du groupe Aegide Domitys jusqu'à l'été 2023, qui a institué des newsletters avec la direction du marketing, partage également le besoin de sensibiliser les salariés aux enjeux financiers et de vulgariser l'information. « Ce rôle de pédagogie est venu progressivement, à mesure que le groupe grandissait. Nous avons ressenti le besoin de communiquer en interne sur des projets impactants et sur les grands enjeux financiers du groupe, avec le besoin néanmoins d'adapter cette communication à une population de collaborateurs non-financiers », rapporte Brice Fournet. Un Daf étant aussi un manager, il ne faut donc pas oublier de communiquer vis-à-vis de ses équipes afin de les embarquer dans le projet. Des moments de communication formelle doivent être prévus afin de s'assurer que les messages importants sont bien passés.


Les BSPCE et les actions gratuites : quelles différences ?

Les attributions d'actions gratuites et les BSPCE sont deux mécanismes d'intéressement au capital social à la disposition des start-up, qui se distinguent toutefois. L'attribution d'actions gratuites permet d'octroyer des actions gratuitement de façon immédiate. Toutefois, le bénéficiaire ne disposera juridiquement de ces actions qu'à l'issue d'une période dite d'acquisition (au minimum un an), et ne pourra pas les céder avant le deuxième anniversaire de l'attribution d'actions. En revanche, les BSPCE sont des instruments permettant au salarié de souscrire ultérieurement des actions de la société à un prix convenu lors de l'émission. Si les conditions prévues par le contrat d'émission sont réalisées et le prix de souscription versé, les bons seront convertis en actions. Selon The Galion Project, le collectif des entrepreneurs français de la tech, s'il est plus tentant de recourir aux actions gratuites qui sont plus simples à expliquer aux salariés, les BSPCE restent plus fréquemment utilisés pour deux raisons principales. « Il n'y a pas de charges sociales à payer pour la start-up et donc pas d'impact en termes de trésorerie. La plus-value escomptée est par ailleurs entièrement basée sur la création de valeur future et non la valeur passée, ce qui est l'esprit du contrat passé avec le salarié », rapporte le collectif. Les actions gratuites peuvent de leur côté constituer un instrument financier intéressant dans des circonstances particulières, par exemple lorsqu'il s'agit d'associer au capital un dirigeant qui n'a pas participé à la création de la société et pour lequel l'attribution de BSPCE serait insuffisante, ou pour corriger le fait que les BSPCE n'ont pas été attribués suffisamment rapidement avec pour conséquence un prix d'exercice élevé. « Lorsque la start-up s'introduit en bourse, elles permettent également de mieux amortir les fluctuations du cours de l'action et donc de réduire l'incertitude sur la valeur donnée au salarié », relève The Galion Project.


Actionnariat salarié : comment associer au mieux ses équipes ?

Pour amortir le risque pris par leurs collaborateurs, les rassurer et les convaincre d'investir, les employeurs qui ont recours à l'actionnariat salarié ont tout intérêt à recourir à des incitations : décote lors de la souscription, généralement jusqu'à 30 %, qui garantit au bénéficiaire une ristourne sur le prix des actions ou abondement, jusqu'à 300 %. C'est ce que montre le baromètre Equalis Capital de l'actionnariat salarié dans les sociétés non cotées publié le 16 octobre 2023. Lors des souscriptions initiales, les entreprises offrant une incitation (abondement ou décote) ont dans le détail un taux de souscription moyen de 53 % contre 35 % pour les entreprises qui n'en proposent pas soit 18 % de souscription supplémentaire. Mis en place par la loi Pacte et opérationnel depuis 3 ans, l'abondement unilatéral est également un signal fort de confiance de la part des entreprises. Il est utilisé en priorité lors de la création du FCPE, à raison d'une entreprise sur cinq, selon le baromètre. L'abondement unilatéral constitue aussi un levier incitatif à l'investissement pour les salariés. Les entreprises qui l'ont mis en oeuvre réalisent un taux de souscription 16 % plus élevé que celles qui n'utilisent pas ce dispositif.

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