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[Interview] « L'équipe finance doit comprendre les enjeux des entités du groupe et être comprise en retour » - Charles Bernaille, CFO de BMW Distribution

CFO de la filiale Distribution France de BMW Group, Charles Bernaille s'attache à animer une organisation transversale afin que la compréhension des besoins et des activités soit mutuelle entre les services.

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[Interview] « L'équipe finance doit comprendre les enjeux des entités du groupe et être comprise en retour » - Charles Bernaille, CFO de BMW Distribution

Pouvez-vous nous présenter BMW Distribution et sa place au sein de BMW ?

BMW Distribution est une filiale de BMW Group France. Nous représentons l'activité concessions de BMW avec 3 sites en France. Créée en 2005, la filiale compte 200 personnes dédiées à nos clients sur l'ensemble des 3 sites pour un chiffre d'affaires annuel de 250 M€ environ. La France représente le 5e marché sur la partie automobile pour le groupe à l'échelle mondiale. Pour vous donner un ordre d'idée, BMW France a vendu plus de 71 000 véhicules des marques BMW et Mini en France et près de 21 000 motos et scooters de la marque BMW Motorrad en 2022.

En tant que filiale, nous constituons l'une des 4 ­entités France, au même titre que BMW France, BMW Finance, captive financière du groupe qui permet de financer les clients finaux, mais aussi les concessionnaires pour leur permettre de constituer leurs stocks, et Alphabet, qui est la filiale dédiée à la gestion de flottes automobiles pour les entrepri­ses. L'ensemble représente environ 1 000 collaborateurs en France.

Quel périmètre exactement la direction financière que vous pilotez couvre-t-elle ?

L'équipe que je pilote couvre la partie BMW Distribution uniquement et je rapporte directement au directeur financier de BMW Group France. J'ai également un directeur opérationnel, qui est le directeur général de BMW Distribution.

Comment se porte l'activité ? Le secteur a été pas mal chahuté ces dernières années...

En ce qui concerne les volumes de vente, sur les six premiers mois de l'année, nous serons revenus à des niveaux similaires à 2019, donc avant Covid, ce qui est plutôt un signe très positif, avec un carnet de commandes plutôt bien garni et un stock suffisant pour nous permettre de réaliser une année positive en termes d'activité. Le secteur va de crise en crise, ces dernières années. Début 2019, nous avons vécu la crise des gilets jaunes durant laquelle nos showrooms intramuros ont été mis à mal. Juste après, nous avons eu la Covid, ce qui a eu un impact sur les productions de semi-conducteurs avec pour effet de ralentir la production et d'augmenter les délais de livraison, même si BMW Group a plutôt bien géré cette phase particulière, mieux que certains concurrents. Et puis, l'an dernier, la guerre en Ukraine a provoqué une crise géopolitique qui a eu un certain nombre de répercussions et, nous concernant, un impact sur d'autres composants. Là encore, le groupe a su se réorganiser rapidement pour limiter les retombées sur l'approvisionnement en véhicules. L'activité a été quelque peu élastique ces trois dernières années, obligeant le groupe à se réorganiser et à faire certains ajustements pour être capable de faire face à ces différents événements.

Justement, comment avez-vous, au niveau de la direction financière, accompagné ces différentes réorganisations ?

Cela dépend de la crise. Au niveau de la Covid, par exemple, nous avons dû fermer la première semaine, comme tout le monde. Nous avons ensuite rouvert progressivement pour permettre aux ateliers de faire l'entretien des véhicules prioritaires des soignants. Cette ouverture malgré le confinement général nous a obligés, au niveau de la direction financière, à nous réorganiser rapidement pour permettre la continuité de l'activité. Un certain nombre de processus n'étaient pas encore digitalisés, il a donc fallu rapidement finir de les digitaliser. Nous avons dû prendre quelques outils supplémentaires, notamment pour pouvoir assurer les encaissements à distance. La France aimant beaucoup les chèques, nous avions à l'époque à gérer encore pas mal de chèques papier. Nous avions bien des terminaux de paiement électronique, mais ceux-ci étaient sur place. Nous avons donc installé une solution de paiement à distance qui envoie des liens SMS ou mail aux clients pour faciliter et sécuriser le paiement. De la même façon, nous avons dématérialisé nos flux avec la banque de manière à pouvoir les gérer à distance, ce qui n'était pas le cas avant Covid.

Quel a été le rôle de la direction financière dans la relation avec vos fournisseurs ?

Nous avons mis en place une permanence, au moment de la Covid, au niveau de la finance et principalement de la comptabilité afin que les délais de paiement, entre autres, ne souffrent pas d'allongements dus à la situation. Nous avons un certain nombre de petits fournisseurs qui ne sont pas dématérialisés, mais encore en factures physiques. Nous avons donc dû nous assurer de pouvoir relever ces factures physiques sur site afin de les mettre en paiement et ne pas dépasser les délais, ce qui aurait eu pour conséquence de les mettre en risque. Nous avons été très vigilants sur ce point.

Et concernant la crise d'approvisionnement et la pénurie de semi-conducteurs, quels ont été les leviers activés ?

La difficulté de cette crise est qu'elle a été élastique. Notre stock a commencé par fortement diminuer avec les difficultés d'approvisionnement. Depuis quelques mois, les approvisionnements sont repartis à la hausse. Or, lorsque les véhicules arrivent, par camions ou par bateaux, ils sont en nombre assez conséquent, ce qui nous demande un peu de temps pour organiser les livraisons aux clients. Pour cette raison, notre niveau de stock augmente, mais heureusement, c'est du stock « sain », puisqu'il s'agit de stock contremarqué client qui répond donc au carnet de commandes. La gestion de la trésorerie reste l'enjeu principal cette année puisque nous avons doublé notre BFR en quelques mois. Ce qui se pilotait confortablement par le passé est devenu plus essentiel pour nous pour deux raisons : ne pas ralentir le business, ce qui implique de s'assurer que l'on a bien le fonds de roulement nécessaire pour poursuivre les activités. Pour cela, nous travaillons étroitement avec notre partenaire BMW Finance qui nous aide à financer notre stock, notamment, ainsi que nos partenaires bancaires qui nous accompagnent. Cela demande d'anticiper au maximum nos besoins pour valider avec eux nos lignes de crédit. Le deuxième enjeu porte sur les taux d'intérêt. Nous étions peu ou prou à taux négatifs, il y a un an aujourd'hui, sur de la trésorerie non affectée, nous sommes plutôt autour de 5,4 %, donc en euros sonnants et trébuchants, cela revient à multiplier par cinq nos coûts de financement comparés à l'an dernier. Ce qui n'est évidemment pas neutre et m'a conduit à dédier une partie de l'équipe à ce sujet afin d'anticiper au mieux nos besoins et être en mesure de déplacer les encours sur les bonnes lignes de crédit pour essayer de réduire l'impact financier du financement.

La gestion des stocks est un enjeu majeur, quid de la gestion de l'énergie ? Comment avez-vous géré cette hausse-là ?

C'est tout à fait vrai, l'énergie est un sujet clé, d'autant qu'il y a en plus un enjeu RSE fort à mieux gérer nos dépenses énergétiques. Certes, nous ne sommes pas sur un site industriel, mais le site de Vélizy est grand, il a besoin d'être chauffé ou climatisé l'été, il compte beaucoup d'éclairages et c'est sans parler des deux autres sites. Or, nous avions un contrat d'électricité pluriannuel qui arrivait à échéance fin décembre l'année dernière. Nous nous sommes rapprochés du service achats BMW France, qui opère pour l'ensemble des entités en France, pour renégocier nos contrats et lancer un appel d'offres. Malheureusement, le prix de l'énergie étant public, nous n'avons pu éviter une multiplication par cinq des prix que nous connaissions par le passé. Ce qui est loin d'être neutre non plus en matière d'impact sur le compte de résultat. Cela dit, nous avions malgré tout anticipé cette difficulté en mettant en place un certain nombre de mesures en matière de gestion des bâtiments afin de réduire nos consommations le plus efficacement et le plus rapidement possible. Nous avons ainsi réussi à réduire nos consommations d'énergie, eau et gaz de 25 % en quelques mois avec, pour le moment, relativement peu d'investissements, mais principalement des réglages et surtout la participation de l'ensemble de nos collaborateurs. La participation de chacun est nécessaire pour avancer sur ces sujets-là, tout en gardant bien sûr un minimum de confort d'utilisation des bâtiments. C'est un enjeu économique, mais également RSE pour nous. Je rappelle que BMW est un groupe familial dont le capital est détenu à près de 50 % par la famille fondatrice. Le groupe, qui a fêté ses 100 ans en 2016, a toujours regardé vers le futur et s'est engagé très tôt dans les énergies renouvelables pour ses véhicules. Nous étions déjà très organisés sur les énergies renouvelables et l'effi­cience énergétique au niveau des usines notamment. Nous avons donc poursuivi la démarche pour réduire notre empreinte carbone aussi au niveau de l'activité distribution.

Qu'avez-vous fait concrètement ?

Les nouveaux contrats d'énergie que nous avons signés portent sur de l'énergie 100 % renouvelable. Cela vaut pour l'ensemble de nos usines dans le monde qui sont en 100 % énergie renouvelable certifiée et désormais donc l'ensemble de nos sites en France fonctionnent aussi en 100 % énergie renouvelable. Cela nous a coûté un peu plus cher, mais c'était important pour nous. Nous ne nous sommes pas contentés d'agir sur l'électricité, nous avons aussi mené des actions sur la consommation d'eau. Aujourd'hui, nous avons deux stations de lavage pour les véhicules clients. Nous avons investi pour pouvoir recycler 50 % de nos consommations d'eau à ce niveau-là. Il n'y avait pas d'enjeu économique puisque l'investissement ne sera économiquement pas rentable rapidement, mais il était important pour nous de faire cet investissement afin de réduire notre empreinte écologique. Nous avons mis en place, en fin d'année dernière, un comité RSE ­stratégique avec les quatre entités du groupe où siègent les directions financières, la direction générale et la direction des ressources humaines. Puis nous avons un réseau de collaborateurs ambassadeurs dans chaque entité et chaque département pour engager et acculturer les collaborateurs à la réduction de notre impact en tant que filiale de distribution ou filiale financière dans nos activités en France. Un important effort d'un point de vue industriel est effectué avec des objectifs déclarés au Science Based Targets (SBTi) sur toute la chaîne de valeur du véhicule et l'objectif, désormais, est d'étendre ces mêmes objectifs aux activités métiers en France.

Comment cela se traduit-il sur le terrain ?

Nous avons rendu obligatoire un certain nombre de forma­tions à l'ensemble de nos collaborateurs sur la partie durabilité du groupe au niveau mondial. Chaque département avait des objectifs RSE à réaliser au cours de l'année. Pour la partie finance, j'ai voulu sensibiliser les équipes à l'électrification de notre gamme de véhicules. Dans ce sens, nous avons réalisé des ateliers avec des véhicules électriques pour montrer le fonctionnement de ces véhicules, ­effacer les craintes afin qu'ils deviennent les premiers ambassadeurs de l'électromobilité et des différentes ­technologies que nous développons. On pense souvent à former les équipes commerciales et techniques, mais moins les équipes dites supports comme la finance, or il est aussi important que la fonction participe de ce changement et connaisse parfaitement l'activité et les produits du groupe.

Quelle est la place de la finance chez BMW Distribution ?

La fonction financière doit être un vrai business partner et pas juste le service qui récupère les factures en bout de chaîne. Notre rôle est bien d'accompagner les activités et le business, de trouver des solutions avec les métiers pour aller plus loin et mieux accompagner le client dans son parcours. À titre d'exemple, je vais toutes les semaines sur nos différents sites, je passe dans les ateliers une fois par semaine minimum et lorsque je passe dans un showroom, je travaille sur le hub central au milieu des clients. Cela me permet d'entendre ce qu'ils disent, de mieux comprendre leurs attentes et besoins, pour ensuite réfléchir aux actions possibles à notre niveau pour faciliter davantage l'adaptation des activités aux attentes réelles des clients. C'est primordial, la direction financière ne peut pas bien travailler si elle ne comprend pas ce qui se passe, la façon dont fonctionne l'activité et les clients surtout.

Comment est structurée la direction financière ?

Une dizaine de personnes composent l'équipe. Nous sommes répartis en deux services que sont la comptabilité et la trésorerie, d'un côté, et de l'autre, le contrôle de gestion qui s'occupe aussi du contrôle interne qui a pour mission d'agir aussi en tant que conseil interne. Je tiens à ce rôle de conseiller interne, car nous avons de plus en plus de projets, les choses vont de plus en plus vite ; les crises se succèdent en permanence, par conséquent, nous avons un besoin constant de trouver de nouvelles solutions, de nous réorienter et de nous digitaliser au maximum. Je tiens à ce que le contrôle de gestion assume ce rôle-là en accompagnant les équipes métier dans l'implémentation de ces nouveaux outils. Par exemple, l'an dernier, le contrôle de gestion a été leader sur l'implémentation d'un outil de BI sur le suivi et le monitoring de nos prises de commandes. C'est quelque chose que l'on faisait avant sous Excel et que nous avons voulu, vu les volumes gérés chaque année, passer à un niveau supérieur. C'est le contrôle de gestion qui s'est assis dans le fauteuil de pilote sur ce projet pour accompagner les équipes.

Vous êtes donc sur une organisation transversale et non en silo ?

Oui, tout à fait, et justement sur ce point, lorsque je suis arrivé ici début 2019, il y avait trois espaces clos différents au niveau de la finance : le bureau du directeur financier, un espace comptabilité et un espace contrôle de gestion. J'ai choisi de prioriser des investissements assez rapidement afin que l'on puisse ouvrir les espaces. Aujourd'hui, je suis assis au milieu des équipes pour entendre et comprendre ce qui se passe et surtout faire en sorte que la communication passe bien entre les personnes. Même si la proximité physique ne fait pas tout, cela permet de rassembler les équipes lorsque nous sommes sur site. Ce mouvement de transversalisation de l'équipe s'est fait en coconstruction avec les collaborateurs pour impliquer les équipes dans la nouvelle organisation.

Cela fait 12 ans que j'évolue au sein de BMW Group, j'ai eu la chance de voir différentes entités, différents contextes et objectifs. Il est très important de donner du sens aux équipes, à mes équipes et aux équipes avec lesquelles nous travaillons, afin que chacun comprenne nos besoins, mais également que nous comprenions les besoins des autres équipes et départements. Cela donne du sens et crée du lien.

Quels sont vos principaux enjeux internes à la fonction ?

J'ai besoin de faire monter les équipes en compétence sur les nouveaux sujets afin qu'elles développent des connaissances plus fines en matière de durabilité, de RSE, d'indicateurs extra-financiers qui vont devenir de plus en plus importants pour nous. Il y a encore un besoin de transfert de compétences sur ces sujets. À mon niveau, je suis un certain nombre d'indicateurs extra-financiers. Je pense bien sûr aux consommations énergétiques, sujet qui me tient à coeur et sur lequel je souhaite emmener l'ensemble des équipes. Nous sommes soumis à la DPEF au niveau groupe. En tant que société cotée en Allemagne, nous avons déjà un rapport intégré depuis 2020, mais jus­qu'à présent, les filiales n'étaient pas soumises au rapport intégré. Elles le seront à partir de 2025, ce sont donc de gros sujets en interne. Pour l'heure, nous faisons essentiellement du reporting groupe, mais il va sans doute falloir ajuster certains de nos outils en local pour avoir un reporting plus facile. Nous avons plusieurs services partagés : le premier est l'IT, les RH et les achats sont également partagés ainsi que le juridique pour partie. Cela nous permet d'avoir plus de liens et de transversalité entre les entités. Au sein du comité de direction de BMW Distribution, Olivier Philippot, notre directeur général, est un transfuge de BMW France, tout comme le directeur commercial, Yacine Remila. Pour ma part, je viens de BMW Finance, Hervé Leroy, directeur après-vente, est, lui, un transfuge d'Alphabet... Nous avons cette chance de comprendre parfaitement les enjeux des différentes entités pour y être passés. Cela nous permet de donner du sens à nos équipes en leur permettant de comprendre aussi les enjeux des autres entités du groupe et la façon dont nous nous intégrons dans cet environnement.

Comment voyez-vous la fin de l'année 2023 et le début 2024 ?

Le portefeuille de commandes est plutôt bien rempli, du côté des stocks, tout va plutôt bien aussi, en tout cas pour les trois prochains mois, ce qui va donc nous permettre d'avoir un niveau d'activité soutenu sur la fin de l'année. Par conséquent, l'accompagnement financier portera essentiellement sur la trésorerie disponible afin d'assurer la livraison des véhicules lorsque cela sera nécessaire.

Du point de vue de la stratégie globale, l'enjeu reste l'électrification de notre offre et le développement des infrastructures de recharge. Depuis 2020-2021, de gros efforts ont été mis sur les infrastructures, nous avons un certain nombre de bornes électriques internes, nous sommes partenaires de Ionity pour développer le réseau de recharge rapide sur autoroute et nous travaillons également sur la recyclabilité des batteries. En 2021, nous avons investi plus de 40 % de notre budget annuel sur l'infrastructure électrique pour être en mesure d'accompagner l'électrification de nos ventes. La phase d'après est, bien sûr, d'avoir nos propres infrastructures pour nos clients, mais pas uniquement. Cela fait 10 ans que l'on expérimente et que l'on roule au quotidien en électrique chez BMW Group. Nous avons donc accumulé une certaine expérience sur le sujet.

Est-ce que l'origine allemande du groupe a un impact sur la gestion et la stratégie ?

Ce n'est, à mon sens, pas tant l'origine allemande que le fait d'avoir un actionnariat majoritairement familial. Il n'y a pas de changement de cap, nous avons une logique d'investissements sur le très long terme, ce qui, d'un point de vue stratégique, apporte une grande stabilité. Pendant la crise, nous avons continué à investir exactement le même montant (près de 7 milliards par an) en R&D sur les technologies d'avenir, comme l'hydrogène qui peut être un complément aux véhicules électriques à batteries pour accélérer la décarbonation. In fine, l'enjeu est de développer un nouveau modèle économique et de diversifier l'offre de mobilité.


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