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Prévention du greenwashing : les DAF désormais en première ligne

Alors que la fréquence des controverses sur le greenwashing impliquant des entreprises européennes a augmenté (1), le greenwashing (écoblanchiment) voit aujourd'hui son spectre de responsabilités évoluer au sein de l'entreprise. À la faveur d'un manque de maîtrise du cadre législatif ou social très mouvant, ses risques évoluent alors qu'apparaissent des conséquences économiques nouvelles, qui poussent les directeurs financiers à l'intégrer dans leurs missions, pour assurer la convergence entre éthique environnementale et prospérité économique.

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Prévention du greenwashing : les DAF désormais en première ligne

Vers une définition renouvelée du greenwashing

Historiquement cantonné à des manoeuvres initiées par les professionnels de la communication ou du marketing, le greenwashing a longtemps été synonyme de tentatives pour les entreprises de se parer d'un faux vernis écologique en vue de briller un peu plus ou de cacher certains manquements. Des dérivés du greenwashing ont également émergé comme le socialwashing (2) ou le bluewashing (3). Cette époque est révolue.

Le soutien massif et les changements réglementaires au niveau international, européen et français marquent un tournant décisif dans la lutte contre l'écoblanchiment. Au niveau européen et français, des réglementations de plus en plus strictes telles que la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD), la réforme du label ISR, la nouvelle loi AGEC (anti-gaspillage et économie circulaire) et le guide de l'ADEME contre le greenwashing en France incarnent ce changement, en imposant des critères d'évaluation rigoureux des engagements environnementaux des organisations, afin de protéger les consommateurs contre les pratiques trompeuses et les aider à faire de meilleurs choix d'achat. Une structure de gouvernance formelle et responsable au niveau européen fait également partie de cette évolution, comme la directive Green Claims et la directive DPC 2 (relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs).

La couverture croissante du greenwashing dans les médias soulève d'autres questions quant à l'impact financier potentiel sur les entreprises. Ces défaillances peuvent entraîner des répercussions financières sévères : déclassement de produits financiers stratégiques, sanctions financières, érosion de la confiance des investisseurs et/ou des clients finaux, ou encore défiance des actionnaires se traduisant de manière rapide et durable sur les cours de bourse pour les entreprises cotées.

Les entreprises se voient ainsi contraintes de s'engager à la transparence en considérant le greenwashing non plus comme une simple alerte dans leurs processus de communication, mais comme un enjeu stratégique majeur. Le greenwashing doit alors se définir par les risques qu'il induit, spécifiques à l'entreprise.

Une approche holistique de la gouvernance

Dans ce paysage complexe, une gouvernance adaptée doit placer les directeurs financiers en plus des directeurs RSE au coeur de la stratégie de prévention dans son ensemble. Gardiens de l'intégrité financière de l'entreprise, les directions financières sont désormais appelées à jouer un rôle de premier plan dans la prévention des risques financiers réels et avérés liés au greenwashing. Leur mission doit s'étendre à la surveillance de ces risques, à la définition de procédures de contrôle mais aussi à la mise en place de mesures correctives, témoignant de l'indispensable convergence entre finance et responsabilité environnementale. Il est également nécessaire d'assurer en amont une coordination des stratégies de communication/marketing, financières et RSE afin d'évaluer et valider les différents niveaux de risques perçus et donner un cadre cohérent en aval sur les différentes communications, comme entre la stratégie RSE et les objectifs RSE communiqués par exemple.

Cette évolution nécessite une gouvernance intégrée, où les enjeux financiers et écologiques sont abordés de manière cohérente et stratégique, sur un même plan d'égalité.

Le défi est d'ampleur : les entreprises doivent non seulement se conformer à un cadre réglementaire en constante mutation, mais aussi devancer les attentes croissantes des parties prenantes de l'organisation en matière de durabilité. La transparence et la fiabilité des informations publiées deviennent des vecteurs clés de confiance et de crédibilité. Les DAF, en leur qualité de garants de l'intégrité financière, sont le lien essentiel entre les impératifs économiques et les exigences environnementales, capables de piloter l'entreprise dans les courants des transitions à l'oeuvre.

La lutte contre l'écoblanchiment permet aux entreprises de se réinventer, d'innover et de s'aligner sur les attentes sociétales de plus en plus transparentes en matière de durabilité. Ensemble, les responsables du développement durable et les directeurs financiers, armés d'une connaissance approfondie des questions financières et environnementales, sont à l'avant-garde de cette transition vers un avenir où coexistent réussite économique et responsabilité écologique, marquant le début d'une nouvelle ère de prospérité durable et partagée. N'oublions pas qu'une pratique classique d'écoblanchiment sera classée dans le marché des notations ESG comme une controverse. Les investisseurs utilisent la recherche sur les controverses pour éclairer leurs décisions d'investissement, y compris la sélection et l'engagement, et pour gérer les risques de réputation.

Leadership financier : clé de voûte de la durabilité

Les directions financières ont une place à prendre comme garants de la conformité et de la performance financière, mais aussi comme catalyseurs d'une dynamique de changement durable au sein de leur organisation ; une transformation qui ne doit pas uniquement s'appuyer sur le respect des attentes réglementaires en matière de durabilité, mais aussi sur l'écoute des signaux faibles ou forts qui permettent de devancer les attentes et les exigences.

Le greenwashing, loin d'être un simple défi de communication, doit désormais être reconnu pour ce qu'il est : un risque financier et stratégique majeur pour les entreprises, leurs partenaires et leurs salariés. Face à ce défi, les organisations, guidées par une gouvernance éclairée et formée, ont l'opportunité de redéfinir leur place dans un monde en mutation, en adoptant des pratiques qui non seulement préservent l'environnement, mais renforcent leur position sur le marché. Les directeurs financiers, nouveaux gardiens de la durabilité ? Ils ont en tout cas un rôle crucial à jouer dans ce processus de transformation, marquant le passage vers une ère où l'intégrité environnementale et la prospérité économique marchent main dans la main vers un avenir durable.


(1) Étude publiée par l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) fin 2023 : entre 2020 et 2021, il concerne 32 % de l'indice STOXX 600.

(2) Le « socialwashing » (ou blanchiment social) est une stratégie de communication utilisée par les organisations pour promouvoir leurs engagements sociaux ou leurs actions en faveur de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), souvent de manière exagérée ou trompeuse, dans le but de masquer des pratiques commerciales ou environnementales moins éthiques.

(3) Le « bluewashing » est un procédé de greenwashing appliqué aux sujets portant sur le domaine des mers et des océans.





Brice Javaux, associé KPMG en France et Maria Juliana Ortiz, senior manager, membres du Centre d'excellence ESG de KPMG en France.

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