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« Le capital humain est ce qu'il y a de plus puissant pour une entreprise » Karine Havas, SVP finance et CFO France et Afrique chez Bureau Veritas

Habituée des grands groupes internationaux, Karine Havas a trouvé chez Bureau Veritas la liberté d'action qu'elle cherchait pour mettre en place des projets pour l'entreprise autant que pour ses équipes.

Publié par Camille George le | Mis à jour le
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« Le capital humain est ce qu'il y a de plus puissant pour une entreprise » Karine Havas, SVP finance et CFO France et Afrique chez Bureau Veritas
© Eric Megret

>Décrivez-nous rapidement votre parcours et votre arrivée chez Bureau Veritas

J'ai rejoint Bureau Veritas fin 2021 en tant que SVP finance CFO sur le périmètre France, Afrique et services au gouvernement. Si le marché français est le marché historique de Bureau Veritas, le marché africain est très différent. Il est donc très intéressant d'avoir ces deux périmètres, qui peuvent être complémentaires à certains égards.

Avant de rejoindre Bureau Veritas, j'étais CFO general manager d'Ikea France. Groupe au sein duquel j'ai évolué pendant quatre ans avec un périmètre plus vaste que la finance, puisque que je couvrais les services IT, achats, sécurité, compliance et juridique en plus de la finance et du contrôle de gestion sur les filiales retail, logistique, immobilier et éoliennes. En plus de l'étendue du périmètre, la période était intéressante, puisque j'ai intégré Ikea en 2018, dans un contexte de refonte du secteur sur fond de Covid. Pendant ces quatre ans, nous avons opéré la transformation d'Ikea sur la partie livraison, e-commerce, digitalisation avec, en parallèle, la transformation de la fonction finance pour accompagner ces changements.

Auparavant, j'ai fait partie du groupe Stellantis pendant 12 ans. J'ai commencé dans les opérations au sein de l'activité logistique chez Gefco, qui était la filiale logistique historique de la famille Peugeot. J'ai occupé différents postes à l'étranger en Angleterre, en Espagne et en France, au siège, où j'ai terminé mon aventure avec Gefco en tant que directrice de groupe responsable de la performance et du contrôle de gestion avec un gros projet de transformation du business model et de la fonction finance qui m'a occupée les trois dernières années.

>Donc un profil assez international, grands groupes et très marqué transformation...

Oui, même si je n'ai pas cette casquette au départ, la casquette vient à moi en général. Il faut dire que j'ai une appétence particulière pour tout ce qui est nouveau et j'aime challenger les statu quo par des projets transformationnels. Ce qui me plaît, c'est d'avoir pu travailler dans trois univers, trois secteurs différents : la logistique dans l'industrie automobile, le retail et maintenant le service. Trois environnements très différents et particulièrement enrichissants. Cela permet de voir ce que l'on peut dupliquer dans des secteurs où ce n'est pas forcément les standards de l'activité. Par exemple, l'e-commerce dans le service est en train d'être mis en place chez Bureau Veritas. Au niveau de la finance, c'est intéressant aussi, car les dynamiques et problématiques, en matière de pilotage de la performance, sont spécifiques à chaque secteur et il est intéressant d'avoir d'autres références que celles, ­spécifiques, du secteur au sein duquel on opère.

>Justement, si vous comparez vos expériences entre Ikea et Bureau Veritas, quelles sont les différences en matière de pilotage et de business model ?

C'est totalement différent dans la mesure où, chez Ikea, on vend des produits et, chez Bureau Veritas, on vend notre expertise. Le business model est aux antipodes, même si l'on peut trouver des similitudes sur les aspects régaliens au niveau des achats, de la gestion de l'immobilier, de la finance normative et des enjeux RSE. Tous ces domaines sont assez proches en ce qui concerne la gestion.

La grosse différence se trouve au niveau de la gestion du cash et des CAPEX. Un retailer fait rentrer du cash dès qu'une vente est effectuée, ce qui n'est pas le cas dans le service BtoB. Et bien sûr, la gestion de l'humain est essentielle dans les deux cas. Chez Bureau Veritas, notre unique asset est l'humain et chez Ikea, où pourtant on vend des meubles, ce qui fait la différence in fine, c'est l'humain. Chez Ikea, j'avais un scop de 12 000 personnes pour l'activité française et chez Bureau Veritas, l'activité France et Afrique représente également un scop de 12 000 person­nes. Donc, finalement, le nombre de nos collaborateurs et l'impor­tance de ces collaborateurs sont les mêmes. La façon dont on doit impliquer, motiver, inspirer les collaborateurs est assez similaire avec une marque forte dans les deux cas.

>Qu'est-ce qui vous a attiré chez Bureau Veritas ?

Bureau Veritas est une entreprise qui a presque 200 ans d'existence, 82 000 collaborateurs à travers le monde, 5,6 milliards de chiffre d'affaires et c'est surtout une entreprise qui m'a attirée en raison de son rôle passionnant au sein de la société. C'est l'intermédiaire, le tiers de confiance entre les consommateurs, les entreprises privées et les institutions. Bureau Veritas est une entreprise business to business to society (BtoBtoS) qui contribue à transformer le monde dans lequel nous vivons, et c'est ce qui est passionnant puisqu'on contribue à améliorer la confiance dans nos sociétés. Confiance dont nous avons tous de plus en plus besoin.

Bureau Veritas porte des valeurs très fortes qui me parlent et qui sont très importantes pour les collaborateurs, parce que cela signifie les vivre au quotidien, avec ce sentiment de contribuer à une meilleure société. Cela va au-delà même d'une meilleure planète puisque, finalement, on accroît énormément notre rôle dans tous les domaines ESG, que ce soit à travers les services green line que l'on propose ou en accompagnant les entreprises pour définir leur stratégie RSE, la mettre en place et, au-delà, dans le domaine de la certification, comme le bio par exemple où Bureau Veritas certifie plus de 30 % du marché.

>Justement, où en êtes-vous en matière de suivi et de pilotage extra-financier ?

Désormais, la question n'est plus de savoir si l'on y va ou pas, mais bien de savoir comment. L'aspect réglementaire est important, mais reste à clarifier, et en même temps, il y a l'aspect interne qui joue énormément, à mon sens. Cela dépend de la volonté réelle des entreprises à avoir un impact réellement positif sur la société.

Chez Bureau Veritas, c'est notre coeur de métier, donc c'est encore plus présent et prégnant. Cette volonté, nous l'avons dans tous les domaines : auprès de nos collaborateurs, dans les produits et services que l'on offre à nos clients. C'est l'une des particularités de Bureau Veritas, c'est présent dans tout ce que nous faisons. D'ailleurs, nous avons une façon de gérer et d'exécuter notre vision qui s'appelle la V2MOM pour vision valeurs, méthodes, opérations et mesure. Nous avons sept méthodes, dont l'une d'elles est totalement dédiée aux actions RSE, ce qui permet à l'ensemble des collaborateurs de s'engager et d'agir en roulant électrique, en coachant une personne en situation de handicap, en participant à une course solidaire ou en organisant un événement pour la planète. C'est donc inscrit dans notre stratégie et, surtout, c'est concret.

>Quelles sont les autres méthodes et comment les mettez-vous en pratique ?

Outre, donc, la méthode RSE, les autres méthodes sont : la sécurité, les clients, l'équipe gagnante, l'excellence opérationnelle, l'innovation, les fonctions support, donc comment servir nos clients internes. Nous pilotons toutes nos équipes avec cette méthode de la granularité la plus fine, c'est-à-dire chaque collaborateur, jusqu'à nourrir le plan stratégique de l'entreprise avec ces sept méthodes. Chaque direction pilote ses équipes avec cette approche. J'ai ma V2MOM finance et dans celle-ci, je décline les sept méthodes. Par exemple, dans la méthode 1 sur la sécurité, j'ai des projets liés aux enjeux de cybersécurité. Tous mes plans d'action doivent inclure des actions permettant de répondre à ces enjeux et chaque action est définie de la manière la plus fine. Chacun s'inscrit en parallèle de son running business sur des projets qu'il choisit en fonction de son appétence, de sa technicité, de son expertise. Par exemple, pour répondre à la méthode 3, je vais avoir des ambassadeurs de la convivialité, on va définir des plans de carrière, etc. En fonction de chaque méthode, j'ai des projets sur lesquels les collaborateurs finance s'inscrivent. Certains projets peuvent être transversaux avec d'autres équipes, l'IT souvent, dans notre cas, ou les RH, notamment sur la méthode 3. Voilà comment nous réalisons nos enjeux RSE.

>Comment la direction financière est-elle structurée chez Bureau Veritas

Il y a une direction financière du groupe, bien sûr, qui est gérée par François Chabas, puis nous sommes organisés par régions géographiques. Ce qui est agréable et appréciable chez Bureau Vertias, c'est que cette grande entreprise a su garder, malgré sa taille, une approche décentralisée. C'est-à-dire que c'est une organisation qui a grandi en conservant une certaine liberté vis-à-vis des marchés, ce qui est assez rare dans les entreprises qui ont un impact global. Concrètement, nous avons la liberté sur le choix des outils. Évidemment, il y a des guide line en matière de contrôle interne, comme dans toute entreprise, c'est normal, mais nous avons la liberté d'être maîtres de notre P&L et de pouvoir identifier nos sources de gains et de croissance. À partir du moment où on l'intègre au budget et où on le défend, nous sommes libres de mettre en place notre stratégie. C'est la première fois que j'ai autant de liberté à l'échelle d'un operating group. En ce qui concerne les effectifs, nous sommes environ 300 personnes en finance pour couvrir le périmètre France et Afrique. En Afrique, nous sommes présents dans 35 pays.

>Comment pilote-t-on une activité si décentralisée ?

J'ai la chance d'avoir des managers relais solides qui gèrent certains périmètres (par exemple Afrique, filiales...). Et nous avons des process de contrôle interne, tax, contrôle de gestion centralisés. Il faut bien comprendre que les enjeux ne sont pas du tout les mêmes entre l'Afrique et la France. On a presque deux entreprises différentes culturellement. En matière de business, en Afrique, nous travaillons beaucoup pour de gros clients, alors qu'en France, nous avons plus d'activités avec plus de mass market. Au niveau de l'activité, nous avons très peu de certifications en Afrique alors que nous sommes très présents sur ce marché en France.

>Quels sont les grands enjeux pour la finance chez Bureau Veritas ?

J'ai les mêmes grands enjeux que tous mes collègues financiers en ce moment, qui peuvent se résumer à l'intégration et la digitalisation des reportings extra-financiers. C'est l'enjeu majeur que nous avons tous. Ensuite, spécifiquement chez Bureau Veritas, il y a l'enjeu des ressources, des compétences et de la capacité à capter les talents et à les fidéliser. C'est vrai en finance, mais c'est particulièrement prégnant dans une entreprise de services qui a autant de collaborateurs avec un marché du travail très tendu en France, mais aussi à l'inter­national. Avant, il était possible de sourcer des ressources dans d'autres pays, mais c'est de moins en moins vrai.

Au niveau franco-français à court terme, nous avons un sujet sur la facturation électronique. C'est un enjeu dans un groupe international décentralisé comme le nôtre. Ce projet n'est pas piloté par le groupe mais par la direction financière France, et va nous occuper sur les deux prochaines années. J'ai la chance d'avoir un CSP en France, nous sommes donc déjà plutôt digitalisés.

Plus largement, mon gros projet est la digitalisation. Petit à petit (contrairement à ce que j'ai fait par le passé), j'intègre progressivement de nouveaux outils et de nouveaux process. C'est l'une des caractéristiques d'une entreprise très décentralisée, vous êtes libre sur le choix des outils, mais les budgets sont eux aussi décentralisés, donc réduits. Par conséquent, il n'est pas question de mener un grand projet de transformation digitale global, mais d'avancer step by step. Je mets petit à petit de la RPA, de l'IA, je regarde ce que je peux faire sur le P2P et le process mining. J'ai beaucoup de chantiers en cours. Certains projets sont également menés au niveau du groupe, c'est le cas notamment pour l'outil d'EPM, par exemple. Nous avons également au niveau du groupe un projet de scenario planning, parce qu'on le voit bien, il faut être de plus en plus agile et prédictif, ce qui demande de s'équiper correctement. C'est un incontournable désormais.

>Quel est l'outil le plus avancé ou le plus efficace actuellement ?

Nous avons un outil de BI qu'on utilise très bien, qui nous sert à piloter l'activité et - c'est une grande fierté - qui n'est pas utilisé uniquement par la finance, mais par tous les opérationnels avec une granularité très fine. Nous mettons à disposition la data au niveau des opérationnels. Nous travaillons avec eux pour développer les reports et l'analyse de la data. C'est une vraie valeur ajoutée pour Bureau Veritas. On embarque les opérationnels, nous leur mettons tout à disposition de façon à ce qu'ils soient autonomes vis-à-vis de la gestion de leur P&L.

Par exemple, pour lutter contre l'inflation, nous avons mis en place le suivi du pricing de façon à nous assurer qu'aussi bien au moment de l'appel d'offres qu'au moment de la production, jusqu'à l'apparition dans le P&L, le prix auquel nous vendons est bien celui que l'on retrouve dans notre marge. Mis à disposition des opérationnels, cet outil est très puissant. Si, cette année, nous avons de bons résultats malgré une inflation galopante, c'est parce que nous avons réussi à mettre cela en place l'année dernière en collaboration avec les opérationnels, ainsi qu'avec l'IT.

Nous avons donc de belles réalisations, mais il faut aller encore un peu plus loin dans notre capacité à prévoir dans un pas de temps très court, idéalement toutes les semaines. Actuellement, nous avons des reforecasts tous les 15 jours sans outil dédié, donc la prochaine étape sera de trouver le bon moyen de fiabiliser et industrialiser notre capacité de prédiction. Ça, c'est le gros chantier de l'année prochaine, qui va demander de travailler main dans la main avec le groupe, car nous avons tous les mêmes besoins sur ce sujet.

>En fonction des projets, vous avancez soit seule soit avec le groupe. Est-ce la clé pour garder de l'agilité dans un grand groupe ?

C'est en effet l'une des forces du groupe. Soit on part sur un projet avec la puissance du groupe, ce qui est certes plus long, mais aussi plus ambitieux dès le départ, soit on part en pilote pour le groupe et ce sera dupliqué ou non. Cette façon de fonctionner est assez agile et stimulante. Ensemble, on est plus puissant, on obtient de meilleures conditions, on peut faire des économies d'échelle, etc. Mais seul, on va plus vite, on peut tester à petite échelle. Par exemple, j'ai des projets au niveau du recouvrement du cash. Pour ce sujet-là, je vais partir seule en pilote, car à l'échelle du groupe, nous n'avons pas tous les mêmes problématiques et il ne serait pas intéressant de déployer les mêmes outils dans des pays qui font peut-être dix fois moins de mass market que la France. Cette façon de fonctionner est intéressante et intelligente. Et pour un CFO, c'est très appréciable.

>Qu'aimeriez-vous mettre en place en ce qui concerne la gestion du cash ?

En France, en matière d'O2C (order to cash), nous sommes plutôt performants, mais pour passer à l'étape suivante, il faut automatiser et adapter nos pratiques à nos clients. Et lorsque vous avez plus de 400 000 clients, si vous n'êtes pas outillé, c'est compliqué. Je suis actuellement en train de réfléchir pour créer des synergies entre la France et l'Afrique, parce que nous avons des équipes au Maroc, en Côte d'Ivoire et en France. De la même façon, nous avons des CSP en France, en Côte d'Ivoire, en Afrique du Sud et en Inde. L'objectif est donc de regarder comment utiliser les forces et les best practices de chacun pour s'améliorer globalement. Là, on peut faire jouer la puissance du collectif et de la diversité. J'utilise le CSP en Inde pour toutes les tâches automatisables à faible valeur ajoutée, ce qui nous permet de faire de la data factory. Cela me permet de réduire mes coûts et de concentrer les gens en France notamment sur des tâches à plus haute valeur ajoutée.

>Quel est le rôle de la fonction finance selon vous ?

Dans un contexte de crises successives, d'inflation, de tensions sur les marchés financiers, les six prochains mois seront clés, mais globalement, ma conviction concernant le rôle d'une direction financière est assez simple et se résume au travers de trois points majeurs à développer de façon synchrone. Il faut tout à la fois favoriser une croissance rentable et durable, notamment en identifiant et menant à bien les opportunités de développement commercial durable de premier plan. Il faut aussi maîtriser le besoin en fonds de roulement et optimiser les coûts, c'est encore plus important en période d'inflation, afin de s'adapter à l'évolution du modèle économique de l'entreprise pour permettre un pilotage au plus proche de la réalité. Enfin, il faut investir pour se transformer, au-delà de la fonction finance même, pour soutenir la croissance durable, car un bon business est un business sain.

>Un conseil pour un jeune Daf qui débute ?

Construire la meilleure équipe, la plus diversifiée possible avec des gens « biens », c'est-à-dire de belles personnes, curieuses, qui ont envie de collaborer, de se développer, de faire grandir les autres et pas seulement composée d'experts, profils pour autant indispensables au bon fonctionnement de cette équipe. Si vous avez cela, tout sera possible.

Bureau Veritas

Activité : TIC testing, inspection and certification

Forme juridique : cotée sur Euronext

Siège social : Puteaux (92)

P-DG : Didier Michaud-Daniel

Effectifs : 26 000 dans le monde

CA 2022 : 5,6 milliards d'euros


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