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Daf dans une entreprise cotée, ça change quoi ?

Cours de l'action en Bourse à surveiller, surcharge de travail créée par les nouvelles obligations réglementaires et juridiques mais aussi mission parfois plus valorisante, le rôle de directeur financier dans une entreprise cotée présente de nombreuses singularités.

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Daf dans une entreprise cotée, ça change quoi ?
© Africa Studio - stock.adobe.com

" L'IPO n'est que le début de l'aventure pour un directeur financier d'une société cotée. La vie d'après est radicalement différente de celle d'avant. " Thierry Lambert, aujourd'hui CFO pour la Biotech Theranexus spécialisée dans les médicaments pour le système nerveux central (Alzheimer, Parkinson etc), en sait quelque chose. Après un début de carrière chez PwC, il a enchaîné les missions dans des entreprises cotées : Naturex pendant six ans puis Safe Orthopaedics les deux années suivantes. Dernière en date, Theranexus donc. Arrivé officiellement dans l'entreprise en septembre 2017, - mais pilotant les préparatifs de l'IPO depuis juillet-, il a finalisé l'introduction en Bourse un mois plus tard. Pour lui, l'un des plus gros changements concerne la nécessité de fiabiliser toute la production financière.

Une pression forte sur la production financière

" Il est indispensable d'avoir à tout moment une vision claire de la situation de l'entreprise car nous devons toujours avoir la capacité de répondre aux questions des investisseurs et analystes ", explique-t-il. Chez Theranexus, cette fiabilisation s'est traduite notamment par le recrutement d'un comptable et la montée en puissance des contrôles internes. " Les formalités juridiques, financières et réglementaires sont très importantes, cela peut parfois présenter un aspect pesant. " Notamment lorsque le moindre faux-pas, la moindre information divulguée à tort peut avoir des conséquences graves.

Même constat pour Olivier Bani, directeur financier chez Mare Nostrum, groupe isérois spécialisé dans les ressources humaines (300 salariés, CA 2019 : 165 M€). Il a été recruté pour une IPO validée en décembre 2019. " La fiabilisation des informations est indispensable sur l'ensemble de la chaîne afin de répondre aux normes édictées par l'AMF : de la production au contrôle, en passant par la fiabilisation des relations avec l'expert-comptable, le conseil juridique etc. " Il pointe aussi l'augmentation significative de ladite production avec des reportings beaucoup plus fréquents et des clôtures plus cadencées. " Les délais de publication sont fixés par l'AMF, nous ne pouvons pas faire autrement que de nous y tenir. Quel que soit le problème qu'on peut rencontrer en interne. Cela nécessite une rigueur à toute épreuve. " La transformation a exigé un travail conséquent et demandera encore 12 à 24 mois d'investissement humain sur ce sujet. Mais pour lui, si cette rigueur représente une contrainte et une pression permanentes, elle est aussi une formidable opportunité de faire progresser l'entreprise.

Laurent-Emmanuel Migeon, directeur général délégué en charge notamment des finances pour Bio-UV (CA 2019 : 20 M€, 115 salariés, traitement de l'eau et des surfaces par ultraviolets), cotée depuis juillet 2018, y voit lui aussi des avantages. " Avec cette fiabilisation obligatoire des données, il n'existe aucune place pour l'incertitude. Nous maitrisons bien mieux les éléments de l'entreprise, c'est un avantage certain pour son pilotage ". Il va plus loin : " Ces obligations nous permettent d'être en avance, en termes de suivi de performance, d'IT, de contrôle, sur les autres entreprises de notre envergure, non cotées. C'est une grande richesse car elle nous place en tête de peloton avec des outils de pointe ". Dans ses échanges avec les autres parties prenantes de l'entreprise, les banques par exemple, ou même les candidats au recrutement, il dispose ainsi de l'ensemble des informations nécessaires. En permanence, et sans erreur possible. Dans un sourire, il confie par ailleurs ne pas être vraiment dérangé par le calendrier boursier : " nous sommes un peu dans un sprint permanent, avec sa dose d'adrénaline ". Laurent-Emmanuel Migeon évoque aussi l'intérêt d'être coté pour le management de ses équipes finance : " La pression du timing est indiscutable. En revanche, les équipes sont heureuses de sortir des états financiers suffisamment rigoureux et précis pour être validés par l'AMF. Pour moi, il est évidemment plus intéressant de coacher une équipe motivée et valorisée ! "

Un rôle valorisant, source de motivation, pour le directeur financier

En entrant en Bourse, le dirigeant de l'entreprise accepte implicitement le renforcement de la position de son directeur financier. Une entreprise cotée ne pourrait en effet pas fonctionner sans cette pièce maitresse. " Les enjeux d'une entreprise cotée sont tellement importants que le CEO est forcément proche de son CFO. Ce dernier se retrouve naturellement en position de copilote, au plus près des décisions stratégiques ", analyse Gautier Riche, associé au sein du Département Finance Transformation de Deloitte. " Son rôle se renforce, pendant, mais aussi après l'introduction sur les marchés ".

Car c'est sur lui que repose notamment toute la communication financière, un point névralgique pouvant faire basculer une entreprise introduite en Bourse du bon ou du mauvais côté de la route. " La communication financière est un exercice de style très stimulant ", convient Mathieu Baiardi, directeur financier de l'entreprise Abeo, conceptrice et fabricante d'équipements de sports (1670 salariés, CA 2019 : 236 millions d'euros). Sylvain Navarro, CFO de Drone Volt (CA 2019 : 7,1 M€) depuis mai 2018 après avoir passé 20 ans comme broker sur le marché actions, confirme. " Cet exercice nous oblige à nous remettre en cause en permanence en répondant à des questions pas toujours très agréables des actionnaires, des analystes et des journalistes. Intellectuellement, ce challenge est épanouissant, il nous permet d'acquérir de nombreuses compétences complémentaires. Dans la même heure, nous pouvons être amenés à répondre aussi bien à des investisseurs aguerris qu'à des investisseurs individuels débutants. Dans les deux cas, il faut être capable de leur apporter le bon niveau de réponse ".

Marc Guezou, Daf de Freelance.com (147 salariés, 237 millions de CA) poursuit : " Nous sommes des acteurs majeurs de la communication à l'extérieur. Nous portons le business et la performance. La communication financière est un métier qui n'existe pas, pour le Daf, dans les entreprises non cotées. Ailleurs, elle relève plutôt du directeur général. C'est donc extrêmement valorisant pour nous ! Cette communication financière redonne ses lettres de noblesse au métier, en interne. Nous sommes renforcés dans nos missions, nous participons beaucoup plus à l'élaboration de la stratégie de l'entreprise du fait même de cette mission de communication financière qui nous incombe. Le directeur financier devient aussi le premier commercial de son entreprise. " Un sentiment partagé par Sylvain Navarro de Drône Volt : " le directeur financier est parfois assimilé, à tort, par les équipes opérationnelles, à un directeur comptable seulement obsédé par la fiabilité de ses chiffres. Il faut que les chiffres soient exacts, évidemment, mais la communication financière donne une autre envergure à la fonction. "

Une autre envergure en termes d'image donc mais pas que ! La communication financière fait appel à des talents pas toujours exploités dans les entreprises non cotées. " C'est un sujet parfois nouveau pour les Daf de sociétés qui deviennent cotées. Cela requiert des compétences pour lesquelles ils n'ont pas forcément été formés. Souvenons-nous qu'en France, en particulier, les directeurs financiers sont souvent issus de filières d'expertise et ne sont pas toujours rompus à l'exercice de la communication. Ces financiers au profil " expert " doivent donc franchir une double haie pour réussir dans cette mission. Pour certains, c'est difficile ", commente Gautier Riche, l'expert de Deloitte.

Un cours à surveiller (de près ou de loin)

Autre changement majeur dans la nouvelle vie cotée d'un Daf : l'arrivée d'un nouveau paramètre à surveiller, le cours de la Bourse. Certains l'observent plusieurs fois par jour, d'autres se contentent d'un reporting quotidien, voire, selon les périodes de l'année, d'une consultation hebdomadaire. " Lors de leurs premières prises de fonction dans une société cotée, le quotidien des directeurs financiers est souvent influencé par le cours de la Bourse. C'est humain, et incontournable, mais il faut être conscient que les microévolutions du cours ne sont pas toujours signifiantes. Il faut du sang-froid pour savoir détecter une alerte sans s'affoler à la moindre baisse ! " souligne Gautier Riche.

Olivier Bani de Mare Nostrum affirme vérifier le cours une fois par jour, à la clôture de la séance. Mais incite les membres de son comité de direction à le regarder beaucoup moins fréquemment. " Le cours de la Bourse peut être une source de stress extrêmement importante, qui n'existe pas dans une entreprise non cotée. Il faut savoir prendre du recul et l'analyser comme un simple indicateur. " Mathieu Baiardi, directeur financier d'Abeo, explique pointer ce taux environ deux fois par semaine. " Il est vrai que le cours installe une pression indéniable. D'autant que notre communication financière a évidemment un impact sur sa fluctuation. Mais dans mon rôle de directeur financier, je commente les résultats et les explicite. En revanche, ce n'est pas moi qui les détermine. " Thierry Lambert, de Theranexus, reconnait, lui, vérifier le cours de l'action plusieurs fois par jour. Moins par inquiétude d'un quelconque affaissement que pour être parfaitement au point si une question d'un actionnaire se présentait. " Le cours de l'action peut effectivement être une source de stress mais il ne faut pas que cela devienne une obsession car de toute façon, même si vous constatez un mouvement désagréable, vous n'y pouvez rien à court terme. "

Quoi qu'il en soit, obsession ou pas, le cours de l'action reste l'un des paramètres majeurs différenciant un Daf d'une entreprise cotée, d'un Daf d'une entreprise non cotée.






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