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L'IA en direction financière : du buzz et des réserves

Dans un contexte marqué par les incertitudes, les directions financières s'intéressent à l'intelligence artificielle, attirées par ses promesses, notamment en termes de calculs complexes et de prévisions. Un intérêt qui, pour rentrer dans les pratiques, suppose que se lèvent des réserves sur le déploiement et l'impact de ces technologies, comme le soulignent les échanges lors d'un débat organisé par l'éditeur BlackLine.

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L'IA en direction financière : du buzz et des réserves

« Il y a deux ou trois ans, nous percevions en direction financière une curiosité pour l'intelligence artificielle, même si pour nos clients, cela restait un peu de la science-fiction, rappelle David Merignargues, partner advisory chez KPMG France, lors d'un débat organisé début février à Paris par l'éditeur de logiciels BlackLine. Puis ChatGPT a gagné son premier million d'utilisateurs en cinq jours, là où Facebook avait mis deux ans pour atteindre ce seuil. Et en même temps qu'elle entrait dans les foyers, l'IA est venue au coeur des échanges professionnels. Aujourd'hui, pas un client ne vient nous voir sans vouloir mettre le sujet sur la table. » Dans la sphère professionnelle aussi, l'IA fait le buzz. Et remet le sujet en haut de la pile en direction financière, là où pourtant les fonctionnalités de machine learning, utilisant l'IA traditionnelle, ont jusqu'à présent été peu activées.

L'étude menée en août dernier par BlackLine, avec Censuswide, auprès de 1 339 cadres en finance d'entreprise, dont 152 dans l'Hexagone, et dans des sociétés réalisant au moins 20 millions d'euros de chiffre d'affaires, ne dit pas autre chose. Pour faire face aux événements imprévus, les professionnels interrogés en France identifient dans leur métier l'agilité et l'adaptabilité (32 %), la compréhension et l'analyse des données financières (33 %), et à égale importance (31 %), la capacité à utiliser de nouvelles technologies et logiciels, IA générative (à 69 %) et autres IA (à 64 %) en tête. Des attentes révélatrices des besoins prévisionnels des directions financières, a fortiori dans un contexte de crises récurrentes, et plurielles. Changement climatique, pandémie, catastrophes humanitaires, donne géopolitique, mais aussi situation financière mondiale et risques liés à la cybersécurité, sont tous cités par au moins sept professionnels sur dix, comme susceptibles de déboucher sur une crise dans les trois prochaines années.

« Pain points »

« L'ennui, c'est qu'en face de besoins accrus, les Daf relaient d'abord leurs difficultés à staffer, explique Samuel Rouayrenc, vice-président régional de BlackLine France. Nous le voyons dans les professions comptables, confrontées à une pénurie de profils, comme d'autres. L'enjeu de rétention est majeur sur ces métiers, ce que confirment les "pain points" identifiés dans l'étude par les Daf. » 62 % d'entre eux partagent ainsi le constat d'une difficulté à résoudre des calculs comptables complexes en raison du manque d'experts techniques... entre autres. Plus de six Daf interrogés sur dix (64 %) déplorent les erreurs liées aux tâches répétitives, minant la prise de décision, ces mêmes tâches grignotant le temps disponible pour l'analyse et la prévision financière.

Un plaidoyer, peut-être, pour plus d'automatisation, et plus d'IA, dans les process, les prévisions. Sauf qu'ici aussi la pénurie de profils se fait sentir : 30 % des professionnels interrogés estiment d'ailleurs que le manque de compétences sur le sujet est un obstacle au déploiement des technologies utilisant l'IA en direction financière. Qui intéressent autant qu'elles inquiètent : 34 % des Daf redoutent l'impact de leur déploiement en termes de suppression d'emplois, comme de potentielle utilisation frauduleuse. « Il ne faut pas perdre de vue non plus la dimension générationnelle de cette transformation, souligne Marie-Hélène Pebayle, présidente de la DFCG (association des directeurs financiers et de contrôle de gestion), 3 100 adhérents. De façon générale, les Daf en France n'ont pas 25 ans, sont le plus souvent issus d'un cursus d'ESC, et non d'école d'ingénieur. Ce n'est pas natif pour eux d'intégrer l'IA à des cas d'usage. L'autre sujet, c'est celui des ressources en entreprise disponibles pour avancer sur cette transformation. L'intégration de l'IA aux pratiques en est encore au stade de développement en direction financière, menée exclusivement par les grands groupes. »

Un déploiement de l'IA à deux vitesses ?

Précurseurs, certains d'entre eux n'ont pas hésité à mettre en place des équipes dédiées sur le sujet. Une forme d'exception. Dans une grande majorité d'entreprises, à commencer par les PME et ETI, les investissements vont là où le ROI reste le plus immédiat et élevé, profitant d'abord aux directions commerciales, techniques, et moins aux directions financières, sous pression de coûts. Près de quatre Daf sur dix (39 %) interrogés en France anticipent d'ailleurs un accès inégalitaire à l'IA, en raison des ressources disponibles. « Même dans les très gros groupes, ces évolutions se travaillent par priorité, relativise Samuel Rouayrenc, de BlackLine. Sur le fond néanmoins, les technologies utilisant l'IA vont arriver en finance dans les PME et les ETI. Les Daf prennent un rôle de plus en plus central dans les entreprises, sur l'accompagnement stratégique de la direction générale. Ils sont aussi souvent responsables des systèmes d'information, facilitant d'autant la compréhension de la valeur ajoutée apportée par ces outils. Ce sont de vrais atouts pour parvenir à orienter les futurs investissements vers l'IA. »

La confiance dans les données financières, au centre du jeu ?

34 % des Daf interrogés par BlackLine en France expriment leurs doutes quant à la fiabilité des données délivrées par les outils embarquant l'IA. Une question de confiance qui, apparemment, dépasse le sujet technologique : 51 % des personnes interrogées en France disent ne pas avoir une confiance totale dans l'exactitude de leurs données financières, contre 36 % en Allemagne, et 34 % aux États-Unis. Une exception française, qui doit être cependant relativisée : « Sur le fond, il est assez sain qu'un Daf ne soit pas totalement confiant sur ses prévisions, dans un climat aussi incertain que celui où évoluent actuellement les entreprises, remarque Anne-Claude Tessier, associée chez KPMG France. Néanmoins, quand on regarde plus précisément le panel retenu en France pour l'étude, on peut voir qu'il porte majoritairement sur les Daf, mais aussi sur d'autres fonctions, CEO, directions commerciales, marketing. Sur un strict périmètre Daf, on passe à 80 % de totale confiance dans l'exactitude des données financières. » Soit un écart avec le résultat moyenné, révélateur cette fois du travail de conviction et de communication encore à mener par les Daf auprès notamment de leur direction générale. Un sujet au coeur de la notion de business partnership.

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