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Le statut collectif des salariés après la reprise d'un fonds de commerce ou les dangers de la réincarnation

Publié par Jean-marie Léger le

Si nul n'ignore désormais que la reprise d'un fonds de commerce s'accompagne de la poursuite des contrats de travail des salariés qui y sont attachés, la gestion de leur statut collectif, en revanche, n'est pas toujours appréhendée dans ses incidences à long terme.

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Si nul n’ignore désormais que la reprise d’un fonds de commerce s’accompagne de la poursuite des contrats de travail des salariés qui y sont attachés (article L1224-1 du code du travail, anciennement L122-12), la gestion de leur statut collectif, en revanche, n’est pas toujours appréhendée dans ses incidences à long terme.

Il est vrai que les règles applicables en la matière ne lèvent pas toutes les incertitudes.

Le statut collectif, c’est quoi ?

L’audit des contrats de travail et des bulletins de paie permet généralement de se faire une idée assez précise du statut individuel de chaque salarié.

La consultation de la convention collective qui leur est applicable et qui n’est pas toujours la même que celle de l’entreprise acquéreuse, complètera fort utilement le panorama. Qui plus est, on aura là un premier aperçu du statut collectif. Toutefois, ce statut ne se limite pas à la convention collective. Il englobe également les accords d’entreprise dont notamment, les accords de participation et d’intéressement ainsi que les accords « 35 heures » pour ne citer que les plus courants.

A ces accords formalisés, s’ajoutent les usages et engagements unilatéraux dont l’existence, parfois occulte, peut à terme sérieusement accroître le passif. Certes, l’acte d’acquisition comportera en principe une déclaration du vendeur garantissant l’absence d’autres usages et engagements que ceux spécifiquement révélés. Mais quid de la solvabilité du vendeur si l’usage dissimulé surgit inopinément trois ans après l’acquisition ? Mieux vaut donc une vision claire des charges du fonds à la date du rachat qu’une confiance borgne dans l’efficacité financière d’une garantie de passif.

La survie du statut collectif : provisoire…

L’article L2261-14 du code du travail, dont l’un des mérites - et ce n’est pas le moindre – est de ne pas avoir subi cette légiférite chronique qui afflige nos gouvernements successifs, nous tient à peu près ce langage : un transfert d’activité, soit, dans notre hypothèse, d’un fonds de commerce, entraîne la dénonciation du statut collectif des salariés transférés, lequel, cependant, continue de s’appliquer pendant une durée de quinze mois à compter du transfert.

Les articles L3313-3 et L3323-8 prévoient toutefois que les accords de participation et d’intéressement prennent fin immédiatement dès lors que le transfert rend impossible leur application. Cette impossibilité est fonction de la compatibilité des éléments de calcul de la réserve spéciale de participation prévus par l’accord transféré avec la situation comptable de l’activité reprise au sein de l’acquéreur. En tout état de cause, si le nouvel employeur dispose déjà d’un accord de participation, l’administration considère que l’impossibilité est de droit.

Cette survie provisoire est une bonne chose. Une transition s’impose en effet pour le bien être des salariés. Mais cette survie provisoire va quelque peu compliquer la gestion du personnel soumis à des statuts différents. Du reste, cette juxtaposition se double d’une combinaison de statuts au profit des salariés repris. Dorénavant collaborateurs de l’acquéreur, ces salariés pourront en effet se prévaloir des conventions et accords collectifs applicables chez leur nouveau patron. Pour autant, ces salariés ne pourront pas cumuler tous les avantages résultant de leurs ancien et nouveau statuts.

Entre les avantages qui auront le même objet – prime de vacances d’été, par exemple – ou la même cause – congés supplémentaires en raison de l’ancienneté -, il faudra choisir. Le principe, tel qu’énoncé par la Cour de cassation, paraît simple : « en cas de concours de conventions collectives, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d'entre eux pouvant seul être accordé » (cass. soc., 9 mars 2011, Legifrance n°09-42808).

En pratique, il faudra toutefois cheminer prudemment : tel avantage de la convention collective des salariés repris est-il ou non cumulable avec tel autre issu de la convention collective de l’entreprise ? S’ils ont le même objet ou la même cause, lequel d’entre eux est le plus favorable ? Une autre tribune serait ici nécessaire pour répondre à ses questions qui ne sont qu’accessoirement l’objet de notre présent propos.

On voit donc qu’il serait préférable d’abréger les derniers souffles d’un statut collectif destiné à, presque, disparaître.

… mais…

A ce titre, le délai de 15 mois peut être abrégé dans l'hypothèse où un accord, dit de substitution, est conclu avant l’expiration dudit délai. Cela suppose donc la négociation d'un accord d'entreprise entre la direction et les organisations syndicales soit pour l’adaptation au statut collectif nouvellement applicable soit pour l’élaboration de nouvelles stipulations. Du reste, cette négociation doit être engagée dans un délai de trois mois suivants le transfert du fonds de commerce.

Il ne s’agit là que d’une obligation de négocier, les partenaires sociaux ne pouvant être contraints d’aboutir à un accord. A ce stade, le repreneur d’ores et déjà bien occupé par sa nouvelle activité, peut avoir quelques réticences à pousser bien loin des négociations qu’il n’a engagées qu’à contrecœur. Et puis, se dit-il, dans quinze mois, et le temps passe vite, l’affaire sera réglée.

Le calcul un peu hâtif peut s’avérer pour l’avenir lourd de conséquences notamment si l’entreprise s’est enrichie d’un grand nombre de nouveaux collaborateurs et que leur statut collectif diffère passablement de celui applicable aux autres salariés.

En effet, à défaut de conclusion d’un accord de substitution avant l’expiration du délai de 15 mois, l’article L2261-14 prévoit que les salariés transférés conservent les avantages individuels qu’ils ont acquis en application du statut collectif hérité de leur précédent employeur.

Les avantages individuels acquis

Mais qu’est-ce donc qu’un avantage individuel acquis ? C’est à la jurisprudence des cours et tribunaux qu’est revenue la charge, sous la houlette parfois versatile de la Cour de cassation, de définir en pratique la notion. En premier lieu, par hypothèse, l’avantage individuel s’oppose à l’avantage … collectif, ce qui certes n’est guère éclairant, mais peut-être utile quant à la méthode, celui-ci défini donnant par défaut celui-là.

Dans un arrêt du 8 juin 2011 (Legifrance n° 09-42807), la Cour de cassation a ainsi jugé « que constitue, notamment, un avantage collectif, et non un avantage individuel acquis, celui dont le maintien est incompatible avec le respect par l'ensemble des salariés concernés de l'organisation collective du temps de travail qui leur est désormais applicable ». Il s’agissait en l’occurrence d'une pause journalière de 45 minutes considérée comme un temps de travail effectif octroyé par un accord collectif conclu dans l’entreprise cédante. Pour la Cour, l’avantage n’est pas individuel dès lors que son maintien chez l’acquéreur « était incompatible avec le respect par les salariés concernés de l'organisation collective du travail qui leur était applicable, puisque cela les conduisait à travailler 45 minutes de moins que le temps de travail fixé ».

L’avantage n’est acquis que s’il est né avant le transfert. Une indemnité de départ à la retraite n’est pas un avantage acquis de même qu’un sursalaire pour la naissance d’un enfant dès lors que l’un ne prend naissance qu’à la rupture du contrat de travail et, l’autre, lors de la survenance de cet heureux évènement. En revanche, une indemnité de treizième mois est un avantage acquis parce qu’elle est due au salarié du seul fait de l’existence de son contrat de travail.

Au-delà de quelques certitudes, la distinction entre l’avantage individuel et l’avantage collectif continue de susciter des débats et d’enrichir les colonnes des revues juridiques spécialisées.

Si le statut collectif transféré peut donc s’éteindre sans coup férir, le droit pratique pour le coup la réincarnation : les avantages individuels qui relevaient naguère du statut collectif renaissent, à l’instant même du décès, dans le statut individuel. Ces avantages s’incorporent en effet dans les contrats de travail des salariés repris. Et gare alors à l’employeur qui voudrait modifier ces contrats sans l’accord individuel de chaque intéressé !

L’accord dit de substitution présente donc l’avantage, notamment, de désamorcer des contentieux latents nés de la définition par top incertaine des avantages individuels acquis. Il peut être l’occasion d’une meilleure uniformisation des statuts des collaborateurs de l’entreprise et, partant, de l’intégration des nouveaux arrivants. Tout cela suppose naturellement de moucher quelques mèches par des clauses adéquates. Mais là, c’est encore une autre histoire …

<p>Me Jean-Marie L&eacute;ger est l&rsquo;un des fondateurs de FLP Avocats. Il intervient tant en conseil qu&rsquo;en [...]...

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