Fabrice Lacroix (Paris 2024) : « Nous avions une ligne intangible : tenir le budget »
Fabrice Lacroix a piloté les finances des Jeux Olympiques 2024, à Paris. Une mission exigeante mais exaltante. Témoignage.

Comment devient-on le directeur financier d'un événement d'une telle ampleur ?
L'opportunité s'est présentée, je l'ai saisie... Dans le détail, après une école de commerce, Sciences Po et l'ENA, j'avais travaillé au ministère des finances pendant quatre ans, sur des sujets ferroviaires. Puis, j'avais occupé différentes fonctions dans de grandes entreprises françaises, publiques pour la plupart. J'ai notamment été le DAF de Radio France, le directeur général du Grand Palais, le DGA Finance de France Télévision et le DG de l'AFP. C'est justement, à ce dernier titre que j'avais assisté à Lima à la désignation de la France pour les JO 2024. A cette occasion, on m'avait signalé qu'un directeur financier allait être recruté et qu'ils cherchaient un candidat connaissant les problématiques de structures importantes ainsi que les environnements publics/parapublics, ce qui correspondait finalement assez bien à mes compétences. Il se trouve que je suis aussi un fan de sport, j'ai joué très longtemps au rugby au niveau Fédéral. Sans compter que les JO, c'est bien plus que du sport, c'est aussi le moyen de faire rayonner tout un pays, c'est de la diplomatie etc.
Bref, j'ai postulé et j'ai eu la chance d'être retenu pour une prise de poste en avril 2018. Je faisais partie des 25 premiers salariés du COJO Paris 2024. Au plus fort, l'effectif est monté à plus de 4.300 personnes. Fin 2023, on m'a confié, en plus des Finances, la responsabilité des Ressources Humaines.
Être le DAF des Jeux Olympiques, est-ce que c'est vraiment si différent d'être le DAF d'une grande entreprise lambda?
Disons que le travail est très particulier, du fait notamment du mur du temps. Le 26 juillet 2024 à 20H24, la cérémonie devait commencer, quoi qu'il arrive. C'est rarement le cas dans d'autres organisations : si un chantier ou une usine ne peuvent être opérationnels en temps voulu, ils sont décalés. Pour un événement mondial d'une telle envergure, il est impossible de décaler le début des JO au lendemain parce que tel ou tel sujet n'est pas prêt. La pression du temps est donc considérable. La montée en puissance, au fil des années puis des mois et des semaines est également phénoménale, exponentielle. Tout cela a contribué à créer une bulle dans ma carrière, stressante mais tellement exaltante. Quel bonheur le soir de la cérémonie, quelle émotion... J'ai beaucoup pleuré, je le reconnais !
Pourtant, vous aviez un avantage par rapport à tous les spectateurs, vous connaissiez déjà le contenu de cette cérémonie...
Et bien non ! Justement, j'avais fait en sorte de me préserver la surprise. Je connaissais les tableaux financiers, les grandes lignes bien entendu mais absolument pas le détail. Mes équipes en savaient plus que moi pour beaucoup et je leur avais demandé de me dire le strict minimum. Et puis, la charge de travail était tellement intense, cette « ignorance » permettait de pas encombrer un peu plus ma bande passante.
Votre mission était sous le feu des projecteurs, sous surveillance constance de l'État afin que le budget ne dérape pas. Comment avez-vous appréhendé cette difficulté et quel bilan en tirez-vous ?
Effectivement, mon travail a été de gérer les risques et en particulier le risque financier. De manière générale, des dérives financières sont régulièrement observées à l'occasion de Jeux Olympiques, partout dans le monde, avec le règne du « quoi qu'il en coute ». En effet, cet évènement donne une telle visibilité au pays organisateur qu'il n'est pas question de ne pas réussir à produire ce qui a été annoncé.
Pour Paris 2024, Tony Estanguet avait été clair dès le départ: il avait placé dès le début l'exigence financière au même niveau que l'ambition du projet. Tout devait se faire dans le respect des contraintes financières. Cette position nette, sans jamais dévier, a eu un impact très fort sur mon travail. J'ai été intégré au coeur du projet, à la direction exécutive, au même titre que ceux qui organisaient les compétitions. Cela m'a donné non seulement une vraie légitimité mais aussi une vision globale : j'ai pu tenir les cordons de la bourse tout en sachant lâcher du lest quand c'était nécessaire. Il n'était pas question d'engager la garantie de l'État.
Le COJO a néanmoins été critiqué à de nombreuses reprises, avec des questionnements sur d'éventuelles dérives. Comment avez-vous vécu cela ?
J'ai l'habitude de cette pression puisque je suis passé par plusieurs grandes entreprises publiques. À chaque fois, nous avons répondu et montré que nous tenions notre ligne. Nous avons gardé notre sang-froid. Et le résultat est là, il est incontestable :en juin dernier, nous avons présenté un résultat positif de plus de 75 millions d'euros (qui seront reversés aux mouvements sportifs).
Est-ce que tenir la ligne financière a été si difficile ?
Le Covid a complètement désorganisé nos approvisionnements, l'inflation est passée par là et a fait grimper les factures mais nous avons géré en faisant des économies, en allant chercher des nouveaux partenaires etc.
J'avais avec moi une équipe de 350 personnes. J'ai fait en sorte d'intégrer au maximum les fonctions finance/juridique/achats, cela a permis d'optimiser nos ressources et d'être vraiment efficace. Par exemple, pour chaque site de compétition, j'ai envoyé un mini-daf, - souvent un jeune professionnel car nous n'avions pas les moyens de recruter des profils très expérimentés-, que j'ai formé en interne et à qui j'ai demandé de travailler de manière très intégrée afin de comprendre pour chaque site les enjeux finances mais aussi achats et juridiques. Certains se sont vraiment révélés. J'ai eu des juristes qui se sont avérés des contrôleurs de gestion fabuleux. Pour mes prochaines expériences professionnelles, je plaiderai pour un fonctionnement sur ce modèle.
Justement, les JO sont terminés depuis un an, que faites-vous désormais ?
Nous avons eu un dernier conseil d'administration le 17 juin dernier. Les bureaux ont été fermés 15 jours plus tard et l'essentiel des contrats de travail ont été clôturés à la même date. Pour ma part, il me restait quelques dossiers à finaliser et j'ai vraiment terminé le 30 aout dernier.
Et maintenant ?
Je travaille sur mon CV. J'ai eu quelques propositions issues du secteur privé mais j'aimerais retrouver un poste dans le public car c'est ce que je préfère.
Un directeur financier a été recruté récemment pour les JO 2030 dans les Alpes. Cela ne vous tentait pas ?
Il s'agit effectivement d'Arthur Dumontier, c'était mon adjoint... Non, cela ne m'intéressait pas de me relancer dans une autre aventure olympique. Je préfère rester sur cette belle réussite des JO2024, cette expérience a été exceptionnelle.
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