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Quand les crises obligent les Daf à rassurer leurs partenaires financiers

Dans un contexte de crises successives et de pression réglementaire, les directeurs administratifs et financiers doivent enrichir leur dialogue et créer de nouveaux binômes en interne pour rassurer et répondre aux questions de leurs investisseurs et de leurs partenaires financiers.

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Quand les crises obligent les Daf à rassurer leurs partenaires financiers

Pour les directeurs administratifs et financiers, c'est une échéance qui pourrait être redoutée. Après des mois de croissance - le chiffre d'affaires des ETI a progressé de 13,9 % en 2022 par rapport à 2021, après un recul de 6,8 % en 2020, des données publiées par la Banque de France en juin 2023 - l'activité des entreprises pourrait marquer le pas. La plupart des indicateurs relatifs à leur situation financière présentent désormais une tendance baissière, selon le 10e Baromètre Palatine-METI du financement des ETI, réalisé du 31 août au 11 septembre 2023 auprès de plus de 1 200 ETI. Ainsi, près de quatre entreprises de taille intermédiaire sur dix jugent que la situation de leur secteur d'acti­vité s'est dégradée sur un an (vs 30 % en mars) et la même proportion rapporte un carnet de commandes en berne par rapport au second semestre 2022. Une société sur cinq redoute que son chiffre d'affaires évolue à la baisse en 2024. Une tendance qui se reflète dans la situation financière des entreprises. Et si une ETI sur trois fait part d'une situation de trésorerie en dégradation, plus d'une sur quatre rapporte un endettement net total en dégradation. L'augmentation des taux d'intérêt commence aussi à se faire sentir : elle a déjà un impact sur les projets de plus de 15 % des ETI.

En clair, les difficultés conjoncturelles observées depuis 2022, liées notamment au contexte inflationniste et à la crise de l'énergie, pèsent lourd sur l'activité des ETI et pourraient avoir un impact sur les relations que les directions financières entretiennent avec leurs partenaires financiers. « Depuis la crise, les relations avec les banques, les prêteurs alternatifs (fonds de dette et marchés obligataires) et les entreprises ont évolué. Cette relation est marquée par un changement de paradigme où l'époque de l'argent facile et pas cher est révolue. Nous sommes passés de taux négatifs en janvier 2022 à plus de 4 %, ce qui n'est pas neutre en termes de coût. Le rapport de force entre un directeur administratif et financier et son prêteur n'est plus le même. On peut penser que l'accès au crédit va être un peu moins facile », estime Olivier Magnin, responsable de l'activité debt & capital advisory, qui accompagne PME et ETI dans leur stratégie de financement et leurs levées de fonds au sein du cabinet Deloitte.

Un besoin de rassurer les partenaires

D'un point de vue externe, communiquer avec ses partenaires reste un exercice délicat. « La relation entre une banque et une entreprise repose sur un rapport de force. Un prêteur va regarder la qualité du projet, la réalité sectorielle. Tant que l'entre­prise est rentable, montre qu'elle est en mesure d'honorer ses échéances et ses engagements à moyen et long termes, elle sera capable d'imposer ce qu'elle souhaite », observe Jean-Marc Tariant, dirigeant du cabinet Finance & Stratégie, spécialisé dans le financement et la reprise-cession d'entreprises.

Sur le terrain, l'information doit être précise, exhaustive et rigoureuse. « Notre discours doit être plus riche et faire preuve de beaucoup de pédagogie », confesse Brice Fournet. Ce directeur administratif et financier de 43 ans a été recruté en 2013 au sein du groupe Aegide Domitys où il a évolué jus­qu'à l'été 2023 pour accompagner et structurer la croissance de cette société, spécialisée dans les résidences services seniors. Il y a dix ans, le groupe réalisait 120 millions d'euros de chiffre d'affaires. En 2022, l'entreprise de 4 500 salariés affiche 500 millions d'euros de CA... Un changement de taille qui a nécessité une plus grande structuration et la mise en place d'une stratégie de financement afin de porter les investissements nécessaires à la construction et à la montée en charge de nouvelles résidences. « Dans les rapports avec nos partenaires financiers, nous avons pu bénéficier du soutien fort de nos actionnaires majoritaires successifs. Le fait notamment d'accueillir en 2021 à notre capital La Mondiale en tant qu'actionnaire majoritaire était clairement de nature à rassurer les partenaires financiers », explique Brice Fournet. Une bonne entente avec les banques qui nécessite toutefois d'être travaillée au quotidien. « Nous nous sommes toujours attachés à communiquer régulièrement auprès de nos partenaires financiers, à la fois parce que nous intervenons sur un marché peu connu, mais également compte tenu du contexte de crises successives (Covid, guerre en Ukraine, crise des Ehpad, crise immobilière...) qui ont pu nous impacter. Avec la volonté de bien expliquer notre activité, nos perspectives et nos enjeux stratégiques et financiers », ajoute Brice Fournet.

RSE, une nouvelle dimension

Afin de soutenir ses financements et gagner en maturité financière, le groupe est allé plus loin en sollicitant en 2022 une notation auprès d'une agence externe. Une démar­che qui se concentre sur des critères autres qu'économi­ques pour évaluer les comportements environnementaux ou sociaux des entreprises et permet notamment de donner aux investisseurs des informations sur sa capacité à assurer ses engagements à court terme. « Nous avons accepté d'avoir une note publique pour élever notre niveau de jeu vis-à-vis des partenaires et renforcer notre crédibilité », assure Brice Fournet. Cette notation a permis de lancer avec succès un programme de NEU CP, réalisé dans la foulée d'une opération de crédit syndiqué à impact de 165 millions d'euros destinés à financer le développement du groupe. Cette opération historique a notamment été l'occasion d'indexer les conditions de financement sur une trajectoire d'amélioration d'indicateurs RSE, en écho aux enjeux ESG du groupe. « Il s'agit d'une démarche vertueuse, pour l'emprunteur comme pour les prêteurs, à laquelle l'ensemble des parties prenantes attache de plus en plus d'importance. Il y a trois ans, ne pas avoir défini de tels critères n'était pas forcément discriminant. Aujour­d'hui, ça le devient », estime le directeur administratif et financier. Les critères ESG connaissent une formidable montée en puissance. En 2019, 18 % des investisseurs les prenaient en compte. En 2021, ils étaient 72 % à les intégrer à leur grille d'analyse des dossiers, selon l'enquête ESG 2021 de Natixis. La composition de l'équipe dirigeante de la société en quête de financements intéresserait particulièrement les investisseurs. Certains imposeraient même des clauses de parité aux entreprises sur lesquelles ils misent.

Ferdinand Brunet, directeur administratif et financier de la banque de nouvelle génération Memo Bank, qui ambitionne d'accompagner le développement des entreprises et accueille à son capital différents actionnaires minoritaires dont Serena Capital, BlackFin CP, Bpifrance Investissement, Daphni, Founders Future, constate depuis un an et demi une montée en puissance des critères extra-financiers et des interrogations de plus en plus pressantes au sujet de la mixité du leadership. « Avant, les questions des partenaires financiers se limitaient aux chiffres, aux grandes activités. Dorénavant, la partie RSE est beaucoup plus présente chez nos investisseurs pour qui le sujet est devenu également indispensable. Nous avons beaucoup plus de demandes concernant l'égalité hommes-femmes, par exemple, en matière de différence salariale, d'inclusion ou du nombre de femmes présentes au board. Un de nos trois investisseurs nous impose deux fois par an un reporting avec des KPI très orientés RSE, qui nous prend au moins une journée à remplir », rapporte le Daf.

Créer de nouveaux binômes

Une logique qui impose au Daf de cette start-up de 65 salariés de constituer une équipe dédiée à la data, de développer une infrastructure de reporting afin de laisser la possibilité aux fonctions opérationnelles de piloter les données RSE et de déployer leurs actions tout en maîtrisant les impacts financiers. « Nous sommes capables de sortir toutes les données, à chaque fin de mois, de remplir un tableau de 500 ou 600 lignes avec 500 ou 600 indicateurs et de partager toutes ces informations avec chaque département. Nous avons créé un fichier afin de permettre aux différents services de valider ces indicateurs. C'est une manière efficace de communiquer sur les données en interne », ajoute Ferdinand Brunet. Ce reporting extra-financier s'inscrit dans un processus d'amélioration continue et pousse la PME à mener des actions afin d'augmenter la part des femmes dans les différents services et au sein du comité de direction. « Nous avons, par exemple, organisé des sessions dans les écoles d'ingénieurs pour sensibiliser les jeunes femmes à l'importance de la tech. Les investisseurs sont regardants et reconnaissants de ces efforts. Il y a sur ce point une obligation de moyen, mais pas de résultat », rapporte le Daf.

Ces chantiers particulièrement complexes incitent les directeurs financiers à créer de nouveaux binômes. Les Daf sont de plus en plus impliqués auprès de la direction générale pour anticiper les évolutions et être en appui dans les prises de décisions. « Notre quotidien a clairement évolué. Au-delà des fonctions régaliennes de la finance, le Daf doit être un partenaire stratégique auprès de la direction générale et des instances de gouvernance. Et pour ce faire, il est indispensable de connaître parfaitement l'activité opérationnelle et sa traduction en flux économiques. D'où le besoin de nouer des relations solides avec des acteurs du terrain », confesse Brice Fournet. En nouant les bonnes relations, un Daf est ainsi capable d'anticiper le contexte de marché, de définir une bonne stratégie et de devenir un partenaire stratégique plus qu'un financier.

« Les investisseurs sont en quête de preuves »

S'il est indispensable de reconnaître que l'investissement ESG a fait l'objet d'une attention accrue ces trois dernières années, la raison en est simple, selon Lotta Marchal, responsable du développement durable au sein de l'agence de notation Ethifinance. « Les investisseurs veulent avoir une carte d'identité ESG de l'entreprise, connaître son niveau de maturité. En plus de cette analyse, les investisseurs regardent quelle est la contribution de la société à un bénéfice social et environnemental, et sont en quête de preuves en allant chercher des informations auprès des experts et des agences de notation. Du côté des banques, la réglementation et le stress test climatique sur le bilan des banques les poussent à avoir une analyse de leurs contreparties financières et extra-financières. En outre, de plus en plus de fonds d'investissement (articles 8 et 9) ou fonds à impact veulent de leur côté prouver qu'ils sont capables de reporter un vrai bénéfice de leur investissement », estime l'experte, qui accompagne les entreprises avant leur passage en Bourse.

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