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Viadeo se trace une voie... royale

La réussite de l'entreprise est à l'image de la puissance du Web: en huit ans, Viadeo a conquis 45 millions de professionnels dans le monde. Si le réseau permet à ses membres de se faire connaître et d'être visibles, l'entreprise, elle, privilégie la confidentialité pour son business.

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Pour ceux qui l'ignorent encore, Viadeo est un des deux leaders mondiaux du réseau social professionnel. Un outil qui permet d'enrichir son tissu de relations. Se faire connaître et être visible, trouver un emploi ou recruter, mettre en avant ses compétences, prospecter de nouveaux clients, partenaires ou fournisseurs... En bref, augmenter ses opportunités de business et de développement de carrière. Une offre qui a trouvé son public en France, puisque 6 millions de membres l'utilisent.

Leader du marché européen, Viadeo ne s'en tient pas là. Le groupe s'est lancé à la conquête de la Chine, et dispose des moyens de booster sa croissance grâce à une levée de fonds record de 24 millions d'euros en avril dernier (lire l'encadré p. 16).

RAID SUR LA CHINE: L'IMPERATIF D'UNE OFFRE ADAPTEE

Lorsque fin 2007-début 2008, après un premier tour de table, Dan Serfaty, l'un des deux fondateurs de Viadeo, rachète Tianji, le plus important réseau social local chinois, l'approche de l'entreprise française est confortée. «Pour la population locale, rien ne vaut une offre adaptée, surtout en Chine», assure Jean-Paul Alvès, le Daf du groupe. Viadeo se fait fort d'ajuster son offre aux besoins, pratiques et cultures nationales. Et le Daf d'expliquer: «Nous avons une technologie que nous nous efforçons de dimensionner aux spécificités locales de chaque pays où Viadeo est implanté. Les réflexes de gestion des contacts et des mises en relation ne sont pas les mêmes. Cela se traduit dans l'organisation des sites, jusqu'au code couleurs. » Une spécificité qui le distingue de son rival et presque jumeau, le réseau LinkedIn - qui revendique aujourd'hui 145 millions de visiteurs -, créé lui aussi en 2004. Les deux futurs géants se développent d'ailleurs en parallèle, jusqu'en 2008 où le réseau américain, jusque-là très centré sur son marché domestique, se fait une place en Europe.

En Chine, si LinkedIn est présent, c'est surtout auprès des expatriés. Or, «avec une pénétration rapide du marché autour de 800000 nouveaux membres par mois, et ses immenses potentialités commerciales, la Chine, qui représente déjà le quart des utilisateurs de Viadeo, est la priorité stratégique du groupe, indique le Daf. Au point que Dan Serfaty s'y est installé pour préserver le lead. » Pour autant, Viadeo poursuit son développement international en visant d'autres pays. En 2009, l'entreprise lève 4 millions d'euros auprès de ses investisseurs historiques pour racheter ApnaCircle en Inde. En 2010, le cap est mis sur le continent américain, avec un premier bureau au Mexique pour tester un marché très acquis à LinkedIn et l'acquisition d'un réseau canadien, Unyk. Fin 2010, le network mondial made in France compte 30 millions de membres. En 2011, l'entreprise poursuit sa conquête et entre la première sur le marché africain avec une implantation à Casablanca (Maroc) et à Dakar (Sénégal). Enfin, elle concrétise un partenariat en Russie avec le groupe médias Sanoma et rachète une entreprise spécialisée dans la synchronisation de contacts, Soocial, basée à Amsterdam.

REPERES

Raison sociale: Viadeo
Activité: Gestion de réseaux socioprofessionnels
Forme juridique: SA à conseil d'administration
Dirigeants: Thierry Lunati et Dan Serfaty
Daf: Jean-Paul Alvès
Effectif: 400 salariés
CA 2011: non communiqué
CA 2012: non communiqué

JEAN-PAUL ALVES, DAF DE VIADEO

« Pour la population locale, rien ne vaut une offre adaptée, surtout en Chine. »

UNE GENESE ELITISTE

L'idée du réseau social a été d'autant plus novatrice qu'elle est née avant la création de Facebook. Dès 2000, les premières pierres d'un projet fermé sont posées, réservé à l'élite des patrons de sociétés en forte croissance. Dan Serfaty, entrepreneur diplômé d'HEC, et Thierry Lunati, centralien cofondateur de la web messagerie Caramail, créent Agregator, un club d'entrepreneurs associés. Ce premier réseau réunit près de 300 patrons pour faire du networking traditionnel, mais aussi créer un fonds d'échange d'actions. Chacun apporte une quote-part de son capital au sein d'un fonds mutualisé. Il est véhiculé par Agregator Capital, le FCPR du club qui continue de se dédier aux PME non cotées. « En 2004, l'idée vient aux deux fondateurs de créer une plateforme d'échanges sur Internet pour le club d'entrepreneurs, explique Jean-Paul Alvès. Naît alors Viaduc.com. Puis, par spin-off, ils mettent en place un réseau social professionnel ouvert aux personnes extérieures au club. C'est le premier visage de Viadeo. »

Par viralité, le réseau s'étend, encouragé par une inscription gratuite jusqu'en 2005. En 2006, la base compte 500000 utilisateurs. Viadeo est alors le premier réseau français de rencontres professionnelles en ligne, mais la société, qui ne compte encore que 15 salariés, doit s'étoffer. Décision est prise d'ouvrir des sites en langues étrangères. Une première levée de fonds de 5 millions d'euros auprès d'AGF Private Equity et de Ventech finance ses premiers pas à l'international. Des versions locales font alors leur apparition en Italie, Espagne, Grande-Bretagne. Pour coller à son identité devenue internationale, Viaduc.com change de nom et devient Viadeo. La course à la conquête du monde est lancée, contre un challenger: l'américain LinkedIn. Cette expansion du réseau social français s'appuie sur une communication financière minimale.

UN BUSINESS CONFIDENTIEL

Côté business donc, la société n'indique rien sur ses résultats. Les comptes annuels n'ont pas été déposés au greffe du tribunal de commerce depuis 2009. Seules sont connues les grandes lignes du modèle économique, assis sur plusieurs sources de revenus. L'offre B to C, qui comprend les abonnements proposés à des particuliers pour un usage professionnel, représente 50 % du chiffre d'affaires.

« A partir de 6 euros par mois, un membre a accès à des services étendus de mise en relation, de recherche et d'accès à des informations. » En plein développement, la ligne emploi de Viadeo représente 30 % des revenus. Destiné aux DRH, chasseurs de tête et cabinets de recrutement, ce service est un axe stratégique dont le groupe entend multiplier par trois le chiffre d'affaires en 2012.

« Ensuite, les solutions marketing de Viadeo apportent 10 % du chiffre d'affaires », explique le Daf. Il s'agit de publicités ciblées, ultra-segmentées, des banques, constructeurs informatiques, de l'industrie automobile haut de gamme, de compagnies aériennes, etc. Dernière source de revenus: la mise en avant de formations professionnelles, d'école de commerce ou de MBA.

LOUIS-SERGE REAL DEL SARTE, consultant en réseaux sociaux d'entreprise, fondateur associé de ReaClic SAS, cabinet conseil en social network strategy

LOUIS-SERGE REAL DEL SARTE, consultant en réseaux sociaux d'entreprise, fondateur associé de ReaClic SAS, cabinet conseil en social network strategy

AVIS D'EXPERT
«Cibler l'entreprise, un tournant économique »

Comment expliquez-vous la prédominance de Viadeo sur le marché français?
Son succès s'explique évidemment par la qualité de son offre. Il est un instrument de travail exceptionnel, convivial et ses très nombreuses fonctionnalités sont très pointues. D'ailleurs, elles ne sont pas toujours assez connues des utilisateurs, faute de relais satisfaisants entre les grands utilisateurs et le grand public.


Quelles sont les évolutions attendues pour Viadeo?
Comme pour ses concurrents, Viadeo est en train d'investir sur le marché des mobinautes, c'est-à-dire la facilité d'accès depuis nos mobiles, ainsi que celui de la vidéo en ligne. Va ensuite se poser la question du langage universel, car Viadeo (en France) est utilisé par les Français dans leurs relations entre eux. Or, le réseau social de demain doit s'ouvrir à l'international.


Quel défi pour les réseaux de demain?
Outre l'aspect technologique, la vraie différence entre les réseaux repose sur le positionnement. En faisant sa révolution vers les entreprises, en accentuant son offre corporate, plus rentable, Viadeo entame un tournant économique décisif. Les entreprises commencent à valoriser leur image et à développer leur business sur le réseau qu'elles envisagent enfin comme le nouvel eldorado.

A NOTER

LA PERSPECTIVE DE LA BOURSE
La levée de fonds de 24 millions d'euros réalisée cette année par Viadeo représente la plus grosse opération de financement d'une start-up française ces dernières années, voire de l'Internet européen. Le Fonds stratégique d'investissement (FSI) a apporté 10 millions d'euros et le tour de table a été élargi à de nouveaux investisseurs internationaux: Allianz, la banque d'affaires américaine Jefferies et des fonds du Moyen-Orient. Cette opération va permettre au groupe d'élargir son offre d'information entreprises et social CRM à ses partenaires privilégiés et de développer sa présence sur les mobiles.
Une étape décisive vers une probable entrée en Bourse. Mais le fiasco de Facebook, dont le titre a perdu 46 % en moins de six mois, pourrait repousser cet horizon boursier.

UN DAF POUR DIMENSIONNER LE GROUPE

Arrivé en 2008 au moment de l'acquisition de Tianji en Chine, Jean-Paul Alvès est chargé d'assurer la mutation de la PME dans sa nouvelle dimension de groupe international. Cet ancien directeur financier d'AOL France, passé aussi chez Lagardère et Ernst & Young, doit faire face aux différences de langues, de culture, aux problèmes de compatibilité des normes, de monétique, mais aussi aux différences de pratiques de droit bancaire. « Pas toujours facile d'expliquer les IFRS aux auditeurs mexicains, chinois ou indiens! », illustre-t-il.

Autre exemple: « En Chine, les factures sont émises au moment du paiement et doivent préalablement avoir reçu le tampon de l'administration sur place. C'est toute une procédure. » Il doit aussi composer avec un Code du travail très rudimentaire en Inde et des règles de fiscalité inconnues dans nos pays occidentaux, notamment en matière de TVA au Sénégal et en Côte d'Ivoire.

Si le bureau de R & D managé par Thierry Lunati est à San Francisco, la tête de l'entreprise est toujours en France. Paris concentre, en effet, toutes les directions et le développement du groupe, soit 220 salariés. Jean-Paul Alvès y encadre l'ensemble des fonctions traditionnelles de consolidation, normes, contrôle et informatique interne, au niveau du groupe, en s'appuyant sur une équipe de 32 collaborateurs directs. « Sur place, les directions financières locales ont été outsourcées autant que possible, explique le Daf. Deux contrôleurs financiers maison passent tout leur temps à échanger et à rencontrer le management local. » Lui aussi, car il consacre plus d'un tiers de son temps à l'étranger, « ce qui me donne une plage de travail très large pour gérer la responsabilité des acquisitions, participer, en back-office, à la conclusion des contrats et aux mises en oeuvre des contrats pour le groupe et ses filiales », indique Jean-Paul Alvès. Avec une problématique financière: les devises. « Nous devons gérer des flux de 11 devises différentes, à savoir: euro, USD, RMB et HKD (Chine), roupies (Inde), livres sterling (UK), roubles (Russie), MAD (Maroc), pesos (Mexique) et CFA (Sénégal), détaille Jean-Paul Alvès. S'il est habituel de trouver autant de devises dans de grandes multinationales, cela l'est moins dans une start-up internet française. » Une PME, certes, mais en plein dans la mondialisation.

BRUNE LACOSTE

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