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Marie Pouget, Daf d'Evasol, une énergie intacte

Marie Pouget a participé à la création d'Evasol, ex-leader français des installations photovoltaïques, et en a assuré la direction financière jusqu'à sa reprise par Giordano Services. Après un décollage spectaculaire, Evasol n'a pas résisté aux revirements gouvernementaux sur le solaire. Récit d'un combat.

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Très attachée à la région lyonnaise dont vous êtes originaire, vous y avez réalisé toute votre carrière. Quel a été votre parcours?

Classique! Après une prépa et une école de commerce (l'EM Grenoble), j'ai commencé par de l'audit, puis j'ai rejoint l'entreprise de transport et logistique MSAS Global Logistics, filiale d'un groupe anglais coté à Londres. J'y ai été adjointe du Daf, puis Daf, pendant quatre ans. J'ai ensuite occupé un poste de Daf en temps partagé avec une de mes meilleures amies au sein du laboratoire d'analyses Marcel Mérieux. Toutes deux mamans de jeunes enfants, nous devions en principe travailler chacune aux trois cinquièmes; contre toute attente, nos «boss» avaient été séduits par ce projet. Mais en pratique, nous n'y sommes jamais vraiment parvenues, car le groupe a énormément grandi par croissance externe, pour passer de 80 MEuros de CA environ en 2000 à près de 300 MEuros en 2004. Après l'acquisition du laboratoire d'analyses médicales Claude Levy, le groupe a acquis la clinique du Tonkin, reprise en dépôt de bilan, composée de sept établissements de soins. En tant que Daf, j'en ai assuré la restructuration entre 2003 et 2004. Puis, j'ai eu l'opportunité de rejoindre Tenesol, fabricant de panneaux solaires en B to B, alors filiale de Total et d'EDF. Cela m'a permis d'ouvrir mon expérience à l'international et de faire mes premiers pas dans le solaire. J'y ai rencontré Stéphane Maureau, directeur marketing et commercial de Tenesol, et j'ai décidé de me lancer dans l'aventure de la création d'Evasol à ses côtés.

Quel était votre objectif avec Evasol?

Evasol a été créée en mars 2007 dans le but de distribuer des équipements photovoltaïques (et notamment des produits de Tenesol) auprès de particuliers. L'objectif était de percer rapidement sur le marché français. Après avoir assuré la passation de poste chez Tenesol, je suis donc devenue fondatrice associée (minoritaire) d'Evasol auprès de Stéphane Maureau. Tandis que ce dernier se consacrait au volet commercial et stratégique, j'ai pris en charge les finances, mais aussi l'organisation, les systèmes d'information et les RH. Nous avons commencé par tester le marché avec sept commerciaux recrutés dans le département du Rhône. Au bout d'à peine un an, nous étions déjà une centaine. Le marché des particuliers répondait favorablement: notre chiffre d'affaires s'est développé très rapidement (cf. tableau ci-dessous). J'ai donc eu la chance de participer au développement d'une start-up en ascension fulgurante et donc de recruter et de structurer les équipes de back-office: services commandes, administration des ventes, administration technique...

Comment expliquez-vous l'ascension rapide d'Evasol, puis le brusque retournement de situation?

Au départ, dans la foulée des décisions du Grenelle de l'environnement, les consommateurs français ont bénéficié de deux types d'avantages pour mettre en place des centrales photovoltaïques: des crédits d'impôts sur les investissements réalisés et des tarifs de rachat de l'électricité avantageux. Le kilowatt/heure était racheté 55 centimes par EDF alors qu'il coûtait 10 centimes à l'achat. Tous les pays européens ont mis en place ce type d'incitations. Mais en 2010, l'Etat a fait machine arrière: le crédit d'impôt a diminué à partir de fin 2010 en plusieurs paliers successifs. Les tarifs de rachat de l'électricité ont été revus à la baisse, tous les trimestres. En outre, la filière solaire a été «assassinée» par des soupçons: les fabricants étaient accusés de faire construire des produits de basse qualité en Asie et de profiter des subventions de l'Etat; en ce qui concerne Evasol, nous achetons près de 90 % des composants de nos panneaux en Europe, et le coût des subventions à l'énergie photovoltaïque est bien moindre que celui de la rénovation des centrales nucléaires qui va se chiffrer en milliards d'euros... Devant tant d'aléas, la réaction de nos clients a été immédiate: entre fin 2010 et début 2011, nous avons perdu 18 millions d'euros de commandes uniquement sur la filière BTB, annulées par les professionnels devant les incertitudes de tarifs de rachat (moratoire pendant 3 mois).

Comment avez-vous réagi à ce contrecoup?

Malgré ces annulations, notre portefeuille de commandes de particuliers nous a permis de passer le creux de 2011, mais nous avons ensuite subi de plein fouet l'effondrement du marché malgré notre redéploiement stratégique. En effet, dès la fin 2010, nous avons opté pour une diversification via les produits d'amélioration de l'habitat: pompes à chaleur, isolation des combles, chauffe-eau thermodynamiques, conseils en économies d'énergie... Nous avons restructuré notre force de vente et formé nos commerciaux à ces nouveaux produits grâce à notre école de formation interne. En ce qui concerne le volet financier, Evasol n'ayant jamais distribué de dividendes, le cash disponible a permis de financer ce virage. Durant l'année 2011, nous avons renégocié nos lignes bancaires et agi en transparence avec nos partenaires. Le fonds d'investissement Evolem, qui nous accompagne depuis mars 2009, a réinjecté des fonds en octobre 2011. Par ailleurs, pour améliorer nos marges, nous avons développé l'achat de composants à monter nous-mêmes, plutôt que d'acheter des kits. De plus, une vingtaine de salariés ont quitté volontairement le siège en 2011 et n'ont pas été remplacés, ce qui nous a permis de contenir les coûts. Malheureusement, tous ces efforts n'ont pas suffi et nous avons dû nous résoudre à demander la protection du tribunal de commerce en mars 2012.

BIO EXPRESS

Diplômée de l'Ecole de management de Grenoble, Marie Pouget a débuté sa carrière en 1991 au sein du cabinet d'audit Deloitte. De 1996 à 2000, elle est adjointe du Daf, puis Daf de MSAS Global Logistics. Elle rejoint ensuite le groupe Mérieux de 2000 à 2004. En 2004, elle change de secteur d'activité pour devenir Daf de Tenesol, spécialiste du photovoltaïque. En 2007, elle participe à la création d'Evasol (associée fondatrice) et y occupe le poste de Daf, en charge des finances, des RH, des systèmes d'information et gestion d'une partie du back-office (l'administration des ventes).

En tant que Daf, comment avez-vous vécu la phase de redressement judiciaire, puis la décision du tribunal de commerce de céder Evasol à un repreneur en septembre 2012?

La demande de mise en redressement judiciaire est un acte de gestion qui nous a permis de mener un plan de restructuration et de déclencher un plan de sauvegarde de l'emploi rapidement. Le plan de restructuration que nous avons mené durant cette phase consistait à nous replier au sud de la ligne Bordeaux-Lyon, et à poursuivre notre diversification sur les solutions d'économies d'énergie. Dans le cadre de notre plan de sauvegarde de l'emploi, 75 salariés ont été licenciés entre mars et mai 2012. Mais le marché du photovoltaïque est resté désespérément atone, les consommateurs attendant que le nouveau gouvernement précise ses orientations sur le sujet. Pour cette raison, anticipant une situation de trésorerie intenable pour l'automne, Stéphane Maureau et moi-même avons recherché des repreneurs dès la fin du mois de juillet. Parmi les trois candidats, le tribunal s'est prononcé le 25 septembre: c'est l'offre de Giordano Services, filiale du groupe Giordano, qui l'a emporté. Ce spécialiste du solaire basé à Aubagne, qui compte EDF parmi ses actionnaires, a proposé un concept novateur de vente avec location-gérance qui a convaincu le tribunal. En tant que Daf, j'ai vécu intensément le redressement judiciaire et la recherche de repreneurs, car il s'agissait de sauver l'entreprise et les emplois que nous avions créés. Bien sûr, c'est une expérience particulière que de vivre la décroissance après une expansion aussi forte, mais je n'ai pas de regrets car je pense avoir fait tout ce qui était réalisable dans une période particulièrement défavorable. Quant à mon avenir, je suis prête à rebondir et à recréer une entreprise et des emplois lorsqu'une opportunité se présentera: mon énergie est intacte, tout est question de rencontres.

FLORENCE KLEIN

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