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LA RECUPERATION DES AIDES COMMUNAUTAIRES EST LIMITEE DANS LE TEMPS

Essentielles pour nombre d'entreprises, les aides communautaires sont susceptibles d'actions en récupération. Mais dans quels délais? Selon la décision rendue le 21 décembre dernier par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), le souci d'un bon emploi des fonds européens ne doit pourtant pas autoriser leur récupération sur une période trop importante. Comment traduire en pratique cette décision?

Publié par La rédaction le
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Sous l'effet notamment de la crise, les aides publiques accordées aux entreprises peuvent jouer comme un effet de levier, en ayant un impact non négligeable sur des projets d'investissement. Pour autant, dans la mesure où elles affectent par nature le libre jeu de la concurrence entre entreprises, elles sont soumises à des conditions particulièrement strictes définies au niveau de l'Union européenne, quand bien même leur gestion (et donc en particulier leur versement) est assurée par les autorités administratives de chaque Etat membre.

C'est en effet au niveau de l'Union qu'est arrêtée la politique d'aide aux entreprises. Les articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (anciennement articles 87 et 88 du Traité instituant la Communauté européenne) interdisent ainsi toute aide d'Etat pouvant fausser ou menacer de fausser la concurrence. De manière simple, les Etats membres ont ainsi la possibilité de verser des aides aux entreprises, pour peu que ces aides aient été notifiées à la Commission européenne, et que cette dernière les ait acceptées (régimes d'aides notifiés) ou alors qu'elle ait elle-même décidé de mettre en place des régimes d'autorisation par catégories via des règlements d'exemption, qui peuvent se décliner en fonction des secteurs économiques ou encore de la finalité de l'aide (par exemple, aides à l'export). En 2008, la Commission européenne a eu la bonne idée de rassembler la plupart de ces aides dans un seul et même règlement général d'exemption. A côté de ces aides d'Etat à caractère protéiforme, à savoir subventions, garanties d'emprunt, prêts à taux zéro, tarifs préférentiels, participation au capital, etc., l'Union européenne a ses propres dispositifs: Feader, fonds social européen, fonds européen de développement régional, etc., qui viennent généralement renforcer les aides d'Etat.

LES SANCTIONS ENCOURUES POUR INOBSERVATION DES CONDITIONS DES AIDES

L'inobservation des conditions d'attribution et d'utilisation de ces deux types d'aides peut conduire à leur reversement avec des conséquences financières non négligeables pour les entreprises, mais aussi les associations et plus largement tout organisme se livrant à une activité économique.

Outre le remboursement proprement dit de l'aide, les entreprises peuvent devoir également régler des intérêts, voire être tenues au paiement d'amendes administratives ou être exclues du bénéfice de l'aide pour une période postérieure à l'irrégularité.

Cette véritable épée de Damoclès est le plus souvent ignorée ou oubliée des entreprises qui se retrouvent confrontées au problème dans le cadre de contrôles diligentés soit à la demande de concurrents, soit par l'administration d'autorité.

Ces contrôles, dont les modalités peuvent varier en fonction des fonds européens versants, sont réalisés chez les bénéficiaires et sur la base des documents et données que ces derniers doivent avoir conservés (pièces justificatives, pièces comptables, etc.).

Toute la question est alors de connaître le délai dont disposent les pouvoirs publics pour ordonner le reversement de ces aides communautaires illégales.

DELAIS DE RECUPERATION: CE QUE DISENT LES TEXTES

Concrètement, l'enjeu est de déterminer pendant combien de temps les pouvoirs publics pourront poursuivre une entreprise dans le cas où celle-ci aura utilisé l'aide à des fins autres que celles pour lesquelles elle aura été attribuée, ou n'aura pas été en capacité de remplir dans les délais fixés un certain nombre d'obligations prévues dans la décision d'attribution. Le droit communautaire, dans le cadre d'un règlement du Conseil du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, prévoit un délai de quatre ans à compter du jour où le versement de l'aide sera regardé comme indu, tout en laissant la possibilité aux Etats membres de prévoir un délai supérieur. Il prévoit également que le délai de prescription national puisse être celui prévu à la date d'entrée en vigueur du règlement de 1995.

En conséquence, en France, le délai de prescription pouvait donc être de cinq ou de trente ans, puisque le délai de prescription trentenaire n'a été ramené à cinq ans que par l'effet de la loi du 17 juin 2008. Dans les faits, le juge français appliquait indifféremment un délai de trente ans (voir par exemple: CAA Nantes, 14 avril 2011, France Agrimer, n° 09NT01441) ou supérieur à cinq ans sans pouvoir atteindre trente ans (voir CE, 27 juillet 2009, société Lactalis Industrie, n° 292620). L'incertitude demeurait donc pour les entreprises, alors que les enjeux sont d'importance: enjeux financiers directement liés au reversement des aides et, sous l'angle comptable, enjeux en termes de provision.

Arnaud Charvin
Avocat Associé, Fidal - Département droit public

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APPLICATION EN FRANCE DES DECISIONS DE DECEMBRE 2011: DE CINQ A DIX ANS

Le 21 décembre 2011, la CJUE a indiqué que «la faculté pour les Etats membres de retenir un délai de prescription pour la récupération d'une aide indue différent de celui de quatre ans prévu par les textes communautaires ne peut conduire les Etats à retenir un délai de trente ans au regard du principe de proportionnalité» (CJUE, 21 déc. 2011, aff. C465/10).

Dans ces conditions, le délai de prescription devrait être maintenu à cinq ans, ce qui, en soi, ne contrevient pas au principe de proportionnalité.

Mais ce délai de prescription peut être suspendu. En effet, si l'administration, à l'intérieur du délai de cinq ans, contrôle l'utilisation faite par les entreprises des aides communautaires, la prescription est alors interrompue. Elle ne pourra toutefois pas dépasser, quel que soit le délai de prescription retenu en droit interne, selon le règlement de 1995, un délai de huit ans.

Il convient de mettre à part le cas des aides d'Etat versées par l'Etat et les collectivités publiques: le droit communautaire permet à la Commission de déclarer une aide illégale pendant un délai de dix ans à compter de la date à laquelle elle a été accordée. Le 30 décembre dernier, le Conseil d'Etat a jugé pour sa part que la récupération des aides illégales par l'administration était soumise au même délai de prescription de dix ans (CE, 30 décembre 2011, Centre d'exportation du livre français, n° 274923).

Les entreprises doivent tenir compte de ces nouvelles règles en matière de prescription. La prudence commande donc d'attendre cinq ans avant de rapporter aux résultats de l'entreprise les provisions relatives au risque de remboursement d'aides de l'Union européenne. Il en va de même s'agissant des aides d'Etat - mais dans ce cas, pendant dix ans.

La rédaction

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