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Génération Y, ces jeunes qui osent critiquer l'entreprise

Ils ont entre 20 et 30 ans, le taux de chômage le plus élevé de France et, pourtant, lorsqu'ils ont un emploi, donnent du fil à retordre à leurs managers. C'est la génération Y. Selon les experts, ces «digital natives» ne sont pas vraiment sur la même longueur d'ondes que leur hiérarchie. Conseils pour bien les cerner.

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Individualisme, impatience, interconnexion et inventivité: ces quatre «i» seraient les caractéristiques des jeunes de la génération Y. «Individualisme ne signifie pas que les Y sont égoïstes, mais qu'ils ont un besoin accru de reconnaissance en tant qu'individus», précise Benjamin Cheminade, consultant en management, auteur du blog Génération Y 2.0. Selon lui, «ils veulent être pris au sérieux tout de suite et obtenir rapidement des résultats». Quant à l'interconnexion, on pense bien sûr aux nouvelles technologies ou encore aux réseaux sociaux, qui n'ont plus de secret pour eux. «Ces nouvelles technologies ont un grand avantage: celui de pouvoir se connecter et se déconnecter à la carte», décrit Thibault Lanxade, auteur du livre Jeunes & entreprises: réussir la connexion. L'interconnexion se traduit par l'entrée de la vie privée dans la sphère professionnelle. «Les jeunes n'hésitent pas à chatter sur MSN et à garder leurs écouteurs sur les oreilles toute la journée. Ce qui peut créer une incompréhension et une défiance réciproque entre le jeune et l'entreprise», constate Brigitte Schifano, DRH de la société AramisAuto. com, spécialisée dans la distribution automobile multimarque, dans laquelle les moins de 30 ans représentent les trois quarts de l'effectif de 160 salariés. Ces jeunes Y sont aussi «souvent pleins d'idées, et font preuve de curiosité et de dynamisme», relève Thibault Lanxade. Selon une enquête sur les 20-30 ans, réalisée en 2009 par le cabinet de conseil et de formation Cegos, si la vie de famille est la priorité absolue des jeunes, la rémunération et l'évolution de carrière figurent aux premiers rangs de eurs préoccupations professionnelles. Une attitude pas toujours bien comprise par les entreprises, qui misent d'abord sur leur image et leur notoriété pour attirer les candidats. Toujours d'après cette source, cette jeunesse cultive une philosophie du donnant-donnant, dénuée d'affect. « C'est une génération du contrat individualisé et négocié, dans laquelle se retrouvent aussi bien les ouvriers que les cadres, les femmes que les hommes, le secteur de l'industrie que celui des services », observe Annick Cohen-Haegel, responsable des formations RH chez Cegos. «Ils n'hésitent pas à claquer la porte dès lors que le mode de fonctionnement de leur service ne leur convient plus», constate Brigitte Schifano (AramisAuto.com). Selon Daniel Ollivier, directeur du cabinet de conseil RH Théra Conseil, «l'entreprise évolue moins vite que la société, et cette réalité génère un décalage préjudiciable à l'intégration des jeunes en entreprise. Ceux-ci n'y trouvent plus leur place, non pas par manque de maturité, mais bien parce qu'ils disposent d'une lucidité perturbante pour nos dirigeants et managers».

@ Fotolia - Auremar

A LIRE

Améliorer l'emploi des jeunes
L'association Positive Entreprise a invité représentants syndicaux et patronaux, responsables politiques et du monde de l'éducation à réagir pour améliorer l'emploi des jeunes. Thibault Lanxade, Jeunes & entreprises: réussir la connexion, éd. Editea, 2008, 172 pages, 16 euros.
Une opportunité pour les entreprises
Un guide pour transformer la difficulté apparente d'intégrer la génération Y en une extraordinaire opportunité de développement. Daniel Ollivier et Catherine Tanguy, Génération Y mode d'emploi, éd. De Boeck, 2011 (2e édition), 215 pages, 22 euros.
«Trophy kids»
Selon l'auteur de cet ouvrage en anglais, les «trophy kids», ces jeunes à qui l'on distribue des trophées à la moindre occasion, sont en train de révolutionner le monde du travail. Ron Alsop, The Trophy Kids Grow Up (en version anglaise), éd. Jossey-Bass Wiley, 272 pages, 17,50 euros.

MEFIANTS VIS-A-VIS DU MONDE DU TRAVAIL

L'enquête Cegos montre également que les jeunes sont méfiants, voire inquiets, vis-à-vis du monde du travail, avant même de mettre le pied en entreprise, et a fortiori après leur première expérience. Pour Thibault Lanxade, «la génération Y a une image plutôt négative de l'entreprise, qu'elle décrit comme un univers dur, hypocrite, injuste et difficile d'accès. La précarité que connaissent beaucoup d'entre eux, alors même qu'ils ont fourni des efforts pour obtenir des diplômes ou se qualifier, n'est certainement pas étrangère à cette opinion ».

Du coup, entre employeurs et jeunes, la communication tourne au dialogue de sourds. Les managers, âgés de 50 à 60 ans, sont issus de la génération des «baby boomers», bercée par les valeurs des trente glorieuses: réussite, carrière, confiance dans l'entreprise. Ils reprochent leur comportement hors norme à ces jeunes pour qui «l'entreprise n'est pas une fin mais un moyen de vivre», explique le blogueur Benjamin Cheminade. «En entreprise, les jeunes cherchent un développement personnel plutôt qu'une carrière», confirme Brigitte Schifano (AramisAuto.com) A cela s'ajoutent de nombreuses irritations liées au mode de vie en collectivité. «Certains chefs de service ont tendance à stigmatiser des comportements qu'ils jugent inacceptables, comme l'absence de ponctualité ou une forme de familiarité dans les rapports humains», note Thibault Lanxade, également président de Positive Entreprise, une association qui vise à favoriser le rapprochement entre les jeunes et le monde de l'entreprise. L'intégration des jeunes devient donc un véritable enjeu managérial, d'autant que les Y n'ont aucun mal à remettre en question l'autorité, a fortiori s'ils ne la considèrent pas comme légitime.

LE CONTRAT DOIT ETRE GAGNANT-GAGNANT

«Les jeunes se demandent en permanence ce que leur hiérarchie leur apporte », constate Thibault Lanxade. «Exigeants, ils veulent que leur manager donne du sens à leur travail. Le contrat doit être gagnant-gagnant», renchérit Daniel Ollivier (Théra Conseil). Pour eux, le temps du donneur d'ordres est révolu. «L'échange avec une équipe de jeunes devient nécessairement horizontal, sinon c'est le clash assuré, explique Brigitte Schifano (AramisAuto.com). Le manager n'est plus un chef mais un leader qui donne l'impulsion à son équipe et qui, en plus, doit donner l'exemple. »

Accros aux réseaux sociaux, ils fonctionnent en clans. «Bien qu'individualistes, les jeunes aiment appartenir à une tribu. Pour qu'ils s 'y épanouissent, l'entreprise doit devenir l'un de ces clans», analyse Jean-Claude Ancelet, p-dg d'Adéios Consulting, cabinet d'audit et d'accompagnement managérial des projets d'entreprise. Le manager - ou plutôt le «leader» - doit, malgré tout, emmener son équipe vers la réussite. La question des moyens ou du chemin à prendre pour atteindre ce but se pose.

Premier conseil des professionnels: être à l'écoute. « Le manager doit se mettre à leur niveau, accepter la critique et donner plus d'explications sur ses exigences. Il doit les écouter, ce qui implique d'être très disponible et de leur accorder du temps, bien au-delà des entretiens formels et récurrents, comme l'entretien annuel d'évaluation », conseille

Jean-Claude Ancelet (ADEIOS Consulting). Cela implique-t-il des rapports basés sur 'affect? « La gestion de l'émotion fait désormais partie du rôle du manager. Par exemple, lorsqu'un jeune salarié est en retard, il faut éviter de lui sortir le règlement intérieur, mais plutôt lui expliquer les conséquences néfastes de son comportement sur le travail ou le service», répond Daniel Ollivier (Théra Conseil). Pour autant, «le manager doit rester à sa place de supérieur hiérarchique et ne pas perdre de vue que l'entreprise a une mission économique et non sociale», rappelle Thibault Lanxade, qui conseille «d'organiser le travail en projet et de leur donner un peu plus de responsabilité et d'autonomie avec un cadre strict».

THIBAULT LANXADE, PRESIDENT DE L'ASSOCIATION POSITIVE ENTREPRISE ET AUTEUR DU LIVRE JEUNES & ENTREPRISES: REUSSIR LA CONNEXION

«Certains chefs de service ont tendance à stigmatiser des comportements qu'ils jugent inacceptables.»

A SAVOIR

Pourquoi Y?
Le débat sur le comportement des jeunes en entreprise est né dans les pays anglo-saxons, où cette génération, réputée en quête de sens, a été surnommée «Y», qui se prononce «why» («pourquoi» en anglais). Ces jeunes sont également appelés «millenials» parce que nés avant le début de ce siècle, ou encore «digital natives», car nés avec les nouvelles technologies. La question de la génération Y a été abordée en France, à partir de 2007, par Benjamin Cheminade, consultant en management et auteur du blog Génération Y 2.0. Pour d'autres, comme le chercheur en ressources humaines Jean Pralong, il n'y aurait pas réellement de spécificité de comportement de cette jeunesse.

SAMORYA WILSON

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