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DELAIS DE PAIEMENT FOURNISSEURS: POURQUOI S'EN SOUCIER?

Appliquer les délais de règlement prévus par la loi, seule une petite majorité d'entreprises françaises y parvient. Pourtant, payer ses fournisseurs en temps et en heure est une preuve de respect qui constitue la base d'un réel partenariat avec eux.

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Les entreprises dont l'activité est saisonnière bénéficient d'accords dérogatoires.

@ © Fotolia - A. Korn

Les entreprises dont l'activité est saisonnière bénéficient d'accords dérogatoires.

Inadmissible! Dans un entretien donné au mensuel Chef d'entreprise en avril dernier, Jean-Claude Volot, le médiateur des relations interentreprises, dénonce les pratiques des grands groupes industriels vis-à-vis de leurs fournisseurs, PME-PMI en particulier. Il cite notamment le contournement des règles sur les délais de paiement et parle de la pratique du «quick saving», qui oblige certaines PME à verser de l'argent à un donneur d'ordres avant même de travailler avec lui. La loi de modernisation de l'économie (LME), entrée en vigueur le 1er janvier 2009, prévoit un plafonnement des délais de paiement (voir encadré ci contre). Dans la réalité, des arrangements sont i toujours trouvés I pour flirter avec ces limites. Or, le respect des délais de paiement est la base d'une bonne relation client-fournisseur, sans laquelle aucun business durable n'est possible. Il est donc important de s'organiser en interne pour s'assurer de payer ses fournisseurs en temps et en heure.

UN RETARD MOYEN DE QUATRE JOURS

La loi prévoit que les délais de paiement conventionnels ne doivent pas excéder soixante jours à compter de la date d'émission de la facture, ou quarante-cinq jours fin de mois, à l'exception de quelques accords dérogatoires (voir encadré ci-contre). Au 1er janvier 2010, l'observatoire des délais de paiement évaluait une moyenne de délais de règlement à 49 jours de chiffre d'affaires pour le crédit clients et à 56 jours d'achat pour le crédit fournisseurs. «Le retard moyen constaté est de quatre jours, complète Frédéric Grivot, vice-président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). Ce sont à peu près 60 % des entreprises qui respectent loi, contre 40 % il y a dix ans. » Du côté du crédit interentreprises, la CGPME note une amélioration due à la LME, notamment dans l'industrie, où l'on enregistre un gain de trésorerie de 3,3 milliards d'euros.

Notons que l'Etat, malgré des efforts manifestes, fait figure de mauvais élève. Dans son rapport 2011, la Cour des comptes a annoncé un montant de 6 milliards d'euros de retards de paiement de l'Etat envers ses fournisseurs. Autre ombre au tableau: 40 % des entreprises ne respectent pas les délais de soixante jours à compter de la date d'émission de la facture ou quarante-cinq jours fin de mois. Bénéficiant d'accords dérogatoires, elles ont jusqu'au 1er janvier 2012 pour se caler sur les délais prévus par la LME. Il s'agit, pour la plupart, d'entreprises dont l'activité est saisonnière (jouets, jardinage, équipements de ski...) ou de TPE qui se situent «en bout de chaîne», dont les clients finaux ne sont pas soumis à la LME. Etienne Djelloul, directeur général de la société d'habillement masculin Indigo, témoigne: «La loi nous impose un règlement entre trente et trente-cinq jours après la livraison, alors que les ventes se font deux mois après. » Dans son rapport d'information sur la mise en application de la LME, déposé le 6 avril 2011, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale s'inquiète de la situation de ces entreprises et recommande une prolongation des accords dérogatoires. Enfin, les sociétés qui travaillent à l'international s'estiment les grandes oubliées de cette loi sur les délais de paiement. Rien n'est en effet prévu au niveau international, et plafonner les délais de règlement peut, pour certaines entreprises, constituer un désavantage concurrentiel. Une directive européenne de février 2011, qui sera transposée en mars 2013, permettra de remettre à plat ces délais au niveau communautaire. Pour l'instant, rien n'est prévu concernant les relations commerciales avec les pays hors communauté, notamment la Chine.

DES CLIENTS QUI CHERCHENT LA PETITE BETE

Et dans l'Hexagone, les pratiques visant à retarder les échéances se sont renforcées, jouant sur une habile interprétation de la loi. Ainsi, Nicolas Foussier, DAF de la société de packaging Posson, parle de clients qui cherchent «la petite bête», afin de trouver le moindre défaut dans la livraison pour retarder le paiement. D'autres demandent davantage de gestes commerciaux, ou reportent le point de départ du délai de paiement. Des demandes difficiles à refuser lorsqu'elles émanent d'un compte stratégique... «C'est une problématique de rapport de force», souligne Céline Delacroix, juriste à la chambre de commerce et d'industrie de Paris. Et certains donneurs d'ordres n'hésitent pas à recourir à des pratiques manifestement abusives pour contourner la loi (voir encadré page suivante). Pourtant, de multiples raisons devraient inciter à respecter ces délais de paiement fournisseurs. Au-delà des pénalités de retard et des sanctions prévues par la loi (voir encadré ci-contre), c'est la responsabilité sociale de l'entreprise qui est en jeu. Et par là même, son image. «La responsabilité sociale et environnementale (RSE) vient au deuxième rang des questions posées lors des conseils d'administration», constate Jacques Schramm, président de l'observatoire des achats responsables (Obsar). Il rappelle à ce sujet qu'à l'horizon 2016 les entreprises de plus de 500 personnes devront présenter un reporting extra-financier mettant en exergue ces questions de RSE.

Ne pas respecter les délais de paiement fournisseurs, c'est surtout mettre en danger l'image de l'entreprise auprès de ses clients. «Le bouche-à-oreille est très rapide. On a très vite une réputation de mauvais payeur», avertit Jean-Michel Erault, coauteur avec Jean-Christophe Pic de l'ouvrage Optimiser sa trésorerie par le crédit client (éditions Vuibert). Si, la plupart du temps, les renseignements pris sur les clients et les fournisseurs se font de manière informelle, lors de rencontres interprofessionnelles, Jacques Schramm (Obsar) note çà et là des initiatives de notation des clients par les fournisseurs. « Certains envisagent que la révision de la norme ISO 9000 relative à la qualité intègre des critères de notation des clients par les fournisseurs, comme les clients le font de plus en plus pour les fournisseurs», observe-t-il. On peut citer, par exemple, les fournisseurs télécoms qui notent leurs clients par le biais du groupement d'intérêt économique (GIE) Preventel.

UN BON PAYEUR BENEFICIE DE RISTOURNES

Il faut garder en tête que tout se sait et que sa façon de payer ses fournisseurs en dit long sur son entreprise. Nicolas Foussier (Posson) classe ses clients selon quatre catégories: ceux qui paient toujours à l'heure, ceux qui ont quelques jours de retard, ceux qui présentent des délais aléatoires et ceux qui cherchent toujours la petite bête pour ne pas payer. S'il a un avis très positif sur ses clients toujours à l'heure - «cela indique qu'ils ont une bonne gestion de leur trésorerie» -, il ne se soucie pas de ceux qui ont deux jours de retard - «ils envoient le paiement à la bonne date, c'est le jeu» -; il reste vigilant envers ceux qui n'ont jamais les mêmes délais de paiement, car cela représente un problème de trésorerie; et cesse de travailler avec ceux qui sont toujours en non-conformité. «Et nous savons que nos fournisseurs pensent la même chose: quand on a les moyens, il faut payer à l'heure», conseille-t-il, soulignant qu'être un bon payeur permet également de bénéficier de ristournes.

Car, au-delà de l'image, respecter les délais de paiement présente de nombreux avantages économiques. Effectivement, des faveurs commerciales sont souvent accordées aux bons payeurs. Et un fournisseur bien traité sera davantage prêt à se démener pour son client. Jacques Schramm (Obsar), parle de «coperformance». Enfin, Jean-Michel Erault attire l'attention sur le fait que le respect des délais de paiement est également important pour le climat interne: «Le personnel constamment relancé pour des questions d'impayés finit par être usé!», observe-t-il.

Organisation: c'est le mot d'ordre d'un règlement des fournisseurs en temps et en heure. «Le non-respect des délais de paiement résulte souvent d'un problème d'organisation plutôt que d'une réelle volonté de nuire. C'est un processus à l'intersection de trois fonctions au sein de l'entreprise: le métier qui demande, l'acheteur qui négocie et la finance qui règle. Il faut donc mettre en place des projets de transformation pour optimiser les processus et piloter les paiements», estime Jacques Schramm (Obscar). Ce qui veut dire des processus fiables et adaptés à son secteur d'activité, soutenus par un système d'information performant. La direction générale doit être impliquée et faire partager l'importance de ce sujet à l'ensemble de ses collaborateurs. Chez Posson, il existe une campagne de règlement tous les 15 et 30 de chaque mois, permettant à la société de régler l'intégralité de ses fournisseurs à temps. Le système d'information trace le traitement de la commande depuis le bon de commande jusqu'au règlement, en passant par la réception des marchandises ou des services et la celle de la facture.

La dématérialisation des factures peut être une voie pour régler ses fournisseurs dans les délais impartis. Selon Itesoft, société de logiciels de dématérialisation de factures, ce procédé réduirait le cycle de traitement des factures et donc les délais de paiement d'un facteur de deux à cinq. Solange Ligeret, secrétaire générale de l'Association interprofessionnelle de la carte d'achat et de la dématérialisation (Apeca), souligne l'importance des moyens de paiement choisis. De leur côté, les fournisseurs doivent faire attention à la qualité des factures qu'ils envoient, pour ne pas retarder leur traitement.

CE QUE DIT LA LOI

La LME en détail
La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME) a défini les nouvelles conditions de règlement des entreprises, appliquées depuis le 1er janvier 2009. Cette loi concerne l'ensemble du territoire français, avec des dispositions particulières pour les DOM-TOM.
- Les délais de paiement conventionnels ne peuvent pas excéder 60 jours à compter de la date d'émission de la facture ou 45 jours fin de mois.
- Lorsque rien n'est prévu entre les parties, c'est par défaut le délai de paiement de 30 jours à date de réception des marchandises ou exécution du service qui s'applique (art. L.441-6 du Code du commerce).
- 35 accords dérogatoires autorisant des délais plus longs jusqu'au 31 décembre 2011 ont été validés par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Des dispositions particulières s'appliquent à certains secteurs, comme le transport. Depuis janvier 2010, le secteur du livre n'est plus concerné par ces délais.
- La LME a augmenté les pénalités pour retard de paiement, passées à 3 fois le taux d'intérêt légal, contre 1,5 fois auparavant. Dans le cas du délai par défaut de 30 jours, elles sont égales au taux d'intérêt appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 points.

JACQUES SCHRAMM, PRESIDENT DE L'OBSERVATOIRE DES ACHATS RESPONSABLES (OBSAR)

JACQUES SCHRAMM, PRESIDENT DE L'OBSERVATOIRE DES ACHATS RESPONSABLES (OBSAR)

JACQUES SCHRAMM, PRESIDENT DE L'OBSERVATOIRE DES ACHATS RESPONSABLES (OBSAR)

« Le non-respect des délais de paiement résulte généralement d'un problème d'organisation plutôt que d'une réelle volonté de nuire.»

POUR ALLER + LOIN

QUE RISQUE-T-ON EN CAS DE RETARD?


Si le délai de paiement par défaut de trente jours n'est pas respecté, l'entreprise risque une sanction pénale et une amende de 15000 euros (art. L.441-6 du Code du commerce). «Le procureur a le pouvoir de poursuivre la personne morale et la personne physique, c'est-à-dire le gérant de l'entreprise», précise Me Frédéric Coulon, avocat associé chez Fidal. Le non-respect des délais de paiement conventionnels entraîne une sanction civile qui peut atteindre 2 millions d'euros (art. L.442-6 du Code du commerce). « Mais si l'on lit plus précisément le texte, il est dit qu'il faut «soumettre» le partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé par la loi pour être puni d'une sanction civile», remarque Me Nathalie Pétrignet, associée chez CMS Bureau Francis Lefebvre et coauteure de Délais de paiement entre entreprises (éditions Francis Lefebvre). Il ne suffit donc pas de dépasser le plafond, mais une preuve de contrainte doit être apportée. Autrement dit, les deux parties peuvent s'entendre sur des délais de paiement dépassant le plafond fixé par la loi, sans craindre de sanction. Au niveau international, les inspecteurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) traquent les abus. « Ils sont vigilants quant aux délais anormalement longs appliqués à des créanciers français, au montage de centrales d'achat dans l'idée de contourner la loi sur les délais de paiement et vérifient aussi qu'il n'y a pas de distorsion de concurrence», explique Me Frédéric Coulon. Au final, sauf abus manifeste, il n'y a pas de risque de sanction. La LME demande également d'inclure les délais de paiement dans le rapport de gestion. «Le commissaire aux comptes doit dénoncer à la DGCCRF les cas de non-respect manifestes de la loi par les entreprises auditées», rapporte Me Thierry Titone, du cabinet Fidal. Un aspect subjectif qui n'a, à ce jour, conduit à aucune dénonciation.

NICOLAS FOUSSIER, DAF DE LA SOCIETE DE PACKAGING POSSON

«Les clients toujours à l'heure montrent qu'ils savent gérer leur trésorerie.»

A NOTER

Des pratiques abusives
La médiation des relations interentreprises a recensé 36 pratiques abusives exercées par les donneurs d'ordres, parmi lesquelles celles qui consistent à contourner la LME. La médiation dénonce la vente en consignation, qui consiste à demander la livraison de la commande dans un entrepôt extérieur, où le client se sert au fur et à mesure de ses besoins, faisant supporter la gestion du stock au fournisseur et retardant également les délais de paiement. D'autre part, certains donneurs d'ordres délocalisent leur service d'achats hors de l'Hexagone, pour éviter d'être sous le coup de la LME. De cette manière, de grosses entreprises passent leurs commandes depuis une filiale étrangère pour des relations commerciales France-France. La facture, éditée à l'étranger, n'est plus soumise à la LME. Cette pratique hors la loi reste heureusement marginale: selon une étude menée auprès des PME par la CGPME en janvier 2010, seulement 3,4 % d'entre elles y ont été confrontées.

EVE MENNESSON

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