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[ITW] Thierry Millon : "Payer ses fournisseurs à l'heure favorisera la reprise et la relation de confiance"

Publié par Marwa Nakib le - mis à jour à

T3 2020 : les défaillances d'entreprises sont peu nombreuses, à un niveau qui n'a jamais été aussi bas depuis 1989. Mais les liquidations d'entreprises, elles, sont en hausse. Thierry Millon, directeur des études Altares, décrypte ces chiffres et revient sur les leçons à tirer de la crise.

Le nombre de défaillances d'entreprises pour le troisième trimestre 2020 est encore en baisse, mais les liquidations judiciaires sont à la hausse, et touchent 3/4 des entreprises en défaillance (environ 76%, contre 68% en 2019). Selon vous, comment expliquer ce paradoxe ?

Thierry Millon > Nous sommes dans une situation de rupture économique, et de double crise, sanitaire et économique. La rupture ne s'est pas traduite par des défaillances parce que l'État a mis en place des mesures de soutien aux entreprises comme le chômage partiel, les prêts garantis par l'État (PGE), le report des charges et cotisations, les règles de cessation de paiement, les fonds de solidarité, la prolongation de l'indemnisation à 100% de l'activité partielle pour les secteurs protégés comme l'événementiel, la culture, le voyage et le sport... Toutes ces mesures ont permis aux entreprises de résister à la crise jusqu'à aujourd'hui. Cette baisse n'indique donc pas une réduction du nombre d'entreprises en difficulté, mais simplement l'impact des évolutions réglementaires modifiées pendant la crise sur les états financiers de ces dernières.

L'efficacité de ces mesures n'est pas remise en cause mais il aurait fallu plus de pédagogie. Une communication détaillée sur les dispositifs de procédures collectives, comment les utiliser, et les délais pour se présenter au tribunal afin d'éviter d'en arriver in fine à la liquidation a manqué à beaucoup d'entreprises. L'État avait donné aux dirigeants la possibilité de solliciter la protection du tribunal de commerce jusqu'au 24 Août 2020, après quoi les règles habituelles ont repris leurs cours et les entreprises étaient de nouveau soumises à la règle des 45 jours de cessation de paiements pour se déclarer en situation de défaillance auprès du tribunal. Les entreprises en difficulté qui ne se sont pas présentées pendant cette période se sont retrouvées fragilisées. Cela explique qu'elles soient allées directement à la case liquidation au lieu de passer par la phase de redressement judiciaire, d'où cette hausse importante des liquidations. Il aurait été plus sage de déclarer la défaillance plus tôt. Car être en situation de cessation de paiement ne conduit pas nécessairement à la cessation totale de l'activité s'ils font l'objet d'un accompagnement judiciaire spécifique qui permettra la poursuite de l'activité et le maintien des emplois.

> Quelles en sont les conséquences et quelles sont vos prévisions pour les prochaines périodes?

Ce qui est sûr, est que les taux de défaillances et de liquidations vont augmenter au prochain trimestre et en 2021. Mais il serait difficile d'anticiper les risques avec certitude. Les modèles prédisent 64,000 défaillances, mais le pire scénario serait de voir ce chiffre exploser et atteindre 85,000 défaillances. Il n'en reste pas moins que c'est surtout le taux d'entreprises en liquidation qui est alarmant. Si on extrapole sur cette base, la situation des entreprises ne sera pas stable avant le 1er semestre de l'année 2022. Beaucoup de TPE sont à bout de souffle. Moins en danger, les PME et ETI ne sont pour autant pas épargnées et peinent à repayer leurs fournisseurs.

Le redressement de la situation économique sera progressif, par secteur. Ceux qui sont en première ligne comme la restauration et l'évènementiel, suivis par le retail continueront à être touchés, tout comme le secteur automobile, et l'aérien. Le secteur de la construction n'est pas épargné non plus : si les travaux d'amélioration et d'entretien ont tenu, la construction neuve a par contre décroché.

> Considérez-vous que les mesures gouvernementales ont été adéquates pour gérer la crise ?

L'aide de l'État était indispensable sous toutes ses formes. Il fallait faire ces démarches coûte que coûte. Et elles ont été faites avec un accompagnement ciblé par filière dans les territoires. Mais une fois la période de crise finie, il faut toujours en tirer les leçons. En l'occurrence ici, il aurait fallu aller encore plus vite pour pallier l'insuffisance de fonds propres. L'aide de l'État a ralenti la défaillance des entreprises fragiles, notamment zombies qui ont longtemps profité de conditions économiques favorables mais n'avaient pas la solidité financière pour affronter le coup de frein économique brutal que nous avons connu.

> Quels sont vos conseils aux Daf pour la période à venir et pour sortir de la crise ?

En premier lieu, il ne faut pas hésiter à les féliciter ! Ils ont remarquablement piloté la période de crise et bien répondu aux contraintes de paiement des dettes et des négociations.

Mais pour améliorer la gestion de crise à l'avenir, les entreprises et leurs Daf vont devoir accélérer les projets de digitalisation et d'automatisation des fonctions Finance et RH. Ce afin de faciliter la prise de décisions, mais aussi pour les opérations plus courantes comme le transfert d'argent aux fournisseurs, le versement des salaires...

En second lieu, bien sûr il convient d'optimiser les processus de gestion du cash et de la trésorerie pour faire en sorte d'avoir des bilans propres et transparents. Cela contribue à rassurer les investisseurs et les fournisseurs.

Pratiquer avec bienveillance le "no cash out" : il faut que les entreprises encaissent les règlements clients et misent sur les actions de recouvrement adaptées pour pouvoir être en capacité à leur tour de payer les fournisseurs et limiter un maximum les ruptures de chaînes, sinon les conséquences seront dramatiques. Rappelons que 25% des défaillances d'entreprises sont dues à des retards des paiements !

En dernier lieu, il importe de déployer les bons outils de pilotage, de contrôle et de reporting pour identifier les zones à risque. Les indicateurs financiers aident la direction financière à prendre des décisions rapidement et donner le feu vert notamment concernant le déclenchement des paiements fournisseurs et règlements clients.

> Pensez-vous que la sortie de crise est pour bientôt ?

D'abord, il faut faire les bons arbitrages budgétaires pour accélérer la sortie de la crise et favoriser la reprise. L'activité économique a déjà redémarré, notamment en France. Les prévisions de croissance pour 2021 sont à date estimées à +7%, ce qui, comparé à la récession de 10% prévue à fin 2020, est très positif.

Mais cela dépend aussi de la capacité de l'Union Européenne à avoir des objectifs alignés pour soutenir les économies des États européens. Ce sera un challenge pour l'Europe qui devra faire ses preuves et montrer sa capacité à profiter de la croissance.



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