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Pierre Pelouzet (Médiateur des entreprises) : « 40 % de nos saisines concernent les conditions de paiement »

Publié par Christina DIEGO le - mis à jour à

Retards de paiement, litiges clients, tensions de trésorerie et incertitudes géopolitiques... les entreprises en difficulté avec leurs partenaires commerciaux peuvent se tourner vers la médiation des entreprises, un service public gratuit qui les accompagne vers la résolution des conflits, porté depuis douze ans par Pierre Pelouzet. Entretien.

Rappelez-nous la mission de la médiation des entreprises ?

Pierre Pelouzet : Depuis douze ans, je défends une conviction fondamentale : le développement économique est directement corrélé au niveau de confiance entre les acteurs. Cette confiance, essentielle, s'établit tant entre les entreprises qu'entre ces dernières et les institutions publiques. Pour ce faire, notre premier outil, qui donne son nom à notre structure, est la médiation. Nous offrons un service public de médiation destiné à l'ensemble des entreprises, et des acteurs publics dans le cadre de la commande publique. Ce dispositif gratuit permet de résoudre par le haut toute difficulté, tout conflit, toute tension ou dispute.

Quel bilan pouvez-vous faire du dispositif ?

P. P: À mon arrivée, nous réalisions environ une centaine de médiations par an. En 2019, ce chiffre avait considérablement progressé pour atteindre une centaine de médiations par mois. L'année 2020 a marqué un tournant exceptionnel, avec une explosion du nombre de médiations - entre 3 000 et 4 000 sur l'année. Depuis, nous nous maintenons à un niveau élevé, réalisant environ 2 000 médiations annuellement. Cette croissance significative témoigne de l'importance croissante accordée à ce mode de résolution des différends dans le monde économique.

Y-a-t-il eu des évolutions du dispositif ?

P. P. : Notre action en matière de médiation s'est considérablement élargie pour inclure des médiations collectives et sectorielles. Cette évolution nous permet d'intervenir non seulement en mode curatif, mais également en amont, dans une logique d'anticipation des conflits. Nous accompagnons ainsi des filières entières, comme celle du BTP, qui a connu de multiples chocs économiques. Notre intervention vise à établir de bonnes pratiques permettant de préserver l'équilibre de la chaîne de valeur, particulièrement pour les maillons les plus fragiles, tels que les artisans souvent pris entre de grands fournisseurs et des donneurs d'ordre puissants.

Quelles sont les principales demandes des entreprises ?

P. P. : Notre intervention se concentre principalement sur les problématiques de trésorerie, élément vital pour la survie des entreprises, notamment les plus petites d'entre elles. Il convient de souligner que les entreprises faisant appel à nos services sont, à 98 %, des PME, dont les trois quarts emploient moins de 25 salariés. Ces structures, bien que de taille modeste, se trouvent souvent confrontées à des difficultés avec des partenaires de plus grande envergure, ce qui explique leur recours à notre médiation.

Quel rôle jouent les Daf dans le recours à la médiation ?

P. P. : La problématique principale, représentant 40 % de nos saisines, concerne les conditions de paiement. Dans un contexte économique marqué par le retour des retards de paiement, les directeurs administratifs et financiers apparaissent comme des interlocuteurs privilégiés. Leur rôle est en effet déterminant pour assurer la fluidité de la trésorerie, que ce soit par le respect des délais de paiement, leur réduction, ou encore par la mise en place de mécanismes d'avances et d'acomptes. Ces dispositifs se révèlent particulièrement salutaires pour permettre aux petites entreprises de surmonter les périodes de tension financière.

Les ETI et grandes entreprises témoignent à leur tour de tensions de trésorerie. Comment votre service y répond ?

P. P. : Les entreprises qui font appel à nos services sont généralement confrontées à des partenaires commerciaux importants avec lesquels elles souhaitent préserver leurs relations. Notre médiation offre une alternative aux procédures judiciaires, longues et coûteuses, qui risquent d'altérer définitivement les relations commerciales, quel qu'en soit l'issue.

Notre réseau de médiateurs, répartis sur l'ensemble du territoire, intervient pour rétablir le dialogue entre les parties. Que ce soit en présentiel, en visioconférence ou par téléphone, notre approche vise à clarifier les situations, identifier les véritables sources de conflit et rechercher des solutions mutuellement acceptables. Cette méthode permet non seulement de résoudre le litige dans 70 % des cas, mais aussi de rétablir une relation de confiance durable entre les parties.

Concernant les retards de paiement, quelles tendances observez-vous depuis ces dernier mois ?

P. P. : En 2019, nous avions atteint une moyenne de 10 jours de retard, représentant une amélioration notable par rapport aux 15 à 17 jours observés depuis l'instauration de la LME en 2008. La crise sanitaire de 2020 a malheureusement inversé cette tendance positive, provoquant une flambée des retards de paiement. Ensuite, nous avions réussi à ramener les délais moyens à environ 12 jours en 2021. Bien que cette performance fût meilleure que celle enregistrée pendant la crise, elle restait inférieure à notre situation pré-pandémie. Malheureusement, cette moyenne s'est maintenue en 2022 et 2023, et les indicateurs récents montrent une nouvelle dégradation, avec un retour à environ 13 jours de retard en 2024 et début 2025.

Cette situation est d'autant plus préoccupante que chaque jour de retard supplémentaire représente un manque à gagner colossal pour les TPE et PME, estimé à environ un milliard d'euros qui restent bloqués dans les caisses des grands comptes plutôt que d'alimenter le tissu économique des petites entreprises.

Quels conseils donneriez-vous aux DAF en cas de litiges ?

P. P. : Pour les retards de paiement d'importance modérée, lorsque la préservation de la relation commerciale n'est pas une priorité, le recours aux commissaires de justice pour un recouvrement classique s'avère approprié.

En revanche, lorsque le retard de paiement est significatif et que le maintien de la relation commerciale est souhaité, la médiation constitue une solution particulièrement efficace. Notre dispositif, spécialement conçu pour ces situations, donne toute satisfaction par sa rapidité d'exécution, une médiation se déroulant généralement en deux à trois mois seulement.

Pourquoi se tourner vers la médiation ?

P. P. : Nous tenons à rassurer les entreprises qui pourraient hésiter à solliciter notre médiation par crainte de compromettre leurs relations commerciales. Notre démarche vise précisément à rétablir et consolider ces liens, et nous mettons un point d'honneur à accompagner les parties avec la plus grande bienveillance.

Notre processus se déroule avec toute la discrétion et le professionnalisme requis. Nous engageons d'abord un dialogue confidentiel avec l'entreprise à l'origine de la saisine, afin de comprendre pleinement la situation et d'établir une relation de confiance. Ce n'est qu'une fois cette étape franchie, et lorsque l'entreprise se sent prête, que nous procédons à la mise en contact avec l'autre partie, selon les modalités qui lui semblent les plus appropriées.

Nous expliquons alors à l'ensemble des acteurs impliqués les principes fondamentaux de notre médiation : confidentialité absolue, gratuité du service et rapidité d'exécution. Notre objectif est de créer un cadre propice au dialogue, permettant aux parties de trouver ensemble une issue favorable à leur différend.

Nous insistons sur l'importance d'une intervention précoce. Plus la médiation est engagée tôt, plus grandes sont les chances de parvenir à une résolution satisfaisante pour toutes les parties. Une saisine tardive peut en effet compliquer la recherche d'une solution mutuellement acceptable.

Quels impacts les incertitudes géopolitiques ont-elles sur le tissu économique ?

P. P. : Les entreprises françaises démontrent globalement une résilience remarquable face aux aléas économiques récents. Bien que certains secteurs, comme celui du BTP, aient été particulièrement affectés par les crises successives, la situation générale reste relativement stable, comme en témoignent les indicateurs macroéconomiques.

Cependant, cette apparente stabilité cache une réalité plus préoccupante : la réduction significative des carnets de commande. Là où les entreprises bénéficiaient autrefois d'une visibilité sur plusieurs mois, elles doivent désormais composer avec des horizons temporels plus courts. Cette contraction des perspectives engendre nécessairement des tensions sur les décisions d'investissement, de recrutement, de développement et d'innovation. Cette situation d'incertitude persistante explique la constance de notre activité de médiation. Dans ce contexte, il apparaît crucial pour les entreprises de connaître et d'utiliser les outils à leur disposition pour anticiper et résoudre les difficultés potentielles.