Redécouvrir la méthode ABC en 2025 : un levier stratégique pour le contrôle de gestion
Publié par Pascal Rhoumy le - mis à jour à
Dans cette tribune exclusive, Pascal Rhoumy, associé BM&A revient sur une méthode qui a fait ses preuves : la méthode Activity-Based Costing (ABC), souvent considérée comme trop complexe à mettre en oeuvre, mais dont la pertinence méthodologique et la puissance analytique pourraient aider les entreprises dans les prises de décision.
En 2025, alors que les pressions sur les marges et l'interdépendance des modèles économiques retrouvent des sommets, le contrôleur de gestion est plus que jamais sollicité pour fournir des analyses précises, fiables et orientées action. Dans ce contexte, il parait légitime de s'interroger sur l'intérêt de redécouvrir la méthode Activity-Based Costing (ABC), souvent considérée comme trop complexe à mettre en oeuvre par le passé, mais dont la pertinence méthodologique et la puissance analytique manquent souvent dans les approches en place actuellement dans les entreprises pour supporter les prises de décision.
L'intérêt méthodologique de l'ABC pour une analyse objectivée des coûts et des rentabilités
La méthode ABC repose sur une idée simple mais puissante : les produits et services consomment des activités, et ce sont ces activités qui consomment des ressources. Plutôt que de ventiler les coûts indirects à l'aide de clés arbitraires et généralement volumiques (taux horaires, % de CA, etc.), elle propose de les imputer sur la base d'inducteurs de coûts objectivés traduisant la complexité, la valeur ajoutée du processus de réalisation du produit ou du service : tailles de lots de fabrication, nombre de références gérées, de commandes traitées, degré d'automatisation du process de fabrication, urgences client, etc.
Dans des environnements industriels ou de services où la structure de coûts devient de plus en plus indirecte et partagée (qualité, supply chain, informatique, support marketing et commercial, etc.), l'ABC permet une restitution beaucoup plus fidèle de la réalité économique. Elle offre une lecture fine et pertinente de la rentabilité non seulement par produit, mais aussi par client, canal de distribution ou même par usage.
Par exemple, dans une entreprise de logiciels en SaaS, deux clients payant le même abonnement peuvent avoir une rentabilité très différente selon leur consommation de support, de stockage ou d'implémentation. L'ABC permet de faire émerger cette réalité et d'en tirer des décisions concrètes : ajustement de l'offre, reconfiguration du service, ou même renégociation commerciale.
La technologie permet aujourd'hui de lever les freins historiques de l'ABC
Malgré ses qualités conceptuelles, la méthode ABC a longtemps peiné à s'imposer dans le pilotage quotidien des entreprises. La cause principale ? Une complexité perçue comme excessive dans la mise en oeuvre et la maintenance du modèle. Collecte manuelle des inducteurs, actualisation fastidieuse des données, difficulté à réconcilier les informations entre finance et opérations... les projets ABC ont souvent échoué ou ont été cantonnés à des exercices ponctuels (Centres de services partagés, GIE notamment).
Le contexte technologique de 2025 change la donne
Les entreprises sont aujourd'hui équipées de systèmes ERP puissants, de plateformes de Business Intelligence (Power BI, Qlik, Tableau...) et disposent d'une data gouvernance mieux structurée. Le recueil des inducteurs peut désormais être automatisé via les outils déjà en place : les tickets du support client, les flux logistiques, les temps passés ou les suivis de production deviennent des sources exploitables quasi en temps réel.
Mieux encore, l'émergence de l'intelligence artificielle permet d'aller plus loin : prévision de consommation d'activités, clustering automatique des clients selon leur profil de coûts, réallocation dynamique des charges indirectes... L'ABC devient ainsi moins un système rigide qu'un cadre d'analyse flexible, rendu possible par la technologie. Il ne s'agit plus de construire un modèle parfait, mais d'obtenir une approximation fiable et actionnable, à moindre coût et plus régulièrement.
En 2025, l'ABC peut redevenir un outil stratégique de pilotage des marges
Dans notre contexte économique redevenu incertain, avec des hausses de coûts de production, des tensions sur les prix de vente et une exigence accrue de transparence financière, la question du pilotage des marges redevient centrale. Et c'est ici que l'ABC prend tout son sens.
Contrairement à une idée reçue, l'ABC ne doit pas être réservé aux grands groupes industriels. Grâce aux outils modernes, même des ETI ou des structures de taille intermédiaire peuvent bénéficier d'un modèle ABC allégé, orienté décision. Il ne s'agit pas de tout modéliser dans les moindres détails, mais de se concentrer sur les périmètres où les enjeux de rentabilité sont les plus critiques : un portefeuille clients dont les attentes sont très hétérogènes, une activité en forte croissance, un centre de coûts peu compris.
Avec un effort modéré, et en s'appuyant sur les outils de BI déjà largement déployés dans les entreprises, il devient possible de mettre en place des analyses ABC simples, lisibles et mises à jour régulièrement. Les directions opérationnelles et les contrôleurs de gestion peuvent alors dialoguer plus efficacement : « Ce segment clients, bien que rentable en CA, absorbe 25 % de notre service client », ou encore « Cette gamme produits affiche une marge brute correcte mais une consommation excessive d'activités logistiques ».
L'ABC devient ainsi un outil de dialogue et d'orientation stratégique, capable d'éclairer les choix d'allocation de ressources, les arbitrages entre internalisation et externalisation, ou encore la conception de nouvelles offres plus rentables.
En 2025, redécouvrir l'ABC, ce n'est pas revenir à une méthode ancienne, c'est lui donner une nouvelle vie grâce aux outils actuels et à une compréhension renouvelée des enjeux économiques : couples produits / services, personnalisation fine des produits, etc. Dans un monde où la data est omniprésente, où la traçabilité devient un standard, et où chaque décision doit s'appuyer sur des faits objectifs, l'ABC retrouve toute sa pertinence.
À condition d'être pragmatique, orienté usage, et bien intégré dans l'écosystème d'information de l'entreprise, l'Activity-Based Costing n'est pas un luxe méthodologique : c'est un outil puissant et accessible pour éclairer les décisions, préserver les marges et renforcer la compétitivité. En 2025, il serait dommage de s'en priver.