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Serge Trigano : "Un DAF doit nous aider à rêver... sans perdre pied"

Publié par Eloise Cohen le - mis à jour à

Invité aux Journées Daf qui se tenaient le 12 juin aux salon du Parc des Princes, Serge Trigano est revenu sur son parcours d'entrepreneur iconoclaste. De Club Med à Mama Shelter, il explique pourquoi la fonction finance est essentielle pour accompagner la prise de risque... sans la brider.

Eloïse Cohen : Vous avez mené plusieurs aventures entrepreneuriales audacieuses. Quel a été, à chaque étape, votre rapport avec la fonction finance ?

Serge Trigano : Dès le Club Med, c'était une prise de risque permanente. Ouvrir des villages tout compris au bout du monde, dans des zones encore peu explorées, c'était un pari. Mais ce pari était encadré : le club avait imaginé une organisation rigoureuse, avec une monnaie interne, les colibars, et un contrôle financier centralisé. La fonction finance fixait les prix, surveillait les coûts, gérait les salaires. Elle apportait de la rigueur dans un modèle pourtant fondé sur l'émotion et l'expérience. Cette discipline a permis au business model de tenir longtemps.

E. C. : Et avec Mama Shelter, projet plus iconoclaste encore, comment les financiers ont-ils réagi ?

S. T. : Ah, là, c'était une autre histoire. On m'a fermé toutes les portes. J'ai vu 80 institutions financières. Toutes ont refusé. Trop risqué, trop différent. On venait me dire : "Un hôtel, c'est location, location, location !" Nous, on s'installait dans des quartiers inattendus. Et en plus, on voulait faire du restaurant le coeur du concept. C'est finalement la Caisse d'Épargne qui nous a suivis, contre l'avis de leur propre auditeur. Il avait jugé que notre restaurant ne ferait jamais plus de 40 couverts le week-end... On en a fait 800 par jour.

E. C. : Comment avez-vous intégré la fonction financière dans vos projets ?

S. T. : Chez Mama Shelter, il y a toujours eu un équilibre : un de mes fils est ultra créatif, l'autre est un contrôleur né. Le premier rêve, le second arbitre. Entre les deux, je joue le médiateur. Cet équilibre entre folie et rigueur, c'est aussi ce que j'attends de nos DAF : nous accompagner, nous challenger, mais en comprenant notre vision. Pas juste nous donner des chiffres passés, mais nous aider à nous projeter.

E. C. : C'est une forme de business partner rêvé, non ?

S. T. : Exactement. Je n'attends pas d'un DAF qu'il me répète ce que je sais déjà. Les chiffres, je les ai tous les matins. Ce que j'attends, c'est un dialogue stratégique. Qu'on me dise : "Ce site est prometteur", "Ce concept peut aller plus loin", ou au contraire : "Là, il faut freiner." À mes yeux, un bon financier, c'est quelqu'un qui vous aide à rêver... mais sans vous laisser perdre pied.

E. C. : Votre dernier projet, Casa Barbara, s'adresse aux seniors. Là aussi, la finance a son rôle à jouer ?

S. T. : Bien sûr. On veut proposer une alternative aux EHPAD. Des lieux de vie chaleureux, où on vieillit bien, dans la dignité. Ce n'est pas juste un concept social, c'est un modèle économique. On travaille avec des investisseurs, des mutuelles, on monte des business plans solides. Et là encore, il faut des DAF capables de comprendre l'intention tout en maîtrisant la rentabilité.

E. C. : Un conseil pour les DAF qui voudraient sortir du rôle purement technique ?

S. T. : Soyez curieux. Ne vous cantonnez pas aux chiffres. Venez sur le terrain, discutez avec les opérationnels, les créatifs. Projetez-vous dans le futur avec nous. La finance, aujourd'hui, c'est une fonction de projection. L'intelligence artificielle va bientôt automatiser les tâches comptables. Ce qu'on attendra de vous, ce sera l'intuition, la capacité à anticiper, à participer à la stratégie.

E. C. : Quelles sont, selon vous, les qualités clés pour faire grandir une équipe dans un univers aussi hybride ?

S. T. : Donner du sens. Chez Mama Shelter, comme au Club Med, on a toujours voulu que les gens soient fiers de faire partie de l'aventure. Même un réceptionniste, s'il est là juste pour faire "Bonjour Monsieur, Bonjour Madame", ça n'a pas de sens. Il faut leur montrer qu'ils apportent quelque chose. Valoriser les rôles de chacun, c'est le coeur du management. Et ça aussi, la fonction finance peut y contribuer : en reconnaissant la valeur créée, en la mesurant mieux, en la défendant.