Quelle fiscalité les entreprises doivent-elles respecter pour les dons d'invendus alimentaires ?
Publié par Christina DIEGO le - mis à jour à
La loi Agec encadre, depuis 2022, règlementairement la gestion des invendus alimentaires pour les entreprises concernées. Bon nombre d'entre elles se tournent vers le don aux associations, ce qui leur permet de bénéficier d'avantages fiscaux sous certaines conditions. Décryptages de ce mécénat en nature avec Pierre-Yves Pasquier, fondateur de Comerso, plateforme de valorisation d'invendus BtoB, et retour d'expérience de Jérémy Kopernik, DAF de Coop Atlantique.
L'ADEME (Agence de la transition écologique) définit les invendus non alimentaires comme des produits neufs qui n'ont pas trouvé preneur via les circuits de vente classiques (magasins, soldes, promotions, etc.), ni par d'autres canaux internes de valorisation. Ces marchandises, pourtant en parfait état, représentent chaque année deux milliards d'euros de stocks en France. Or, à peine la moitié fait aujourd'hui l'objet d'un don.
Interdiction de destruction des invendus depuis 2022
Depuis le 1er janvier 2022, la loi AGEC impose aux entreprises (producteurs, distributeurs, importateurs) de réemployer, réutiliser ou recycler leurs invendus non alimentaires. La destruction de ces produits est interdite, sauf exceptions bien précises comme présentant un risque pour la santé ou l'environnement, un recyclage impossible ou plus néfaste pour l'environnement, ou une absence de solution de valorisation.
Certains produits, tels que les articles d'hygiène ou de puériculture (couches, savons, lingettes, etc.), doivent en priorité être donnés à des associations. En cas de non-respect, une amende pouvant atteindre 15 000 euros peut être appliquée. Bien que la loi impose le don pour certains articles, de nombreux produits non alimentaires peuvent faire l'objet de donations volontaires, comme les produits d'hygiène (dentifrices, gels douche...), les articles de puériculture (poussettes, couches...), les jeux et fournitures scolaires ; du petit électroménager (bouilloires, machines à café...), du textile ou linge de maison, de la vaisselle ou des ustensiles de cuisine.
Quels avantages pour les entreprises ?
Les entreprises assujetties à l'impôt sur le revenu ou sur les sociétés peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt à hauteur de 60 % de la valeur des produits donnés, dans la limite de 20 000 € ou 5 %o du chiffre d'affaires annuel (le plus favorable des deux), de 40 % au-delà de 2 millions d'euros de dons. Ce taux reste à 60 % pour les dons à certaines structures d'utilité publique, comme les organismes oeuvrant pour l'aide alimentaire, le logement ou les soins aux personnes en difficulté.
Si les produits sont donnés à une association reconnue d'utilité publique (RUP), l'entreprise est dispensée de régulariser la TVA initialement déduite. Cette exonération s'applique à condition que l'association fournisse un reçu fiscal précisant son statut. Pour ce faire, il existe des solutions clé en main, comme Comerso, une plateforme BtoB de valorisation des invendus qui propose une gestion intégrale et sécurisée des dons, sur les plans administratif, fiscal et opérationnel.
Pierre-Yves Pasquier, fondateur de Comerso, nous explique que la plateforme offre plusieurs avantages aux entreprises membres, notamment « un réseau structuré de plus de 2 500 associations caritatives, toutes conformes aux exigences réglementaires, garantissant une traçabilité administrative et fiscale rigoureuse ». Sur le plan opérationnel, la solution accompagne les équipes en points de vente ou en entrepôt, les sensibilise et les forme à ne plus jeter les produits écartés, tout en assurant la logistique des dons, même à grande échelle. Enfin, Comerso garantit aux entreprises une conformité fiscale en tant que tiers de confiance, « en produisant les documents CERFA, garantissant leur bon remplissage par les associations et leur archivage électronique, assurant ainsi la sécurité des entreprises en cas de contrôle administratif ou fiscal », détaille Pierre-Yves Pasquier. Pour lui, il existe un enjeu majeur concernant le fort taux de non-conformité des documents fiscaux CERFA émis dans le cadre du mécénat. Selon les équipes de Comerso, entre 60 % et 80 % des CERFA vérifiés présentent des irrégularités. « Cette non-conformité, lorsqu'elle est détectée par l'administration fiscale, peut entraîner une requalification de la réduction d'impôt associée, avec des conséquences financières significatives pour les entreprises concernées », souligne-t-il. Sur une période de prescription de cinq exercices, un redressement peut ainsi porter sur des montants cumulés très importants, atteignant parfois plusieurs millions d'euros.
Nouvelles obligations fiscales pour les entreprises
Au-delà de son rôle opérationnel historique d'accompagnement à la gestion des invendus, Comerso propose désormais une offre de sécurisation documentaire, indispensable dans un contexte juridique renforcé par la loi sur le séparatisme d'août 2021 à l'attention des associations. « Cette loi a introduit de nouvelles obligations déclaratives pour les entreprises, notamment la mention obligatoire de la valeur du don sur les CERFA, en lien avec le statut évolutif des associations bénéficiaires (reconnues d'intérêt général ou non) », nous précise-t-il.
Même les entreprises gérant directement leurs dons avec des associations partenaires de longue date ne sont pas à l'abri de non-conformités si elles ne vérifient pas chaque année l'éligibilité du statut de leur partenaire. « Le risque fiscal repose entièrement sur le déclarant, à savoir l'entreprise, et plus spécifiquement sur les directions financières », ajoute-t-il. Chaque CERFA validé par Comerso fait l'objet de dix contrôles de conformité, destinés à garantir la validité du document. En l'absence de tels contrôles, les entreprises s'exposent à une requalification fiscale, « avec un risque de redressement de la réduction d'impôt accordée au titre du mécénat », détaille Pierre-Yves Pasquier. L'erreur la plus fréquemment constatée réside dans une méconnaissance du statut juridique de l'association bénéficiaire du don. Ce défaut de connaissance entraîne une mauvaise appréciation de l'assiette de valorisation, ce qui peut compromettre la validité de la réduction d'impôt. « En effet, le traitement fiscal diffère selon que l'association est reconnue d'intérêt général ou d'utilité publique, d'où l'importance de bien identifier ce statut en amont de toute démarche de mécénat », indique l'expert.
Quels enjeux pour les Daf ?
La règle générale applicable à toutes les associations en matière de valorisation des dons stipule que les produits doivent être valorisés à hauteur de leur valeur en stock, telle que définie dans l'annexe 3 du Code général des impôts. Cette valeur correspond au coût de production, incluant l'ensemble des frais directs et indirects, tels que les frais de stockage. C'est donc au directeur administratif et financier qu'il revient de la déterminer. Toutefois, une distinction importante s'applique selon que l'association bénéficiaire est reconnue d'intérêt général (RIG) ou d'utilité publique (RUP), notamment en matière de traitement de la TVA. « En effet, les RUP bénéficient d'une dispense de régularisation de la TVA, ce qui modifie l'assiette de valorisation du don (TTC vs. HT) et impacte également les déclarations de TVA mensuelles. Une mauvaise identification du statut de l'association peut ainsi entraîner une déclaration erronée », complète-t-il.
La seconde erreur fréquemment observée réside dans une absence d'analyse fine du potentiel réel de donation. Trop souvent, les entreprises n'évaluent pas de manière optimale la quantité de produits pouvant effectivement être donnés. « Par exemple, une entreprise peut se contenter de donner 500 unités alors qu'elle aurait pu en céder 800, ou à l'inverse, surestimer ses capacités. Cette méconnaissance des marges de manoeuvre compromet l'efficacité de la stratégie de mécénat », analyse Pierre-Yves Pasquier. De plus, les reporting réalisés par les associations sur les dons reçus sont souvent peu structurés.
Enjeux stratégique et RSE pour la Coop Atlantique
Depuis 2019, une politique structurée de lutte contre le gaspillage alimentaire a été mise en oeuvre par un réseau de magasins U dans la région Atlantique, nous indique Jérémy Kopernik, le directeur financier adjoint de Coop Atlantique, qui passe par la plateforme Comerso. « Cette démarche repose sur des actions déployées pour prévenir l'apparition d'invendus - produits devenus impropres à la vente du fait de leur état ou de leur date limite - grâce à des outils d'optimisation des achats, notamment appuyés par l'intelligence artificielle ».
La mise en oeuvre de cette politique s'inscrit dans une décision stratégique de l'entreprise, bien au-delà d'un simple choix opérationnel. « En grande distribution, les démarques représentent l'un des postes de coûts les plus significatifs, justifiant pleinement l'adoption de leviers structurants pour les contenir. À ce titre, la lutte contre le gaspillage s'intègre de manière cohérente à une vision globale de pilotage stratégique et financier ». La démarche de l'entreprise s'articule en deux volets : en amont, des actions sont menées pour limiter la génération d'invendus ; en aval, il s'agit de gérer ceux qui subsistent. Entre 2019 et 2024, la stratégie globale a permis de réduire d'un point le taux de démarque, « soit un gain significatif sur le résultat, dans un secteur où la rentabilité oscille entre 2 et 3 % ». La réduction du taux de démarque représente un gain de plus de 5 millions d'euros précise le Daf. Ce qui est considérable au regard d'un résultat global avoisinant les 10 millions d'euros.
La démarche anti-gaspillage menée a généré un fort engagement des collaborateurs, à la fois par la réduction tangible des déchets (près de 1 000 tonnes alimentaires évitées) et par la satisfaction de voir les poubelles vides, voire certains magasins atteindre le zéro déchet. « Cette dynamique RSE est renforcée par la labellisation Antigaspi de cinq hypermarchés, tous distingués par la note maximale de 3 étoiles. Ce label, attribué par des auditeurs externes (FNER), valorise le travail accompli tout en stimulant de nouvelles améliorations », ajoute-t-il.