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[ITW] Frédéric Julien (Infolegale) : " Seuls 600 000 bilans d'entreprise sont disponibles à la consultation "

Publié par Stéphanie Gallo Triouleyre le | Mis à jour le

La moitié des entreprises françaises ne déposent pas leurs comptes. Et lorsqu'elles publient 6 sur 10 font valoir leur droit à la confidentialité. Une raréfaction de la donnée financière qui rend la maitrise des risques de solvabilité plus délicate.


> Aujourd'hui, combien d'entreprises publient leurs comptes ?

Frédéric Julien : Pour 2020, 51% des entreprises n'ont pas déposé leurs comptes. Ce chiffre avait été en recul en 2019 mais il est de nouveau à la hausse cette année. Cette tendance s'expliquerait en partie par les dispositions de l'ordonnance 2020-318 du 25 mars 2020 relative à l'état d'urgence sanitaire et qui laisse la possibilité de profiter d'un délai supplémentaire de trois mois pour approuver les comptes annuels. En temps normal, les entreprises ont 6 mois après la date de clôture pour convoquer leur assemblée générale, puis un mois pour déposer au greffe.

Mais il faut savoir que chaque année, seulement une entreprise sur quatre respecte les délais. Beaucoup attendent octobre. Pourquoi ? Elles savent qu'à ce moment-là, leurs partenaires auront sous les yeux un bilan reflétant la situation d'il y a 12 mois et qui perd donc de sa pertinence. Certaines déposent même deux ou trois ans après !

Ces chiffres sont variables selon les régions. Les Pays de la Loire sont les bons élèves avec "seulement" 43,1% des entreprises qui n'ont pas publié leurs comptes (période du 1er novembre 2019 au 31 octobre 2020). L'Ile-de-France est la lanterne rouge avec 71,1% de comptes non publiés. 61,6% en PACA et 62,8% en Corse... Dans les départements d'Outre-Mer, ce sont même 88% des entreprises qui ne déposent pas.

> Est-ce que certains secteurs sont plus frileux que d'autres ?

F J : Oui, les activités de location (17,9% seulement déposent leurs comptes), l'industrie de l'habillement (19%), les télécommunication (27,4%)... A l'inverse, les activités liées à l'industrie sont celles qui publient le plus.

> Le dépôt des comptes est pourtant une obligation. Qu'est-ce qui explique cette tendance ?

Les raisons sont multiples : certaines entreprises ne veulent pas faire état d'un bilan défavorable, pour d'autres il s'agit de ne pas dévoiler d'informations stratégiques à un concurrent, un client ou un fournisseur. Ceux travaillant avec la grande distribution ou le BTP publient rarement par exemple, afin de ne pas dévoiler un bilan qu'un acheteur pourrait utiliser pour négocier les prix. C'est le cas dans tous les secteurs où les rapports de force entre clients et fournisseurs sont très déséquilibrés.

Il faut dire que les entreprises sont peu incitées à respecter la loi puisque l'amende est de seulement 1500 euros (3000 en cas de récidive). Sans compter que de nombreux Tribunaux de commerce ne se donnent pas la peine de faire appliquer la règle.

> Au-delà de la non-publication, vous pointez également l'option de confidentialité...

F J : Oui, car 63,3% des entreprises publiant leurs comptes font valoir leur droit à la confidentialité, soit 10% de plus qu'il y a deux ans. Cette possibilité est encadrée par la loi Hamon de 2014, la loi Macron II de 2015 et la loi Pacte de 2019). Pour y prétendre, les entreprises doivent satisfaire à au moins deux des critères suivants : un chiffre d'affaires inférieur à 40 millions d'euros, un bilan de moins de 20 millions, moins de 250 salariés. Dans ces conditions, les entreprises moyennes peuvent publier uniquement des comptes simplifiés.

Les petites entreprises peuvent, elles, demander la confidentialité du compte de résultat si elles font moins de 12 millions de CA et/ou 6 millions d'euros de bilan et/ou moins de 50 salariés.

Concernant les micro-entreprises, si elles réalisent moins de 700 000 euros de CA, un bilan à moins de 350 000 et disposent de moins de 10 salariés, elles peuvent solliciter la confidentialité totale de leur bilan.

Finalement, sur 10 millions d'entités en France, seuls 600 000 comptes sont disponibles à la consultation...

> En quoi ces pratiques posent-elle un problème ?

F J : De mon point de vue, c'est complètement anormal. Elles nuisent à la transparence des entreprises. Or, on sait que la majorité des défaillances viennent d'un retard de paiement ou d'un impayé. Toutes les entreprises devraient avoir les moyens de vérifier l'état de leurs partenaires.

> Ces comptes reflètent l'état financier d'une entreprise l'année précédente. Dans ces temps où la crise a balayé tous les acquis en quelques mois, est-ce vraiment si dommageable ?

F J : Effectivement, les comptes consultables font état d'une situation sept mois auparavant. C'est une photo à un instant T. Donc, même si son client ou son fournisseur publie ses comptes, il faut s'assurer d'avoir des informations plus fraiches, en s'appuyant sur des sociétés spécialisées évidemment mais aussi en surveillant les annonces légales ou en demandant à échanger avec le directeur financier du partenaire pour évaluer les forces et faiblesses éventuelles. Donc certes, des comptes montrant une bonne santé financière l'année précédente ne sont pas un gage de sécurité absolu, mais en les complétant avec d'autres indices, ils permettent tout de même de se faire une idée du fonctionnement de l'entreprise partenaire.

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