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[Tribune] Affaire Tapie - Adidas : 10 idées reçues sur la décision... et l'arbitrage, suite

Publié par Par Denis Mouralis et Sophie Henry le | Mis à jour le

Le flot médiatique suscité par cette affaire Tapie-Adidas impose de combattre les trop nombreuses idées reçues _qu'elle inspire et, de façon plus large,_ sur le recours à l'arbitrage. Voici les 5 nouvelles précisions.

Rappel: Le 17 février 2015, la cour d'appel de Paris a admis le recours en révision, intenté par le Consortium de réalisation (CDR), contre la sentence arbitrale qui avait accordé 405 millions d'euros de dommages et intérêts à Bernard Tapie, dans le litige qui l'opposait, depuis les années 1990, au groupe Crédit lyonnais. Le flot médiatique suscité par cette affaire impose de combattre les trop nombreuses idées reçues qu'elle inspire et, de façon plus large, sur le recours à l'arbitrage.

Idée reçue 6: Le pourvoi en cassation de Bernard Tapie suspend les effets de la décision d'appel

Non, car le pourvoi en cassation de Bernard Tapie contre l'arrêt du 17 février 2015 n'est pas suspensif. Si ce pourvoi devait aboutir à la cassation (annulation) de l'arrêt, cela remettrait en cause la rétractation de la sentence et, du même coup, la décision au fond de la cour d'appel : la sentence serait ressuscitée.

Idée reçue 7: L'arbitrage n'apporte pas de sécurité juridique

Faux. Cette affaire n'est absolument pas représentative de l'arbitrage, qui, la plupart du temps, se déroule sans accroc car les principes essentiels du procès équitable sont respectés : impartialité et indépendance des arbitres, égalité entre les parties, débat contradictoire. Bien plus, l'arrêt du 17 février démontre de manière éclatante que le juge peut contrôler les sentences arbitrales.
Par ailleurs, à l'international, l'arbitrage offre une meilleure sécurité juridique car il permet de recourir à une juridiction indépendante, compétente et neutre, et d'échapper aux juges locaux qui, dans certains pays, peuvent ne pas offrir suffisamment de garanties à cet égard. De plus, les sentences arbitrales internationales ont l'avantage d'être plus faciles à exécuter que les jugements étrangers, grâce à la Convention de New York, ratifiée par la majorité des pays.

Idée reçue 8 : L'indépendance des arbitres n'est jamais garantie

Bien au contraire. En effet, au début de la procédure, les arbitres ont l'obligation de révéler tous les faits de nature à créer des doutes sur leur indépendance et leur impartialité. Les parties peuvent alors contester leur désignation. Pour éviter toute contestation ultérieure liée au choix de l'arbitre, les parties doivent aussi lire, avec la plus grande attention, la déclaration d'indépendance remise par chaque arbitre et doivent demander des explications en cas de doute.

Si une partie découvre ultérieurement un fait dissimulé par l'arbitre, elle peut lui demander de cesser d'exercer ses fonctions. Si l'arbitre contesté refuse de se démettre, le centre d'arbitrage ou, à défaut, le juge tranche. Si le fait dissimulé par l'arbitre est découvert après le prononcé de la sentence, celle-ci peut faire l'objet d'un recours en annulation, voire, dans les cas de fraude avérée, d'un recours en révision, comme dans l'affaire Tapie. Le fondement de l'arbitrage est et doit demeurer la confiance entre les parties et les arbitres.


Idée reçue 9: Le recours à l'arbitrage reste rare

Faux. Les entreprises recourent, au contraire, de plus en plus souvent à l'arbitrage dans leurs relations économiques, internes ou internationales, en vue de résoudre leurs litiges. S'il existe peu de statistiques sur le recours à l'arbitrage, on peut déjà citer une étude très significative réalisée par le cabinet PriceWaterhouseCoopers qui a demandé, en 2013, à des juristes d'entreprises si l'arbitrage était, selon eux, le mode de résolution des litiges le plus adapté au contentieux international rencontré dans leur activité. Leur réponse était " oui ", à une très forte majorité : 78% pour le secteur de l'énergie, 69% pour la finance et 84% pour la construction.

On peut aussi souligner le nombre de requêtes déposées à la Cour d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI) qui est passé de 591 en 1999 à 791 en 2014. De même, le nombre de litiges soumis au Singapore International Arbitration Center est passé de 64 en 2003 à 259 en 2013.
Quant à l'arbitrage entre États et investisseurs étrangers, il connaît une croissance spectaculaire, puisqu'on est passé d'un nombre de procédures proche de 0 en 1993 à plus de 500 en 2012. L'arbitrage s'est aussi développé dans certains secteurs. Ainsi, en matière de sport, les litiges entre joueurs et fédérations, ou bien entre fédérations, sont, la plupart du temps, résolus par la voie de l'arbitrage. Le Tribunal arbitral du sport, qui siège à Lausanne et qui est spécialisé dans ce domaine, a traité 14 procédures en 1995, contre 407 en 2013 !

Par ailleurs, l'intérêt des litiges soumis à l'arbitrage a tendance à augmenter. Devant la Cour d'arbitrage de la CCI, le nombre de litiges représentant plus d'1 million de dollars est passé de 49% en 1999 à 76,5% en 2014.

Cependant, il est à noter que les procédures d'arbitrage ne sont pas réservées aux seuls litiges dont le montant est très élevé. Pour preuve, les chiffres du CMAP selon lesquels 31% des litiges traités par le Centre représentent un enjeu inférieur à 1 million d'euros, 54% un enjeu compris entre 1 et 10 millions d'euros et 15% un enjeu supérieur à 10 millions d'euros.

Idée Reçue 10. Seules les parties choisissent leurs arbitres

Oui mais elles peuvent se faire aider ...par un centre d'arbitrage reconnu, tels que, par exemple, le CMAP centre de Médiation et d'Arbitrage de Paris. Le rôle du Centre est alors de vérifier que les arbitres choisis ne présentent aucun conflit d'intérêt et apprécie l'indépendance et l'impartialité des arbitres pressentis. Par ailleurs, si une difficulté ou une contestation survient en ce qui concerne un arbitre, le CMAP intervient et tranche la question dans un délai très rapide, ce qui est absolument essentiel.

Rappel: l'arbitre, une fois nommé, doit agir en juge impartial, et pas en représentant des intérêts de la partie qui l'a désigné.

Les auteurs

Sophie Henry, déléguée générale du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP)

Denis Mouralis, professeur de droit à l'Université d'Avignon, conseiller du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP)*, arbitre, consultant.


Denis Mouralis, professeur à l'Université d'Avignon et conseiller du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP), est spécialisé en droit de l'arbitrage, droit international et droit des affaires. Il publie, enseigne et dirige des recherches dans ces disciplines, en France et à l'étranger. Il est également consultant et participe régulièrement à des procédures arbitrales, en tant que conseil ou arbitre.

Sophie Henry est déléguée générale du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP), après y avoir été successivement consultante et formatrice en médiation et arbitrage, responsable des programmes européens et secrétaire générale. Avant de rejoindre le CMAP, elle a exercé pendant 10 ans en tant qu'avocate au Barreau de Paris, puis comme expert auprès de la section " Marché unique production consommation " au sein du Comité économique et social des Communautés européennes. Elle a contribué à la création de nombreux Centres de médiation et d'arbitrage et coordonne des programmes de formation continue à la médiation et à l'arbitrage en France et à l'étranger. Sophie Henry enseigne et assure la coordination pédagogique des formations aux modes alternatifs de résolution des conflits à l'ESCP Europe, Sciences-Po Paris, l'EDHEC, HEC, l'Université de Versailles Saint Quentin, la Faculté de droit de Pau, et l'École de médiation du Barreau de Paris.


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